I. En fait
A purge actuellement une peine privative de liberté de 18 ans au sein de l’établissement B en raison d’une condamnation pour lésions corporelles simples qualifiées, voies de fait qualifiées, mise en danger de la vie d’autrui, menaces qualifiées, actes d’ordre sexuel avec des enfants, contrainte sexuelle aggravée, viol aggravé, tentative de viol aggravé, pornographie, inceste, complicité d’inceste et violation du devoir d’assistance et d’éducation.
La direction de l’établissement B a saisi trois courriers adressés à A par sa mère et son frère, en raison de leur contenu, soit de nombreuses photographies d’enfants, sans doute ceux de A, et par conséquent victimes pénales de ce dernier. La direction de B a précisé qu’elle transmettrait ces photographies à A uniquement avec le consentement écrit de chaque victime y figurant, respectivement de leur curateur. Par ailleurs, l’Office d’exécution des peines (OEP) a interdit à A de prendre contact avec sa femme et ses enfants.
Sur recours de A contre la décision de la direction, la Cheffe du Service pénitentiaire vaudois (SPEN) argue que les photographies ont déjà été restituées aux proches du recourant et rend une décision d’irrecevabilité. Le Tribunal cantonal annule la décision et renvoie la cause à la Cheffe du SPEN afin qu’elle se prononce sur le fond. Cette dernière rejette le recours, décision qui est ensuite confirmée par le Tribunal cantonal. A porte la cause devant le Tribunal fédéral (TF) et conclut à l’annulation de la « censure opérée par les autorités cantonales » et à ce qu’il soit mis au bénéfice de l’assistance judiciaire dès la procédure devant le SPEN.
II. En droit
Après avoir admis la recevabilité du recours (c. 1), le TF rappelle que le droit des personnes détenues à entretenir des contacts avec les membres de leur famille repose sur la garantie de la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst.) et sur le droit au respect de la vie privée et familiale (art. 8 CEDH et 13 Cst.), dans les limites découlant de la mesure de contrainte qui leur est imposée et du rapport de sujétion spécial qui les lie à l’État (ATF 145 I 318, c. 2.1). Les restrictions à ces droits doivent reposer sur une base légale et ne pas dépasser ce qui est nécessaire à des fins d’incarcération et au fonctionnement de l’établissement pénitentiaire, conformément à l’art. 36 Cst. Par ailleurs, le principe de proportionnalité exige une évaluation des intérêts en tenant compte de divers facteurs tels que les objectifs de la détention, la sécurité de l’établissement, la durée de l’incarcération et la situation personnelle du détenu. La Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH) reconnaît que certaines ingérences dans le droit à la correspondance d’un détenu sont admissibles, mais elles doivent être évaluées en fonction des exigences normales et raisonnables de la détention. La défense de l’ordre public et la prévention des infractions pénales peuvent justifier des restrictions plus importantes pour un détenu que pour une personne en liberté (v. not. CourEDH Golder c. Royaume-Uni du 21.2.1975, § 45) (c. 2.1). En outre, la possibilité de telles restrictions n’est pas remise en cause par la doctrine (c. 2.3).
Selon l’art. 74 CP, le détenu et la personne exécutant une mesure ont droit au respect de leur dignité ; l’exercice de leurs droits ne peut être restreint que dans la mesure requise par la privation de liberté et par les exigences de la vie collective dans l’établissement (c. 3.2). Par ailleurs, l’art. 75 al. 1 CP prévoit que l’exécution de la peine privative de liberté doit améliorer le comportement social du détenu, en particulier son aptitude à vivre sans commettre d’infractions, et qu’elle doit correspondre autant que possible à des conditions de vie ordinaires, assurer au détenu l’assistance nécessaire, combattre les effets nocifs de la privation de liberté et tenir compte de manière adéquate du besoin de protection de la collectivité, du personnel et des codétenus. Pour ce faire, un plan d’exécution est établi avec le détenu, portant notamment sur ses relations avec le monde extérieur (art. 75 al. 3 CP) (c. 3.2.1).
Le TF rappelle les dispositions du Concordat du 10 avril 2006 sur l’exécution des peines privatives de liberté et des mesures concernant les adultes et les jeunes adultes dans les cantons latins (C-EPMCL), de la loi du 4 juillet 2006 sur l’exécution des condamnations pénales (LEP/VD) ainsi que celles du règlement du 16 août 2017 sur le statut des personnes condamnées exécutant une peine privative de liberté ou une mesure (RSPC/VD) trouvant application en l’espèce, notamment relatives au plan d’exécution. Il souligne que celui-ci peut régler les relations du détenu avec l’extérieur (art. 35 let. j RSPC/VD), droit prévu et encadré par les art. 84 CP et 89 RSPC/VD. L’art. 156 CPP permet à la Confédération et aux cantons de prévoir des mesures visant à protéger des personnes en dehors de la procédure (c. 3.2.2, 3.2.3 et 3.3).
