Réalisation de l’infraction d’escroquerie (art. 146 CP) lors de l’obtention frauduleuse d’un prêt « Covid-19 »

Quiconque fournit de simples fausses informations dans le cadre d’une demande de prêts « Covid-19 » se rend déjà coupable d’escroquerie au sens de l’art. 146 CP.

I. En fait 

Entre le 20 mars 2020 et le 28 juillet 2020, A et B, amis associés dans plusieurs projets professionnels, déposent plusieurs demandes de prêts « Covid-19 » au nom de diverses sociétés. Sur les formulaires idoines, ils inscrivent de faux chiffres d’affaires et joignent, sur demande de la banque, des bilans et des comptes de résultat fictifs. Les crédits sont accordés et les montants reversés aux diverses sociétés. 

Par jugement du 16 juin 2021, la Cour d’assise criminelle du Tribunal cantonal tessinois déclare A et B coupables d’escroquerie (art. 146 CP) et de faux dans les titres (art. 251 CP). 

Par arrêt du 21 décembre 2022, la Cour d’appel et de révision pénale du Tribunal cantonal tessinois acquitte A et B du chef d’escroquerie en lien avec les prêts « Covid-19 » dont ils ont pu bénéficier par leur société, ainsi que du chef d’accusation de faux dans les titres. 

Le Ministère public tessinois forme un recours en matière pénale auprès du Tribunal fédéral. 

II. En droit 

Dans le cadre de la crise sanitaire liée au coronavirus, le Conseil fédéral a adopté l’Ordonnance du 25 mars 2020 sur l’octroi de crédits et de cautionnement solidaires à la suite du coronavirus (c. 3). Compte tenu de l’urgence de la situation à l’époque, l’ordonnance prévoyait que les organisations de cautionnements accordaient sans formalités des cautionnements solidaires uniques pour des crédits bancaires jusqu’à concurrence de CHF 500’000.- (art. 3). L’octroi de ces crédits se faisait par le biais d’une demande se basant presque uniquement sur les déclarations du demandeur qui devait remplir en ligne le formulaire figurant à l’annexe 2 de l’ordonnance, puis le soumettre à la banque. La demande était ensuite traitée par une procédure simplifiée. La banque contrôlait si les conditions pour l’octroi étaient remplies, puis transmettait le formulaire à l’organisme de cautionnement. Elle ne se livrait pas à un examen approfondi de la demande. Le formulaire rempli par le demandeur faisait office de demande de crédit, ainsi que de contrat de crédit après son acceptation par la banque (c. 3.2).

Le Tribunal fédéral commence par rappeler que la question de savoir si l’obtention d’un crédit « Covid-19 » par la fourniture de fausses informations est constitutif ou non de l’infraction de l’art. 146 CP est controversée en doctrine et qu’il n’y a pas encore apporté de réponse (c. 4). 

L’art. 146 CP prévoit que quiconque, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime, induit astucieusement en erreur une personne par des affirmations fallacieuses ou par la dissimulation de faits vrais ou la conforte astucieusement dans son erreur et détermine de la sorte la victime à des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires ou à ceux d’un tiers, est puni d’une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d’une peine pécuniaire, se rend coupable d’escroquerie (c. 5). 

Dans un premier temps, les juges fédéraux analysent l’élément constitutif de la tromperie, laquelle doit être astucieuse. Selon la jurisprudence, il y a tromperie astucieuse lorsque l’auteur recourt à un édifice de mensonges, à des manoeuvres frauduleuses ou à une mise en scène, mais aussi lorsqu’il donne simplement de fausses informations, si leur vérification n’est pas possible, ne l’est que difficilement ou ne peut raisonnablement être exigée, de même que si l’auteur dissuade la dupe de vérifier ou prévoit, en fonction des circonstances, qu’elle renoncera à le faire en raison d’un rapport de confiance particulier (c. 5.1). Jusqu’ici, et sous réserve de l’existence d’une relation de confiance, le Tribunal fédéral a toujours nié l’existence de l’astuce en cas de transmission par l’auteur de fausses informations dont l’exactitude peut être vérifiée sans effort particulier (c. 5.1.2).

