I. En fait
Par jugement du 10 mai 2019, la Cour suprême du canton de Berne a condamné A à une peine privative de liberté de 36 mois, dont 10 mois ferme. A dépose une demande pour exécuter sa peine sous surveillance électronique (electronic monitoring), subsidiairement sous semi-détention. Sa demande est rejetée par décision du 23 août 2021, confirmée par la Direction de la sécurité du canton de Berne, puis par la Cour suprême.
A forme un recours en matière pénale auprès du Tribunal fédéral (TF). Elle demande à pouvoir exécuter sa peine sous surveillance électronique. Subsidiairement, elle requiert la mise en œuvre d’une expertise sur sa capacité à subir une détention.
II. En droit
Le recours étant dirigé contre une décision sur l’exécution d’une peine, le Tribunal entre en matière sur le recours (art. 78 al. 2 let. b LTF) (c. 1). Sur le fond, A soutient que la décision attaquée est contraire aux art. 13 al. 1 Cst., 8 par. 1 CEDH et 79b CP (c. 2.1).
Les juges fédéraux sont amenés à examiner le bien-fondé de la jurisprudence relative à la limite temporelle de douze mois fixée à l’art. 79b al. 1 CP, développée sur la base d’anciens projets pilotes cantonaux et maintenue après l’introduction de la surveillance électronique sur le plan fédéral le 1er janvier 2018. Selon cette jurisprudence, la surveillance électronique ne peut être ordonnée que lorsque la peine privative de liberté dans son ensemble (cumul de la partie ferme et de la partie avec sursis) n’excède pas douze mois (cf. art. 43 al. 1 et 2 CP ; TF 6B_223/2021 du 27.4.2022, c. 2.2.6) (c. 2.2.3-2.2.4).
La surveillance électronique, tout comme la semi-détention (art. 77b CP) et le travail d’intérêt général (art. 79a CP), constituent des alternatives à l’exécution d’une courte peine privative de liberté dans un établissement pénitentiaire (c. 2.2.1). De plus, elle permet d’atténuer les effets négatifs d’une détention sur le travail de la personne condamnée, ainsi que sur sa sphère sociale et familiale (c. 2.3.10). Ainsi, conformément à l’art. 79b al. 1 let. a CP, l’autorité d’exécution peut ordonner l’utilisation d’un appareil électronique fixé au condamné qui en fait la demande, au titre de l’exécution d’une peine privative de liberté ou d’une peine privative de liberté de substitution de vingt jours à douze mois (limite temporelle). Le port du bracelet électronique est autorisé aux conditions (matérielles) suivantes (al. 2) : il n’y a pas lieu de craindre que le condamné s’enfuie ou commette d’autres infractions (let. a) ; il dispose d’un logement fixe (let. b) ; il exerce une activité régulière, qu’il s’agisse d’un travail, d’une formation ou d’une occupation, pendant au moins 20 heures par semaine, ou il est possible de l’y assigner (let. c) ; les personnes adultes faisant ménage commun avec lui y consentent (let. d) ; il approuve le plan d’exécution établi à son intention (let. e) (c. 2.2.2).
Après avoir constaté que ni le texte de cette disposition, ni le message du Conseil fédéral relatif à la réforme du droit des sanctions (FF 2012 4385, 4411) ne permettent de déterminer comment calculer la limite temporelle de douze mois en cas de sursis partiel (cf. art. 43 CP), le TF se réfère aux débats parlementaires (c. 2.3.3-2.3.4). Devant le Conseil national, les membres de la Commission ont débattu sur le sursis partiel en lien avec l’art. 79b CP. Tous les intervenants semblaient partir de l’idée que la limite de douze mois prévue à cet article faisait référence non seulement à la durée d’une peine privative de liberté ferme, mais aussi à la partie ferme d’une peine assortie du sursis partiel (c. 2.3.4).
Jusqu’à présent, le TF considérait qu’autoriser la surveillance électronique pour une peine d’ensemble supérieure à douze mois n’était pas conforme au droit, car le texte légal voulait qu’une partie de la peine soit directement exécutée. En outre, le législateur souhaitait que les « délits graves » ne puissent pas bénéficier de ce mode d’exécution (cf. entre autres : TF 6B_1253/2015 du 17.3.2016, c. 2.6). Les juges fédéraux réfutent à présent cette argumentation en relevant que premièrement, une peine exécutée au moyen du bracelet électronique reste une peine directement exécutée, mais dans une forme particulière, et que secondement, rien ne justifie d’exclure les infractions graves du champ d’application de l’art. 79b CP, dès lors que cette restriction ne figure pas dans la loi et que la quotité de la peine prononcée ne renseigne pas nécessairement sur la gravité d’un délit (la peine étant fixée en fonction de la culpabilité de l’auteur et augmentée en cas de concours) (c. 2.3.5-2.3.6).
Une peine assortie du sursis (partiel) n’est possible que si le pronostic légal n’est pas défavorable (art. 42 et 43 CP). A l’inverse, elle doit être exécutée dans son intégralité lorsqu’il n’y a aucune chance que l’auteur amende son futur comportement grâce au sursis (ATF 144 IV 277, c. 3.3.1). L’interprétation actuelle de l’art. 79b CP autorise donc l’exécution sous bracelet électronique d’une courte peine privative de liberté ferme sans sursis, où le pronostic est défavorable, tandis qu’elle l’interdit pour une peine privative de liberté plus longue assortie du sursis partiel, alors que le pronostic est dans ce cas meilleur (c. 2.3.7).
