I. En fait
Le 6 décembre 2019, A est soumis à un contrôle par les gardes-frontière suisses, alors qu’il tentait de pénétrer sur le territoire avec son véhicule. Lors de ce contrôle, les gardes-frontières fouillent le coffre de la voiture et y découvrent 175 plants de chanvre, ainsi qu’une boîte en carton contenant 0,7 g de marijuana.
Par ordonnance pénale du 3 juin 2020, le Ministère public du Canton de Saint-Gall reconnaît A coupable d’infraction à la LStup au sens des art. 19 al. 1 let. b LStup (importation de stupéfiants) et 19a ch. 1 LStup (importation de stupéfiants pour sa propre consommation) et le condamne à une peine privative de liberté de 6 mois avec sursis, assortie d’un délai d’épreuve de trois ans, ainsi qu’à une amende de CHF 500.-. Il ordonne également la confiscation et la destruction des stupéfiants saisis. A forme opposition à l’encontre de cette ordonnance.
Par jugement du 12 mai 2021, le Tribunal d’arrondissement de Rheintal acquitte A du chef d’accusation de l’art. 19a ch. 1 LStup (importation de stupéfiants pour sa propre consommation). En revanche, il le condamne sur la base de l’art. 19 al. 1 let. b LStup (importation de stupéfiants) à une peine pécuniaire avec sursis de 50 jours-amende à CHF 30.- , assortie d’un délai d’épreuve de deux ans. Il ordonne également la confiscation des stupéfiants.
Le 23 août 2022, le Tribunal cantonal de Saint-Gall confirme l’acquittement de A du chef d’accusation de l’art. 19a ch. 1 LStup (importation de stupéfiants pour sa propre consommation) et le condamne sur la base de l’art. 19 al. 1 let. b LStup (importation de stupéfiants). Il retient une peine complémentaire à la peine pécuniaire avec sursis de 10 jours-amende à CHF 30.- et ordonne la confiscation et la destruction des stupéfiants.
A interjette recours en matière pénale contre ce jugement auprès du Tribunal fédéral.
II. En droit
A conteste notamment sa condamnation pour infraction à la LStup en faisant valoir qu’il n’existe aucune preuve d’une saisie ordonnée oralement par le Ministère public. Or, même si l’on admet qu’une saisie a bien été ordonnée à l’oral, elle n’a pas été confirmée par la suite par écrit contrairement à ce que prévoit l’art. 263 al. 2 CPP. Les preuves obtenues à la suite de ce séquestre sont donc, selon A, inexploitables (c. 4.1).
De manière générale, le CPP n’exige pas la forme écrite pour ordonner des mesures de contrainte, sauf disposition spéciale contraire. Lorsqu’une mesure de contrainte doit être ordonnée par écrit et qu’elle ne doit pas être tenue (provisoirement) secrète, une copie de l’ordre d’un éventuel procès-verbal d’exécution est remise aux personnes directement concernées contre accusé de réception (art. 199 CPP ; ATF 147 IV 137, c. 4.1 ; TF 6B_665/2022 du 14.9.2022, c. 3.2.2). S’agissant en particulier du séquestre, l’art. 263 al. 2 CPP prévoit qu’il doit être ordonné par voie écrite, brièvement motivé. Cependant, en cas d’urgence il peut être ordonné oralement, mais doit par la suite être confirmé par écrit (c. 4.3.1 et 4.3.2).
En l’espèce, le recours d’A soulève la question de savoir si l’exigence de confirmation écrite ultérieure d’un séquestre prononcé oralement constitue une condition de validité (au sens de l’art. 141 al. 2 CPP) ou une prescription d’ordre (art. 141 al. 3 CPP). Le Tribunal fédéral observe que cette question est sujette à une controverse doctrinale (c. 4.4.1 et 4.4.2).
Afin de déterminer s’il s’agit d’une règle de validité ou d’une prescription d’ordre, il faut tout d’abord, en l’absence de qualification explicite par loi, examiner le but protecteur de la norme. Ainsi, si la règle de procédure est essentielle pour protéger les intérêts de la personne concernée et que ce but ne peut être atteint qu’en rendant l’acte de procédure invalide en cas de non-respect, il s’agit alors d’une règle de validité (ATF 148 IV 22, c. 5.5.1 ; 144 IV 302, c. 3.4.3 ; 139 IV 128, c. 1.6 ; TF 7B_258/2022 du 18.1.2024, c. 2.1.3) (c. 4.4.3).
