I. En fait
Par ordonnance pénale du 5 juillet 2022, le Ministère public du canton de Schaffhouse a condamné A, domicilié en Allemagne, à une amende de CHF 210.- pour infractions multiples aux règles de la circulation routière. Suite à l’opposition de A, le Ministère public a maintenu l’ordonnance pénale et transmis le dossier au Tribunal par décision du 4 avril 2023.
Le 20 avril 2023, le Tribunal de première instance a convoqué A pour le 5 juin 2023. Le 9 mai 2023, celui-ci a demandé à être « déchargé », en invoquant notamment son domicile à l’étranger et l’illicéité de la notification postale sans entraide judiciaire. Le 12 juin 2023, une nouvelle citation à comparaître a été envoyée pour une audience fixée le 26 juillet 2023. A a été dispensé de comparaître personnellement, mais avec l’obligation de se faire représenter par un avocat, faute de quoi l’opposition serait considérée comme retirée.
Constatant que ni A ni un avocat ne s’est présenté à l’audience, le Tribunal de première instance a rayé du rôle la procédure le 7 août 2023 et constaté que l’ordonnance pénale du 5 juillet 2022 était entrée en force. Le 1er décembre 2023, la Cour suprême du canton de Schaffhouse a rejeté le recours formé contre cette décision. A forme alors un recours en matière pénale au Tribunal fédéral.
II. En droit
Le recourant invoque la violation de la souveraineté territoriale allemande par les autorités suisses et estime qu’en tant que prévenu domicilié en Allemagne, il n’est pas tenu de donner suite à une citation à comparaître émise par une autorité pénale suisse. Selon lui, la fiction de retrait ne pouvait pas s’appliquer dans le présent cas de figure (c. 1-3.1).
Selon l’art. 356 al. 4 CPP, si l’opposant fait défaut aux débats sans être excusé et sans se faire représenter, son opposition est réputée retirée. La compétence de la Confédération suisse se limite au territoire national. Les autorités pénales suisses peuvent donc, dans les conditions prévues par la loi, exercer une contrainte sur le prévenu qui se trouve en Suisse, mais pas sur celui qui se trouve à l’étranger. Elles peuvent certes adresser une citation à comparaître au prévenu se trouvant à l’étranger, mais elles ne peuvent toutefois pas l’assortir de menaces de contrainte sans procéder par la voie de l’entraide judiciaire. La citation à comparaître représente donc une invitation dans la procédure en cause. Si le prévenu n’y donne pas suite, il ne doit subir aucun préjudice de droit ou de fait. L’opposition à l’ordonnance pénale ne peut par conséquent pas être retirée sur la base de l’art. 355 al. 2 CPP, respectivement l’art. 356 al. 4 CPP en cas d’absence du prévenu à l’audition fixée en Suisse par le Ministère public ou aux débats de première instance (ATF 140 IV 86, c. 2.4 ; TF 6B_1456/2021 du 7.11.2022, c. 2.2.3 ; 6B_282/2019 du 5.4.2019, c. 3 ; 6B_615/2017 et 6B_614/2017 du 2.5.2018, c. 1.2 ; 6B_678/2015 du 28.9.2015, c. 1.3 et 6B_404/2014 du 5.6.2015, c. 1.3) (c. 3.2).
En l’espèce, le recourant est domicilié en Allemagne, où le Tribunal de première instance lui a adressé une première citation à comparaître le 20 avril et une seconde le 12 juin 2023. La première convocation l’obligeait à participer personnellement aux débats principaux, sous peine de voir son opposition considérée comme retirée, ce qui, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, n’est pas admissible dans le cas d’un prévenu se trouvant à l’étranger. Ce vice ne saurait être réparé par la seconde convocation, où il est renoncé à une comparution personnelle à condition de se faire représenter par un avocat lors de l’audience principale, toujours sous peine de voir son opposition considérée comme retirée. C’est donc à tort que l’instance précédente a décidé que le Tribunal de première instance pouvait rayer du rôle la procédure comme étant sans objet parce que le recourant ne s’est pas présenté à l’audience et ne s’est pas non plus fait représenter par un avocat (c. 3.3).
Le Tribunal fédéral estime que même si l’on devait admettre, avec l’instance précédente, que la Suisse peut, en vertu de l’art. IIIA de l’Accord entre la Confédération suisse et la République fédérale d’Allemagne en vue de compléter la Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959 et de faciliter son application du 13 novembre 1969 (RS 0.351.913.61), convoquer obligatoirement en Suisse des prévenus domiciliés en Allemagne et assortir ces convocations de menaces de défaut, en l’occurrence d’une fiction de retrait, le fait de ne pas se présenter ou de ne pas se faire représenter à l’audience principale ne saurait entraîner « tel quel » l’entrée en force de l’ordonnance pénale. En effet, la fiction de retrait au sens de l’art. 356 al. 4 CPP ne s’applique que si l’ensemble du comportement de l’intéressé permet de conclure qu’il renonce sciemment, par son désintérêt pour la suite de la procédure, à la protection juridique à laquelle il a droit, étant entendu qu’une renonciation consciente suppose une connaissance des conséquences de l’absence de participation (ATF 146 IV 30, c. 1.1.1 ; 142 IV 158, c. 3.1 et 3.3 ; 140 IV 82, c. 2.3 et 2.6 ; TF 6B_152/2013 du 27.5.2013, c. 4.5.1) (c. 4.1).
Selon notre Haute Cour, une telle conclusion ne peut pas être tirée en l’espèce, d’autant plus que le recourant a toujours réagi aux citations qui lui ont été adressées notamment en affirmant à plusieurs reprises et sans équivoque que les ressortissants étrangers ne pouvaient être contraints ni de se rendre en Suisse ni de témoigner en Suisse sans procéder par la voie de l’entraide judiciaire. Le recourant, en tant que profane, a ainsi suffisamment manifesté sa volonté de continuer à participer à la procédure et de défendre ses droits en vue de contester la décision de première instance ou l’ordonnance pénale. Les juges fédéraux estiment qu’en vertu des règles de la bonne foi, il n’est donc pas possible de déduire de l’absence ou de la non-représentation aux débats principaux un désintérêt pour la suite de la procédure, respectivement considérer que le recourant a sciemment renoncé à poursuivre la procédure. Au vu de ce qui précède, le recours est admis (c. 4.2-5).