En l’espèce, la cour cantonale vaudoise a estimé que l’autorité d’exécution des peines avait l’obligation de prendre toute mesure utile pour protéger la personnalité des victimes, en vertu de l’art. 28 CC. Elle a considéré qu’en raison de l’extrême gravité des faits commis par A sur la majorité de ses enfants, l’envoi de photographies de ceux-ci sans leur consentement (ou celui de leurs représentants légaux) serait constitutif d’atteinte à leur personnalité (c. 4.1).
A estime quant à lui que la direction de B, bien qu’en droit d’ouvrir sa correspondance selon l’art. 89 al. 3 et 5 RSPC/VD, ne peut refuser de lui transmettre les photographies de ses enfants. D’après lui, seul un juge civil saisi par ses enfants est compétent pour interdire la communication de ces photographies. De plus, il argue que la possession de photographies de ses enfants est en deçà du seuil de tolérance acceptable au sein d’une famille, d’autant plus que ses enfants ne s’en sont pas plaints. Il soutient également que toute éventuelle illégalité, selon l’art. 28 CC, serait couverte par son intérêt personnel à préserver des souvenirs de sa famille (c. 4.2).
Notre Haute Cour rappelle que les restrictions imposées au droit d’un détenu de recevoir des photographies de ses enfants de la part de tiers sont basées sur les motifs à l’origine de sa condamnation pénale. Lorsque les enfants sont les victimes directes d’infractions graves, il peut être nécessaire de prendre des mesures de protection pour garantir leurs droits et libertés. Dans le cas d’enfants victimes de viols et d’agressions sexuelles graves, qui pourraient être exposés à un risque de victimisation secondaire, d’intimidation et de représailles, le respect effectif de leur vie privée (art. 13 al. 1 Cst. et 8 CEDH) implique la mise en place de mesures de protection spécifiques, même dans les relations interpersonnelles (cf. CourEDH J.L. c. Italie du 27.5.2021, § 119). In casu, dans le canton de Vaud, l’art. 81 al. 3 RSPC/VD prévoit que des mesures particulières sont prises lors des visites parent-enfant, en particulier lorsque l’enfant est victime directe ou indirecte de l’infraction commise par son parent (c. 5.1).
En l’espèce, les relations avec le monde extérieur que peut entretenir A sont régies par le plan d’exécution de sa peine, qui prévoit qu’il n’est pas autorisé à entrer en contact, directement ou indirectement, avec les victimes de ses crimes. De plus, l’OEP lui a expressément interdit d’entrer en contact avec sa femme et ses enfants. Bien que les différentes mesures de protection des victimes puissent être prises par le juge civil dans le cadre des relations de droit privé (ATF 101 II 177, c. 3), elles découlent également de la mesure de contrainte imposée aux détenus et du rapport de sujétion spécial qui les lie à l’État. Par ailleurs, il existe un intérêt public important (au sens de l’art. 36 Cst.) à protéger la personnalité de tiers lors du contrôle de leur correspondance. Il incombe aux autorités publiques chargées de l’exécution de la peine de s’efforcer de protéger les victimes d’infractions, a fortiori lorsqu’il s’agit d’enfants victimes de crimes graves (c. 5.2).
Ainsi, selon le TF, c’est à juste titre que la cour cantonale a conclu qu’il ne peut être remis des photographies d’enfants victimes de crimes particulièrement graves commis par leur père à celui-ci sans leur consentement. En outre, cette interdiction ne touche pas les relations de A avec l’extérieur en général mais uniquement avec ses victimes, avec lesquelles tout contact, direct ou indirect, est actuellement exclu. S’agissant de la proportionnalité de cette interdiction, il suffisait à A de contacter les curateurs de ses enfants afin d’obtenir leur consentement. Par ailleurs, aucun préjudice personnel, social ou moral, qui serait considéré comme une conséquence prévisible des graves infractions pénales commises, ne saurait justifier l’argument selon lequel les intérêts des enfants devraient céder le pas au droit de A à posséder un souvenir de ses victimes. Ainsi, cette mesure est proportionnée et ne dépasse pas ce qui est nécessaire (c. 5.3 et 5.4).
Au vu de ce qui précède, notre Haute Cour rejette l’intégralité du recours de A (c. 7).