La compétence du juge unique selon l’art. 19 al. 2 CPP

La compétence d’un juge unique se limite strictement au cadre légal de l’art. 19 al. 2 CPP. La décision qui a pour effet de rendre exécutoire une privation de liberté globale de plus de deux ans ne relève ainsi pas de la compétence du juge unique, même si la décision ne contient pas elle-même une telle peine.

Dans un jugement entré en force, le Tribunal d’arrondissement de Pfäffikon a condamné en octobre 2017 un prévenu (ci-après A) à 30 mois de peine privative de liberté pour de multiples infractions essentiellement liées à des violations de la LCR. En outre, il a ordonné un traitement ambulatoire en raison de la dépendance de A à l’alcool et a donc reporté l’exécution de sa peine privative de liberté conformément à l’art. 63 al. 2 CP. En janvier 2020, le Tribunal des arrondissements de Soleure et Lebern – ayant siégé en juge unique – a reconnu A coupable de nouvelles infractions à la LCR et l’a condamné à une peine privative de liberté de 16 mois. Le juge unique a également révoqué le traitement ambulatoire prononcé en 2017 par le Tribunal d’arrondissement de Pfäffikon, ce qui a rendu exécutoire la peine privative de liberté initiale.

Formant un appel devant la cour cantonale, A conteste la compétence du juge unique en l’espèce et considère que la décision rendue doit être annulée et la cause renvoyée en première instance pour une nouvelle décision. Par décision incidente, la cour cantonale a rejeté la demande de renvoi à l’autorité de première instance et a confirmé la compétence du juge unique.

Saisi du recours, le Tribunal fédéral commence, dans un premier temps, par rappeler les contours de l’art. 19 al. 2 CPP (c. 2.2). Cette disposition permet à la Confédération et aux cantons d’instaurer la compétence d’un juge unique statuant comme tribunal de première instance dans certaines affaires, à savoir : en matière de contraventions (let. a) et de délits et de crimes (let. b). Cependant, l’art. 19 al. 2 let. b CPP limite la compétence du juge unique aux crimes et délits pour lesquels un ministère public ne requiert pas de peine privative de liberté de plus de deux ans (avec ou sans révocation d’un sursis), un internement (art. 64 CP), ou un traitement (art. 59 al. 3 CP). Conformément à l’art. 334 al. 1 CPP, le tribunal se dessaisit de l’affaire lorsqu’il constate que la peine ou la mesure qu’il aurait à prononcer ne relève pas de sa compétence. La procédure probatoire doit alors être reprise depuis le début par le tribunal nouvellement saisi (art. 334 al. 1 in fine CPP).

Dans un deuxième temps, le Tribunal fédéral présente la genèse de l’art. 19 CPP et l’institution du juge unique en droit pénal. À ce titre, il rappelle que le Conseil fédéral avait modifié le projet de la disposition en tenant compte des critiques émises lors de la procédure de consultation. Le Conseil fédéral avait ainsi circonscrit l’éventualité d’un juge unique aux affaires pouvant aller jusqu’à deux ans de peine privative de liberté plutôt que trois, comme envisagé initialement (c. 2.4). Les juges fédéraux exposent ensuite les différentes utilisations de la compétence accordée aux cantons au travers de l’art. 19 al. 2 CPP (c. 2.5). Il ressort ainsi que la grande majorité des cantons n’ont pas fait un plein usage de cette compétence puisque seuls sept cantons ont effectivement prévu un juge unique en cas de peine privative de liberté de deux ans. Les autres cantons ont en effet préféré restreindre davantage la compétence du juge unique. Le Tribunal fédéral estime donc que le pouvoir de condamnation du juge unique est encore considéré comme trop large, ce qui fait d’ailleurs l’objet de critiques de la part de la doctrine (c. 2.6).

Se fondant sur la doctrine, le Tribunal fédéral poursuit son raisonnement en expliquant qu’un certain « malaise » (Unbehagen) relatif aux pouvoirs très (trop ?) étendus du juge unique est compréhensible. Aucune délibération n’ayant lieu, le jugement rendu par un seul juge pourrait perdre en qualité. En effet, le Tribunal fédéral estime que l’intervention de plusieurs autres juges permettrait de révéler des aspects qui échapperaient aux yeux d’un juge unique. De plus, la collégialité au sein d’une autorité de jugement permet de confronter les avis des différents juges et tend à améliorer l’acceptation du jugement pour la personne concernée. Enfin, la décision rendue par plusieurs juges évite de faire reposer la responsabilité de celle-ci sur les épaules d’une seule et même personne (c. 2.7).

Pour toutes ces raisons, le Tribunal fédéral estime que l’art. 19 al. 2 CPP doit être appliqué de façon restrictive (c. 2.8). Il s’ensuit que la compétence d’un juge unique pour une peine ou une mesure excédant deux ans de peine privative de liberté doit être absolument exclue. Selon notre Haute Cour, le critère déterminant pour évaluer la compétence d’un juge unique s’examine au regard de la globalité de la privation de liberté prononcée par celui-ci. Doivent donc être pris en compte les effets d’une révocation d’un sursis, d’un traitement ou d’une libération conditionnelle (c. 2.8). Or, en l’espèce, le juge unique a non seulement condamné le prévenu à une peine privative de liberté de 16 mois, mais il a également révoqué le traitement ambulatoire (prononcé en 2017). La révocation dudit traitement a ainsi eu pour effet de rendre exécutoire la peine de 30 mois de privation de liberté prononcée dans le jugement de 2017. Dès lors, force est de constater que le juge unique a outrepassé ses compétences puisque son jugement aboutissait concrètement à une peine privative de liberté globale de 46 mois. Celle-ci dépassait ainsi largement les limites de l’art. 19 al. 2 CPP (c. 2.9). Par conséquent, le juge unique aurait dû se dessaisir de l’affaire et la transférer au tribunal compétent pour une nouvelle instruction de preuve, conformément à l’art. 334 al. 1 CPP (c. 2.9 à 2.11). Le fait que le juge unique n’ait pas directement prononcé la peine privative de liberté de 30 mois n’y change rien. En effet, est bien plus décisif le fait qu’en raison de la seule décision rendue par le juge unique, le prévenu aurait eu à subir une peine privative de liberté globale de plus de deux ans.

Le raisonnement du Tribunal fédéral est à saluer aussi bien dans la forme que dans le fond. De manière très didactique, notre Haute Cour rappelle que l’institution du juge unique doit strictement se limiter au cadre fixé par l’art. 19 al. 2 CPP. Les juges fédéraux précisent surtout qu’un juge unique ne saurait prononcer une décision qui engendre une peine privative de liberté globale de plus de deux ans notamment au travers d’une révocation d’un traitement ou d’un sursis. Cela vaut quand bien même cette décision ne contient pas elle-même une peine ou une mesure sortant du champ de compétence du juge unique. En fin de compte, il faut donc examiner les effets concrets et globaux provoqués par la décision d’un juge unique. La limitation des compétences d’un juge unique nous paraît justifiée au vu de l’importance de la peine ou de la mesure prononcée et de la pratique des cantons. De plus, ainsi que la doctrine et le Tribunal fédéral le soulignent, un jugement découlant de réflexions et de délibérations collégiales participe à l’amélioration de sa qualité et de son acceptation auprès des personnes concernées.

Proposition de citation : Hadrien Monod, La compétence du juge unique selon l’art. 19 al. 2 CPP, in : https://www.crimen.ch/17/ du 14 juillet 2021