Compte tenu de la situation extraordinaire en lien avec l’épidémie de coronavirus, la vérification par la banque des informations transmises par le demandeur dans son formulaire n’était pas exigée. La banque était uniquement chargée de vérifier que le formulaire était complet. Les prêts « Covid-19 » s’apparentaient en substance à des prêts “sur parole” (“sulla parola”). Le Tribunal fédéral considère donc que ces prêts, conçus comme des “aides immédiates” aux PME, avaient un caractère exceptionnel et se distinguaient d’autres prêts ordinaires. Ils étaient régis par une réglementation spécifique et accordés sur la base d’une déclaration sur l’honneur. En outre, le demandeur était également rendu attentif aux conséquences pénales d’une fausse déclaration. Par conséquent, notre Haute Cour arrive à la conclusion que de simples fausses informations sont déjà constitutives d’une tromperie astucieuse compte tenu des particularités du mécanisme des crédits «Covid-19» mis en place pour faire face aux conséquences économiques de la pandémie (c. 5.1.4). 

Le Tribunal fédéral en vient ensuite à l’élément constitutif du dommage qui est donné lorsque la dupe réalise un acte de disposition portant atteinte à son patrimoine ou à celui d’autrui, pour autant que dans ce dernier cas, la personne trompée soit responsable du patrimoine d’autrui et qu’elle ait un pouvoir de disposition sur celui-ci. Dans sa jurisprudence, le Tribunal fédéral considère qu’un dommage peut être retenu lorsqu’un emprunteur trompe un prêteur quant à sa solvabilité ou ses capacités financières. Le crédit accordé se révèle alors moins sûr que ce qui avait été prévu par le prêteur, ce qui se traduit par une diminution de la valeur du prêt dans son bilan. Dans un tel cas, le dommage se produit dès la conclusion du contrat de prêt car, dès ce moment, un prêt est accordé à des conditions plus favorables que celles qui auraient été accordées en l’absence d’une tromperie, cela même lorsque la valeur du prêt est couverte par des sûretés car la solvabilité de l’emprunteur exerce notamment une influence sur le taux d’intérêts fixé (c. 5.2.1).

En accordant les prêts « Covid-19 », notre Haute Cour relève que la banque trompée a réalisé un acte de disposition sur son patrimoine. Toutefois, celle-ci n’a subi aucun dommage direct compte tenu du cautionnement solidaire automatique prévu dans l’ordonnance. C’est bien l’organisation de cautionnement qui peut être susceptible de subir un dommage, à tout le moins sous la forme d’une mise en danger de son patrimoine. Le Tribunal fédéral retient cependant que l’obtention frauduleuse d’un prêt « Covid-19 » représente une forme d’escroquerie triangulaire, dès lors que la dupe est responsable du patrimoine de la personne lésée (i.e l’organisation de cautionnement) et dispose à tout le moins de facto d’un pouvoir de disposition sur celui-ci. En outre, le dommage est causé dès la conclusion du contrat de prêt, si bien qu’il est sans importance que celui-ci soit ensuite remboursé (c. 5.2.2). 

En l’espèce, la Cour d’appel et de révision pénale du Tribunal cantonal tessinois a acquitté les prévenus de l’infraction d’escroquerie et nié l’existence d’un dommage au motif que le solde présent sur le compte bancaire de l’une des sociétés des prévenus était suffisant et couvrait le montant du prêt. Or, de l’avis du Tribunal fédéral, la capacité de remboursement n’implique pas nécessairement la volonté de rembourser. En gonflant astucieusement leur chiffre d’affaires et en fournissant de fausses informations comptables, les prévenus ont déjà manifesté leur réticence à rembourser les prêts qui leur avaient été octroyés. Dans ces circonstances, le risque que l’organisation de cautionnement doive activer sa garantie était donc fondé. Par conséquent, il retient que la condition du dommage est bel et bien remplie (c. 6.1.3). 

En définitive, le recours est partiellement admis et l’arrêt attaqué annulé, la cause étant renvoyée à l’autorité inférieure pour nouvelle décision (c. 10).

Proposition de citation : Saranda Demiri, Réalisation de l’infraction d’escroquerie (art. 146 CP) lors de l’obtention frauduleuse d’un prêt « Covid-19 », in : https://www.crimen.ch/311/ du 23 janvier 2025