I. En fait
A la suite d’une altercation ayant eu lieu le 8 février 2014 devant une discothèque, A, B et d’autres personnes portent plainte notamment contre C et G pour lésions corporelles simples. Après que C ait requis une procédure simplifiée, le Ministère public décide de séparer son cas de celui des autres prévenus afin d’examiner cette possibilité. Il rend ensuite une décision d’ouverture de cette procédure et accorde un délai de dix jours aux parties pour annoncer leurs prétentions civiles et les indemnités procédurales demandées. Sans réponse de leur part, il considère qu’elles ont choisi de renvoyer ces prétentions au for civil. Enfin, il les invite à se prononcer sur l’acceptation ou le rejet de l’acte d’accusation dans le cadre de la procédure simplifiée. Cet acte prévoit notamment la condamnation de C à 22 mois de peine privative de liberté avec sursis et le renvoi des prétentions civiles au for civil. A et B le rejettent, estimant que C devait être jugé en procédure ordinaire aux côtés de son co-auteur G. En revanche, C accepte le projet d’acte d’accusation. Le Ministère public considère que les oppositions des parties plaignantes sont inopérantes.
Après le rejet du recours de A contre cette décision par le Tribunal cantonal, le Ministère public transmet l’acte d’accusation en procédure simplifiée au Tribunal du district de Sierre. Le 31 janvier 2022, ce Tribunal reconnaît C coupable notamment de lésions corporelles simples et le condamne à une peine privative de liberté de 22 mois avec sursis, déduction faite de la détention préventive. A et B font appel de ce jugement, demandant son annulation et le renvoi de la cause au Ministère public en procédure ordinaire, mais le Tribunal cantonal rejette leur appel le 25 janvier 2024, confirmant ainsi la condamnation de C.
A et B portent la cause devant le Tribunal fédéral, concluant notamment à l’annulation de l’arrêt du Tribunal cantonal du 25 janvier 2024 et du jugement rendu par le Tribunal du district de Sierre le 31 janvier 2022, ainsi qu’au renvoi de la cause au Ministère public du canton du Valais pour qu’il engage une procédure préliminaire ordinaire à l’encontre de C.
II. En droit
Notre Haute Cour laisse ouverte la question de savoir si A pouvait à nouveau remettre en cause l’irrecevabilité de son opposition en attaquant le jugement au fond. En effet, il avait déjà contesté sans succès la décision de refus de son opposition, sans porter cette cause devant le TF, de sorte que celle-ci était déjà entrée en force. Malgré qu’il soit douteux qu’il puisse soulever à nouveau la même question, ce point n’est pas tranché en raison de l’issue du litige (c. 1.1).
Indépendamment des conditions de l’art. 81 al. 1 LTF qui ne sont pas remplies en l’espèce, une partie peut invoquer une violation de ses droits de partie équivalant à un déni de justice formel, sans toutefois pouvoir faire valoir par ce biais, même indirectement, des moyens qui ne peuvent être séparés du fond (ATF 141 IV 1, c. 1.1; 138 IV 78, c. 1.3 ; il s’agit de la jurisprudence « Star Praxis »). Les recourants s’appuient sur cette jurisprudence pour dénoncer la violation de leur droit à s’opposer à l’acte d’accusation en procédure simplifiée, garanti par l’art. 360 al. 2 et 3 CPP. Ce grief conduisant à se prononcer sur les contours de ce droit, leur qualité pour recourir est reconnue, justifiant ainsi l’examen du recours (c. 1.3).
Les recourants reprochent un établissement manifestement inexact des faits, invoquant une appréciation arbitraire de leurs oppositions. Toutefois, leur critique porte principalement sur l’appréciation de ces dernières au regard de l’art. 360 CPP et ainsi sur l’interprétation juridique de cette norme, qu’ils estiment violée. Ils soutiennent que le texte clair de cette disposition leur confère un droit de veto « absolu » sur l’acte d’accusation, sans condition autre que celle de la forme écrite. Ils considèrent donc que leurs oppositions, qualifiées à tort d’inopérantes, auraient dû entraîner l’engagement d’une procédure préliminaire ordinaire (c. 2.1-2.3).
Après avoir exposé les conditions et la mise en œuvre de la procédure simplifiée (c. 2.4), le TF rappelle que l’art. 360 al. 2 et 3 CPP octroie le droit à la partie plaignante de s’opposer à l’acte d’accusation, sans toutefois en préciser l’étendue (c. 2.5). Il souligne également qu’il n’a pas tranché cet aspect jusqu’alors. La doctrine, quant à elle, est divisée. Une minorité, plus restrictive, estime que l’opposition ne peut concerner que les prétentions civiles (Aline Breguet, La procédure simplifiée dans le CPP: un réel progrès?, Jusletter 16 mars 2009,N 32 et la réf. citée), tandis que la majorité, à laquelle se rallie le Tribunal pénal fédéral (TPF SK.2011.20 du 14.10.2011), considère que l’opposition peut porter sur les aspects de l’acte d’accusation affectant les droits de la partie plaignante et sur sur lesquels elle aurait, en procédure ordinaire, un intérêt juridique à recourir, soit principalement les prétentions civiles et les infractions retenues, mais non sur la nature et la quotité des peines et mesures (Praxiskommentar StPO-Jositsch/Schmid, art. 360 N 13 ; PC CPP-Moreillon/Parein-Reymond, art. 260 CPP N 8 et les réf. citées). Finalement, certains auteurs semblent soutenir un droit de veto absolu, bien que cela soit souvent nuancé par des considérations d’abus de droit (BSK StPO2–Greiner/Jaggi, Art. 360 StPO N 28 ss ; Marc Thommen, Kurzer Prozess – fairer Prozess? Strafbefehls- und abgekürzte Verfahren zwischen Effizienz und Gerechtigkeit, 2013, p. 189 et les réf. citées) (c. 2.6).