Le TF se penche ensuite sur la limite temporelle de douze mois également prévue dans le cadre de la semi-détention (art. 77b al. 1 CP). La jurisprudence considère que cette limite temporelle se calcule uniquement sur la partie ferme de la peine (TF 6B_1321/2016 du 8.5.2017, c. 2.4) (c. 2.2.5). Et notre Haute Cour de se demander si cette différence de traitement entre la semi-détention et la surveillance électronique est justifiée. Elle rappelle que ces deux formes alternatives d’exécution de la peine sont conditionnées à l’absence de risque de récidive (art. 77b al. 1 let. a et 79b al. 2 let. a CP), qui doit être évalué de manière identique dans les deux cas (TF 7B_130/2023 du 9.2.2024, c. 2.2.3), ainsi qu’à l’absence de risque de fuite. Par conséquent, on ne saurait retenir que l’emprisonnement subi en semi-détention justifie une limite temporelle plus stricte en matière de surveillance électronique (c. 2.3.8). Le TF balaie également les doutes émis par les parlementaires sur le caractère punitif d’une surveillance électronique. En effet, la personne qui y est soumise n’est pas libre d’organiser sa vie comme elle l’entend ; elle doit respecter le plan d’exécution établi à son intention (cf. art. 79b al. 2 let. e CP). La surveillance électronique requiert ainsi plus d’autodiscipline que la semi-détention (c. 2.3.9). Le TF conclut en soulignant que l’objectif de prévention spéciale que poursuivent ces deux régimes postule lui-aussi de les traiter de manière uniforme, car ce but peut être atteint indépendamment du fait que la peine à exécuter est une courte peine privative de liberté ferme, ou la partie ferme d’une peine privative de liberté assortie du sursis partiel (c. 2.3.10).
Pour terminer, les juges fédéraux écartent l’argument de l’instance inférieure selon lequel appliquer un plafond identique de douze mois de prison ferme à la surveillance électronique et à la semi-détention rendrait cette dernière inopérante. Selon la Cour cantonale, en application du principe de proportionnalité, la mesure la moins incisive doit être privilégiée, ce qui impliquerait de choisir toujours la surveillance électronique plutôt que la semi-détention (cf. art. 79b al. 3 et 77b al. 4 CP). Or, le TF rappelle que la surveillance électronique est soumise à des exigences supplémentaires par rapport à la semi-détention (cf. art. 79b al. 1 let. b, d et e). Elle n’a ainsi pas systématiquement le pas sur la semi-détention (c. 2.3.11-2.3.12).
Au vu de l’ensemble de ces éléments, les juges fédéraux parviennent à la conclusion que les conditions d’un changement de jurisprudence sont réunies (pour le détail de ces conditions : cf. c. 2.3.1). Désormais, l’exécution d’une peine privative de liberté sous surveillance électronique peut être ordonnée tant que la peine ferme prononcée n’excède pas douze mois, comme en matière de semi-détention (c. 2.4).
En l’espèce, A, qui a été condamnée à une peine privative de liberté de 36 mois dont 10 mois ferme, remplit la limite temporelle fixée à l’art. 79b al. 1 CP. Par conséquent, le TF admet son recours et renvoie l’affaire à l’instance inférieure pour que cette dernière détermine si les autres conditions de la surveillance électronique sont remplies (cf. art. 79b al. 2 CP) (c. 2.5).
III. Commentaire
Le résultat auquel parvient le TF au terme de cette affaire doit être salué, tant l’ancienne pratique apparaît, au vu du nombre et de la pertinence des arguments soulevés, contraire à la volonté du législateur (cf. Thierry Urwyler, Electronic monitoring (Front Door) : Berechnung der zulässigen Maximalstrafe bei teilbedingten Freiheitsstrafen, Recht 2022, 24 ss., 31). On peut s’interroger si elle n’était pas déjà en contradiction avec le texte même de l’art. 79b al. 1 let. a CP, qui parle de « l’exécution d’une peine privative de liberté », ce qui ne peut faire référence qu’à une peine privative de liberté ferme, puisqu’une peine avec sursis n’est justement pas exécutée – pour peu qu’il ne soit pas révoqué (cf. art. 45 et 46 CP ; dans ce sens : Fabienne Germanier, Angehörigeninteressen in der Strafzumessung, Thèse Lucerne, Zurich/Bâle/Genève 2019, p. 297 s.). Sur le plan pratique, ce revirement de jurisprudence semble bénéfique tant pour l’Etat en termes de désengorgement des prisons, que pour les personnes condamnées, qui profiteront d’un élargissement de la possibilité de préserver leurs liens sociaux, familiaux et professionnels, à condition qu’ils remplissent les autres conditions nécessaire au prononcé de la surveillance électronique (CR CP I-Viredaz, art. 79b N 5). Le défenseur du prévenu sera ainsi bien inspiré de tenter d’obtenir une peine compatible avec la nouvelle limite temporelle fixée dans cet arrêt.