Peine pécuniaire et lex mitior : le nouveau droit n’est pas plus favorable – vraiment ?

Le Tribunal fédéral revient sur deux jurisprudences non publiées rédigées en français dans lesquelles il avait d’office ramené à 180 jours-amende des sanctions prononcées après le 1er janvier 2018 pour des faits commis avant l’entrée en vigueur de la réforme du « nouveau » droit des sanctions. Il rappelle que l’application du principe de la lex mitior (art. 2 al. 2 CP) ne peut se faire en « panachant » l’ancien et le nouveau droit et qu’ainsi, lorsque le juge considère qu’une peine pécuniaire de 300 jours amende sanctionne de façon adéquate une infraction commise avant le 1er janvier 2018, l’art. 2 al. 2 CP ne permet pas de réduire cette peine à 180 jours-amende en application du nouvel art. 34 al. 1 CP.

Par jugement de première instance du 14 novembre 2019, un chef de chantier, coupable de lésions corporelles graves par négligence commises en octobre 2015, a été condamné à 300 jours-amende. Cette peine a été ramenée à 180 jours-amende par la Cour d’appel vaudoise dans un arrêt du 2 juillet 2020. Le Tribunal fédéral admet le recours formé par le ministère public contre cet arrêt. 

Le 1er janvier 2018, une modification du droit des sanctions (qui avait fait l’objet d’une révision totale 11 ans plus tôt seulement) est entrée en vigueur (RO 2016 1249). En substance, la novelle réduit le champ d’application de la peine pécuniaire en fixant le maximum de sa durée à 180 jours au lieu de 360 selon le Code pénal applicable de 2007 à 2017. Le Conseil fédéral, à l’appui de cette modification, insistait sur son but : étendre le champ d’application de la peine privative de liberté et participer au « durcissement général du régime des peines » (FF 2012 4385, 4406). Difficile, donc, d’envisager le nouveau droit comme une lex mitior, ce que laisse entendre le TF dans cet arrêt en rappelant le contenu du Message (c. 4.3.2).

Pourtant, dans deux arrêts non publiés et rédigés en français (TF 6B_86/2020 du 31.3.2020, c. 2 et 6B_1280/2019 du 5.2.2020, c. 6), la Cour de droit pénal du Tribunal fédéral avait réduit d’office à 180 jours des peines pécuniaires de 300, respectivement 360 jours-amende. L’argument était alors qu’il s’agissait d’une violation manifeste du droit fédéral, c’est-à-dire de l’art. 34 al. 1 CP, dans sa version actuellement en vigueur. Dans l’arrêt 6B_1308/2020 du 5 mai 2021 ici commenté, le TF revient explicitement sur ces jurisprudences (c. 4.3.1) et rappelle les principes gouvernant l’application de l’art. 2 CP.

Le principe est celui de la non-rétroactivité (art. 2 al. 1 CP). En d’autres termes, celui qui commet une infraction est jugé d’après le droit en vigueur au moment de son acte. L’exception à ce principe, la lex mitior, prévoit qu’on puisse appliquer le nouveau droit à des faits relevant de l’ancien pour autant que la loi plus récente mette le condamné dans une position plus favorable (art. 2 al. 2 CP). Pour déterminer si tel est le cas, il faut comparer le résultat obtenu dans le cas concret en fonction respectivement de l’ancien droit dans son ensemble et du nouveau droit dans son ensemble. Cela implique que l’ancien et le nouveau droit ne peuvent pas être combinés – on n’applique donc pas à un même état de fait à la fois l’ancien et le nouveau droit pour permettre au condamné d’obtenir le résultat le plus favorable possible (c. 4.2.2.).

Or c’est précisément l’erreur commise par la Cour cantonale dans le cas d’espèce (et, par ailleurs, par le Tribunal fédéral dans les arrêts 6B_86/2020 et 6B_1280/2019 précités) : le juge de première instance a fixé la peine, en genre et en quotité, en application de l’ancien droit, puis la Cour cantonale a appliqué le nouveau droit pour réduire la quotité, ce qui n’est pas autorisé (c. 4.4).