Notre Haute Cour procède ensuite à l’interprétation de l’art. 360 CPP. Historiquement, les débats parlementaires ayant conduit à l’adoption de cet article ont montré une volonté de permettre à la partie plaignante de s’opposer à l’acte d’accusation, sans que l’étendue de ce droit soit clairement délimitée. Si certains parlementaires ont soutenu l’idée d’un droit d’opposition formel, cela ne signifie pas qu’ils souhaitaient accorder un droit de veto sans restriction. Selon l’interprétation téléologique de l’art. 360 CPP, cette norme vise à garantir que l’accord entre le prévenu et le Ministère public respecte les droits de la partie plaignante, en particulier sur les prétentions civiles. La procédure simplifiée, fondée sur l’économie de procédure et la célérité, ne saurait être entravée par un droit de veto absolu de la partie plaignante, qui rendrait son aboutissement illusoire. Ainsi, d’un point de vue téléologique, son opposition doit se limiter aux aspects de l’acte d’accusation affectant ses droits, assurant un équilibre entre ses intérêts et le but d’économie de procédure. L’interprétation systématique confirme que la partie plaignante ne dispose pas d’un droit de veto absolu sur l’acte d’accusation. Contrairement au prévenu, elle doit exprimer activement son opposition (art. 360 al. 3 CPP). De plus, elle n’a pas de droit à se prononcer sur la peine dans la procédure ordinaire (art. 119 al. 2 let. a CPP) ni à contester la sanction en recours (art. 382 al. 2 CPP), de sorte qu’il serait illogique de lui accorder un tel pouvoir en procédure simplifiée. Par ailleurs, l’art. 362 al. 5 CPP ne soutient pas une opposition extensive, mais s’applique à toutes les parties. En appel, la cour devra simplement vérifier si l’opposition a été valablement déclarée inopérante, au vu des motifs invoqués (c. 2.6.3-2.6.5).
Par conséquent, l’opposition de la partie plaignante à l’acte d’accusation en procédure simplifiée doit se limiter aux éléments touchant ses droits, en particulier les prétentions civiles et les infractions retenues. En revanche, elle ne peut notamment pas porter sur la peine ou la mesure prononcée (art. 352 al. 2 CPP), ni sur les infractions commises au préjudice d’autres parties plaignantes (c. 2.6.6).
En l’espèce, les recourants ont tacitement accepté d’être renvoyés à agir par la voie civile. Toutefois, ils ont formé opposition à la procédure simplifiée dans le délai imparti, arguant essentiellement qu’une procédure ordinaire était nécessaire pour refléter la gravité des faits et la coactivité des prévenus. Le Tribunal cantonal a jugé que les recourants n’avaient pas motivé leur opposition sur des aspects de l’acte d’accusation affectant leurs droits ou leur conférant un intérêt juridique au recours en procédure ordinaire. Ils n’ont ni contesté leur renvoi au for civil ni remis en cause les faits retenus ou leur qualification juridique. Leur opposition portait essentiellement sur le choix de la procédure et la disjonction des causes, en invoquant des éléments influençant uniquement la peine (c. 2.7-2.7.3).
L’appréciation du Tribunal cantonal concernant les oppositions des recourants doit être confirmée. A contestait principalement le choix de la procédure simplifiée, la disjonction des causes et la peine, tandis que B s’opposait au principe même de cette procédure. Contrairement à leurs affirmations, ils n’ont pas remis en cause la qualification juridique des infractions, y compris s’agissant des lésions corporelles simples, infraction pour laquelle ils avaient eux-mêmes porté plainte. De plus, leurs oppositions n’étaient pas motivées par des éléments de l’acte d’accusation susceptibles d’avoir une incidence sur leurs droits, particulièrement leurs prétentions civiles, ce d’autant plus qu’ils ne les ont pas annoncées dans le délai imparti à cet effet. Dans leur recours au TF, ils ont principalement soutenu qu’un jugement en procédure ordinaire, avec une jonction des causes, aurait conduit à une condamnation plus sévère du prévenu. En outre, A a également invoqué un besoin personnel de reconnaissance et d’expression devant un tribunal avec plein pouvoir d’examen. Toutefois, ces arguments ne sont pas déterminants, la condamnation en procédure simplifiée relevant toujours du tribunal de première instance – indépendant et impartial, statuant en fait comme en droit – qui, bien que lié par l’acte d’accusation pour prononcer une condamnation, n’en reste pas moins libre de renvoyer les parties à agir en procédure ordinaire (art. 361 et 362 CPP). Au surplus, A conserve le droit de faire valoir ses conclusions civiles devant le juge civil (c. 2.7.4). Finalement, les recourants ne peuvent se prévaloir du fait que l’art. 360 al. 3 CPP n’exige pas expressément une motivation de l’opposition, ni se plaindre des conséquences procédurales découlant de leur propre décision de justifier leur refus de l’acte d’accusation. Une opposition non motivée ou peu claire n’exclut pas la possibilité de clarifier les motifs invoqués en cas de doute, afin de déterminer les éléments réellement contestés (c. 2.8).
En définitive, notre Haute Cour considère que la Cour cantonale pouvait, sans violer le droit fédéral, confirmer l’inopérance des oppositions des recourants, dispensant ainsi le Ministère public d’engager une procédure préliminaire ordinaire. Par conséquent, le recours doit être rejeté (c. 2.9-3).