I. En fait
Par jugement du 30 mai 2022 du Tribunal de police du canton de Genève, A est reconnu coupable de violation d’une obligation d’entretien (art. 217 al. 1 CP) et condamné à une peine privative de liberté de six mois, assortie du sursis durant quatre ans.
En substance, A ne s’est pas acquitté des contributions d’entretien mensuelles de CHF 30’000.- pour son épouse et CHF 5’000.- pour leur enfant commun par prononcé de mesures protectrices de l’union conjugale, la garde de ce dernier ayant été attribuée à la mère. Ces montants ont été fixés au vu du train de vie très élevé de la famille avant la séparation, les revenus de A ayant principalement permis de financer le ménage. Les contributions sont entrées en force le 1er décembre 2014, lorsque le Tribunal fédéral a rejeté les recours des époux (TF 5A_386/2014 et TF 5A_434/2014 du 1.12.2014). Le 5 novembre 2015, A introduit une requête unilatérale en divorce, procédure actuellement encore pendante, durant laquelle les parties ont été à plusieurs reprises déboutées dans leurs requêtes tendant à amplifier, respectivement réduire provisoirement les contributions d’entretien. Entre septembre 2016 et septembre 2021, ce ne sont pas moins de CHF 1’605’500.- d’arriérés de pensions qui se sont accumulés, A ayant décidé de ne plus verser correctement les contributions dues.
En appel, le jugement de première instance du 30 mai 2022 est intégralement confirmé.
A porte sa cause devant le Tribunal fédéral. Il conclut principalement à son acquittement et, subsidiairement, au renvoi de la cause à l’autorité précédente.
II. En droit
Dans un premier grief relatif à l’établissement manifestement inexact des faits, qu’il met en lien avec une violation de la présomption d’innocence, A prétend que l’autorité précédente aurait dû retenir qu’il ne disposait plus des ressources suffisantes pour s’acquitter des contributions d’entretien dues (c. 1).
Le Tribunal fédéral expose que selon les constatations de l’autorité d’appel, le recourant a eu de très importantes dépenses ces dernières années (près de CHF 1’000’000.- dépensés pour lui et ses enfants majeurs à titre d’« argent de poche » ou pour leurs études dans des universités prestigieuses notamment) et a en outre maintenu un flou important sur sa réelle capacité financière, en particulier sur des entrées de fonds importantes pour lesquelles aucune explication tangible n’avait été donnée pour ne pas les retenir dans l’établissement de sa capacité financière. Enfin, le recourant a démissionné de son travail sans motif justifié, et a ainsi renoncé de son propre chef à une rémunération stable et durable. Sur cette base, aucun arbitraire ne saurait être retenu s’agissant de l’établissement des faits. Le grief est rejeté (c.1.1 à 1.3).
Le second grief de A s’attache à la non-réalisation des éléments constitutifs de l’infraction décrite à l’art. 217 al. 1 CP. Le Tribunal fédéral rappelle que, sur le plan objectif, l’autorité pénale est liée par les montants retenus par la dernière décision civile définitive et exécutoire, cette dernière pouvant au demeurant prendre la forme d’une simple ordonnance de mesures provisionnelles durant la procédure de divorce (ATF 136 IV 122, c. 2.3 ; TF 6B_608/2014 du 6.1.2015, c. 1.1). Cela étant, on ne peut reprocher à l’auteur d’avoir violé son obligation d’entretien s’il n’avait pas les moyens ou la possibilité de les avoir (TF 6B_739/2017 du 9.2.2018, c. 2.1). En revanche, celui qui ne dispose certes pas de moyens suffisants pour s’acquitter des contributions d’entretien, mais qui ne saisit pas les occasions de gain qui lui sont offertes et qu’il pourrait raisonnablement accepter, se rend coupable de violation de l’obligation d’entretien (ATF 126 IV 131, c. 3a : le débiteur travaillait comme indépendant, avec peu de perspectives, alors qu’il pouvait facilement gagner nettement plus en tant que salarié) (c. 2.2).