Le but de protection de l’obligation, imposée au Ministère public par l’art. 263 al. 2 CPP, de confirmer par écrit un séquestre ordonné oralement, peut être déduit de l’art. 199 CPP. Cette disposition établit, d’une part, l’obligation de documentation dans les procédures pénales (cf. art. 100 CPP) et, d’autre part, garantit le droit d’être entendu (art. 29 al. 2 Cst.) de la personne concernée. De plus, ce droit implique que les autorités consignent par écrit tous les éléments pertinents pour la procédure et qu’elles constituent et gèrent les dossiers de manière complète et précise. Dans une procédure pénale, cela signifie que les moyens de preuve, lorsqu’ils ne sont pas directement recueillis lors des débats, doivent être inclus dans le dossier d’instruction. En outre, il doit y être indiqué comment ces éléments ont été obtenus, afin que le prévenu puisse vérifier s’ils présentent des vices de fond ou de forme et, si nécessaire, contester leur admissibilité. Cette exigence est cruciale pour que le prévenu puisse exercer pleinement ses droits de défense (TF 6B_682/2023 du 18.10.2023, c. 1.1 ; TF 6B_307/2012 du 14.2.2013, c. 3.1). Par ailleurs, le droit d’être entendu impose également aux autorités de motiver leurs décisions, cette motivation devant être rédigée de manière à ce que la personne concernée comprenne la portée de la décision et puisse, en connaissance de cause, la contester devant l’instance supérieure (ATF 150 III 1, c. 4.5 ; 148 III 30, c. 3.1 ; 145 III 324, c. 6.1). Le Tribunal fédéral souligne également que, selon l’art. 263 al. 2, 1ère phr. CPP, l’ordonnance de séquestre doit être « brièvement motivée » (c. 4.4.4).
Ordonner un séquestre au moyen d’une décision écrite et motivée est une condition essentielle à son contrôle. En effet, seule une confirmation écrite, comme l’exige l’art. 263 al. 2 CPP, permet de connaître les motifs d’un séquestre prononcé oralement. Le délai de recours de 10 jours prévu à l’art. 396 al. 1 CPP ne commence à courir qu’à partir de la notification écrite de l’ordonnance de séquestre, incluant les voies de recours. Bien que la loi autorise un séquestre oral en cas d’urgence (art. 263 al. 2, 2ème phr. CPP), l’absence de confirmation écrite empêche la notification adéquate de la motivation du séquestre à la personne concernée. Une protection juridique efficace contre les saisies, garantie par le CPP, requiert donc qu’une décision écrite puisse être contestée (art. 199 CPP). L’art. 241 al. 1 CPP impose aussi au Ministère public de confirmer par écrit une mesure de contrainte ordonnée oralement, comme les perquisitions et les enquêtes (c. 4.4.5 et 4.4.6).
En l’espèce, l’instance précédente a constaté que le séquestre ordonné oralement n’a pas été confirmé par écrit, contrairement à l’art. 263 al. 2 CPP (art. 105 al. 1 LTF). L’hypothèse d’une guérison de ce vice de forme par l’émission ultérieure d’une ordonnance conforme ne semble donc pas envisageable. En outre, et contrairement à l’avis de l’instance inférieure, le fait que le recourant aurait pu demander une confirmation écrite au Ministère public pour contester le séquestre n’a aucune incidence sur l’obligation de ce dernier de confirmer le séquestre par écrit. En effet, selon le libellé clair de l’art. 263 al. 3 CPP, cette obligation existe indépendamment du fait que la personne concernée par le séquestre exige ou non une telle confirmation écrite ultérieure (c. 4.4.8).
Indépendamment de la question de savoir de savoir si l’instance précédente aurait pu conclure que le Ministère public avait bien ordonné le séquestre oralement, cette affaire illustre les difficultés de preuve qu’implique un séquestre purement oral, sans confirmation écrite (ATF 147 IV 137, c. 5.2). En l’absence de confirmation écrite, les droits du recourant, en tant que prévenu, n’était pas suffisamment protégés. Le procès-verbal de l’interrogatoire de police ne contient pas d’informations indiquant que la motivation de la saisie lui ait été notifiée en bonne et due forme. Le choix du Ministère public de procéder par séquestre oral a ainsi rendu impossible une contestation appropriée de cette mesure de contrainte. Sans notification écrite, le délai de recours de 10 jours (art. 396 al. 1 CPP) ne pouvait commencer à courir. Cette procédure contrevient à l’obligation de documentation des autorités et au droit d’être entendu du prévenu. Les déclarations de l’avocat lors de l’audience d’appel, indiquant qu’il aurait pu s’opposer à la saisie sur la base des documents au dossier, ne peuvent être retenues, car aucun document justifiant la saisie n’y figure. Une condition essentielle pour le contrôle de la saisie, soit l’existence d’une décision écrite et motivée, n’était donc pas remplie (c. 4.4.10).
Au vu de ce qui précède, l’obligation du Ministère public de confirmer ultérieurement par écrit la saisie ordonnée oralement (art. 263 al. 2 CPP) constituait une prescription de validité au sens de l’art. 141 al. 2 CPP. Par conséquent, le chanvre ainsi que les analyses effectuées sur ces plants ne sont pas exploitables au sens de l’art. 141 al. 4 CPP. Le recours est donc fondé sur ce point (c. 4.4.11).
Par conséquent, le recours est admis. La décision attaquée doit être annulée et l’affaire renvoyée à l’instance précédente pour nouveau jugement (c. 6).