Comme le précise à cette occasion le Tribunal fédéral, la fixation de la peine suppose l’application d’une palette de critères (au premier rang desquels figure la culpabilité). Ces critères déterminent à la fois le genre de peine (peine pécuniaire ou privative de liberté) et sa quotité. Si l’application de ces critères permet encore au juge d’appliquer au cas concret les deux genres de peine, ce n’est pas uniquement la culpabilité qui doit guider le choix du juge, mais plutôt « l’adéquation de la peine, […] ses effets sur l’auteur et sur sa situation sociale ainsi que […] son efficacité du point de vue de la prévention ». Ce faisant, le Tribunal fédéral exclut que le juge fixe d’abord la peine sous forme d’unités-pénales, puis choisisse parmi les sanctions disponibles en fonction de la quotité. Le Tribunal fédéral a expressément exclu cette approche en cas de concours. Comme le résume le TF, en cas de pluralité d’infractions, le juge ne peut pas fixer un nombre d’unités pénales pour chaque acte, puis procéder à l’aggravation avant de choisir le genre de chaque sanction. Notre Haute Cour insiste sur l’application de la « méthode concrète », qui veut que le juge examine, pour chaque infraction commise, la nature de la peine à prononcer, puisque l’application de l’art. 49 CP suppose que les peines soient du même genre (c. 3.2).

Le Tribunal fédéral tente, tant bien que mal, de concilier sa jurisprudence relative à la fixation de la peine, spécialement en cas de concours (ATF 144 IV 313 ; 144 IV 217 = JdT 2017 IV 335 ; 142 IV 265 = JdT 2017 IV 129) avec le texte de l’art. 49 CP et le contenu de modifications législatives dont la portée n’a pas toujours été examinée de façon approfondie. Ainsi, le considérant 3.2 de cet arrêt, qui impose au juge de choisir le genre de peine et sa quotité en fonction de tous les critères dont la culpabilité, puis envisage qu’il y ait des situations dans lesquelles le juge puisse encore choisir entre deux genres de peine (alors qu’il est supposé avoir précisément déjà fait un choix…), démontre bien que le système devrait être entièrement repensé pour qu’il puisse être cohérent.

En outre, le Tribunal fédéral, dans un arrêt 144 IV 313, a précisément admis que : 

« La solution légale actuellement en vigueur et notamment l’art. 49 al. 1, 3e phr., CP peuvent ainsi conduire à des résultats discutables : une personne qui aurait commis trois infractions ne justifiant chacune d‘elles hypothétiquement qu’une peine pécuniaire, par exemple de 180 jours chacune compte tenu de la faute de l’auteur, ne pourrait être condamnée, si ces trois infractions sont jugées ensemble, qu’à une peine pécuniaire d’ensemble de 360 jours maximum sous l’ancien droit et de 180 jours maximum à la lumière de l’art. 34 al. 1 CP dans sa teneur entrée en vigueur au 1er janvier 2018 » (c. 1.1.1).

Or, l’arrêt commenté ici ne revient pas sur ce dernier point : cela implique concrètement que la nouvelle loi peut, dans la constellation envisagée par le Tribunal fédéral, être une lex mitior, surtout si le condamné est un primo délinquant bien inséré socialement (pour lequel, donc, le juge envisagera surtout une peine pécuniaire dans chaque cas).

À notre sens, le Tribunal fédéral devrait admettre la volonté du législateur de restreindre le choix du juge lorsque la culpabilité de l’auteur, dans le cas concret, suppose une peine supérieure à 180 jours. Le Message le précise : « si la gravité de la faute commise ne s’accommode pas avec une peine pécuniaire de moins de 180 jours-amende et que les conditions ne sont pas réunies pour accorder un sursis au condamné, la seule option qui s’offrira au juge sera la peine privative de liberté ferme » (c’est nous qui soulignons, FF 2012 4385, 4406). Cela suppose, même si le Tribunal fédéral tente de s’y opposer, de fixer d’abord la quotité de la sanction en fonction de la culpabilité et de tous les critères idoines, puis de choisir, si la quotité le permet, le genre de peine ou de prononcer la seule peine applicable au cas d’espèce. 

Si l’on salue la volonté de notre Haute cour de mettre en avant l’objectif de prévention spéciale et ainsi l’adéquation du genre de peine à ce but, force est de constater qu’il est difficile de dégager une cohérence d’ensemble de la loi (en elle-même) et de la jurisprudence y relative. Le Tribunal fédéral s’y est lui-même laissé prendre.

Proposition de citation : Camille Perrier Depeursinge, Peine pécuniaire et lex mitior : le nouveau droit n’est pas plus favorable – vraiment ?, in : https://www.crimen.ch/4/ du 7 juin 2021