Dans ce sens, le débiteur qui ne s’acquitte pas intégralement des contributions est condamnable pénalement « dès qu’il aurait pu fournir sa prestation plus qu’il ne l’a fait » (ATF 114 IV 124, c. 3b). Le juge pénal est alors compétent pour déterminer les ressources qu’aurait pu mobiliser le débiteur pour honorer la ou les contributions d’entretien, à titre de condition objective de punissabilité (TF 6B_739/2017 du 9.2.2018, c. 2.1). À cette fin, il peut se référer aux considérations des autorités civiles, mais doit toutefois concrètement établir la situation financière du débiteur en application des principes exposés ci-dessus (TF 6B_1017/2016 du 10.7.2017, c. 2.2 ; TF 6B_573/2013 du 1.10.2013, c.1.1) (c. 2.2).
Dans le cas d’espèce, si certes le montant de la contribution d’entretien a été fixé il y a plusieurs années (en 2014), force est de constater que les nombreuses tentatives civiles du recourant visant à la faire réduire n’ont jamais abouti jusqu’à ce jour, pas même dans la procédure de divorce encore pendante. Au vu des circonstances, le juge pénal reste lié par les obligations d’entretien fixées par les autorités civiles, quand bien même elles n’ont pas été changées depuis 2014. Dans ces conditions, le juge pénal ne saurait modifier le cadre fixé par les autorités civiles (c. 2.3.1).
Partant, sur le plan objectif, A a bel et bien violé son obligation d’entretien (c. 2.3.2).
Sur le plan subjectif, le recourant prétend ne pas avoir eu l’intention de violer son obligation d’entretien, vu son manque de liquidités disponibles. En outre, il aurait supposément offert de vendre certains biens immobiliers qui lui appartenaient afin de s’acquitter de son dû avec le produit de leur vente, ce qui démontrerait qu’il voulait trouver une solution pour payer les arriérés de pension. Le Tribunal fédéral rejette ces arguments, dès lors qu’ils s’écartent manifestement des faits retenus par l’autorité précédente. En effet, les biens immobiliers dont A fait état n’ont pas été identifiés comme des biens propres, ceux-ci étant par ailleurs frappés d’un séquestre. Dans ces circonstances, c’est bien avec conscience et volonté que le recourant a violé son obligation d’entretien (c. 2.3.3 et 2.4).
Le recours est par conséquent rejeté (c. 3).
III. Commentaire
Cet arrêt, non destiné à publication, est un rappel bienvenu des principes qui gouvernent l’application de l’art. 217 al. 1 CP, en particulier s’agissant du lien entre les considérations des autorités civiles et celles du juge pénal lorsque la capacité financière concrète du prévenu doit être (ré)établie après plusieurs années.
Dans ce cadre, le Tribunal fédéral réaffirme que la question de savoir quelles sont les ressources concrètes qu’aurait pu avoir le prévenu débiteur est une condition objective de punissabilité (COP) de l’art. 217 al. 1 CP, qu’il revient au juge pénal seul de trancher. Pour autant, le montant de la contribution en elle-même ne peut pas être modifié par le juge pénal (sur la définition de COP, voir TF 6B_101/2014 du 10.11.2014, c. 2.2).
Ainsi, la personne qui ne s’acquitte pas de la contribution dont elle est débitrice sans pour autant tenter de modifier cette dernière pourra tout de même faire valoir des changements dans sa situation financière devant l’autorité pénale pour éviter une condamnation. À notre avis, les considérations retenues par le juge pénal pourraient alors être invoquées dans une procédure civile subséquente en modification de la contribution d’entretien.
À noter que, sous l’angle subjectif, le débiteur domicilié à l’étranger et qui prétend ne pas avoir eu connaissance du jugement civil arrêtant son obligation d’entretien chiffrée n’agit pas intentionnellement si aucune circonstance ne permet de lui imputer cette connaissance ; l’autorité pénale ne peut fonder une intention délictuelle sur la seule base du principe tiré de l’art. 276 al. 2 CC, selon lequel les pères et mères assument l’entretien de l’enfant (TF 6B_1331/2021 du 11.10.2022, c. 2.2).
Enfin, relevons au passage que l’art. 217 CP a fait l’objet de minimes modifications de son libellé, entrées vigueur le 1er juillet 2023 dans le cadre de l’harmonisation des peines (RO 2023 259 ; FF 2018 2889). Ces modifications n’ont toutefois aucune incidence sur les conditions d’application de l’infraction (« celui qui » a été remplacé par « quiconque », par exemple).