I. En fait
A est condamné par le tribunal d’arrondissement de Zurich à une peine privative de liberté ferme de 11 mois. Son défenseur d’office dépose en temps utile une annonce, puis une déclaration d’appel auprès du tribunal cantonal zurichois. Celui-ci convoque les parties aux débats d’appel.
Un mois avant l’audience, le défenseur de A sollicite une suspension de la procédure pour une durée de plusieurs mois. Il demande également la fixation d’un délai de 5 jours ouvrables pour pouvoir informer le tribunal dès qu’il aura reçu une réponse de A concernant la poursuite de la procédure d’appel ou un éventuel retrait de l’appel.
Deux jours plus tard, le tribunal cantonal prend note du retrait de l’appel de A, raie la cause du rôle et constate l’entrée en force du jugement de première instance. Sept jours plus tard, le défenseur de A requiert la reprise de la procédure d’appel, faisant valoir que son mandant est toujours intéressé par l’issue de celle-ci, joignant à cette requête un courriel que A venait de lui adresser au sujet de la procédure, et expliquant les raisons de son silence. Le tribunal cantonal rejette cette requête au motif qu’une reprise de la procédure d’appel après une décision mettant fin à celle-ci n’est pas prévue par la loi.
A saisit le Tribunal fédéral (TF) d’un recours en matière pénale contre ces deux décisions (radiation du rôle et refus de reprise de la procédure d’appel).
II. En droit
Le recourant se plaint principalement d’une violation de la garantie d’accès au juge qui comprend, en matière pénale, le droit de faire examiner le jugement par une juridiction supérieure (art. 32 al. 3 Cst.), ainsi que de l’art. 386 al. 2 CPP, qui règle le retrait du recours (c. 2.1).
Dans sa déclaration d’appel, le défenseur expliquait ne plus avoir de nouvelles de son mandant depuis l’audience de première instance. Ce jour-là, après la notification orale du dispositif, A lui avait seulement demandé de faire appel de sa condamnation. Depuis lors, il était injoignable sur son numéro de téléphone ou son adresse e-mail et n’avait plus d’adresse actuelle. Il se voyait donc contraint de déposer une déclaration d’appel. Dans sa requête en suspension de la procédure, le défenseur soulignait qu’en dépit d’intenses recherches, notamment auprès du consulat kosovar, A demeurait introuvable. Il dépendait de ses instructions pour préparer la suite de la procédure mais, dans l’intervalle, son devoir de diligence l’empêchait de retirer l’appel sans l’avoir préalablement consulté (c. 2.2).
Tout en comprenant l’argument lié au devoir de diligence de l’avocat, la cour cantonale a pour sa part estimé que, par son comportement contradictoire, A avait implicitement retiré sa déclaration d’appel (c. 2.3).
Le TF ne trouve rien à redire à ce raisonnement. Il précise avoir récemment eu à traiter d’un cas similaire dans l’ATF 148 IV 362 (résumé in : https://www.crimen.ch/123/), qui concernait la fiction de retrait de l’appel d’une partie lorsque celle-ci ne peut pas être citée à comparaître (art. 407 al. 1 let. c CPP). Dans cette affaire, le prévenu refusait de révéler son lieu de résidence, de sorte que la citation ne pouvait lui être notifiée personnellement. Le TF avait alors retenu une violation des règles de la bonne foi et considéré que l’appel avait été retiré.
En l’espèce, le tribunal cantonal n’a certes pas appliqué la fiction de retrait de l’appel prévue à l’art. 407 al. 1 let. c CPP, mais le TF estime que le raisonnement à la base de l’ATF 148 IV 362 doit également valoir à l’égard de A, qui a adopté un comportement contradictoire et contraire à la bonne foi. En effet, le prévenu ne peut en même temps exiger la tenue d’une procédure d’appel et refuser d’y collaborer en demeurant injoignable même pour son propre défenseur (c. 2.4.1). Le TF rappelle que, sur ce point, la procédure d’appel se distingue fondamentalement de la procédure de première instance : alors que la première doit tendre au prononcé d’un jugement matériel, la seconde est dans une large mesure à la disposition des parties. Il ne suffit donc pas que le prévenu annonce à son défenseur ne pas être d’accord avec le jugement de première instance. Il doit bien plus avoir la volonté de faire réexaminer cette décision par une juridiction supérieure, volonté qui doit subsister tout au long de la procédure d’appel (cf. ATF 148 IV 362, c. 1.9.2). Tel n’était pas le cas en l’occurrence (c. 2.4.2).
En outre, dans ces conditions, la fiction du retrait de l’appel n’est pas non plus contraire aux garanties du procès équitable (art. 6 CEDH), notamment au droit à un procès contradictoire, auquel le prévenu peut renoncer, même de manière tacite (cf. ATF 148 IV 362, c. 1.12 et les références). En l’espèce, le recourant a été informé des charges pesant à son encontre, puisqu’il a participé en personne aux débats de première instance. Son comportement ultérieur démontre sans équivoque qu’il a renoncé à un nouvel examen par une autorité supérieure, lequel n’est du reste pas obligatoire, la procédure d’appel étant largement laissée à la disposition des parties. Le procès est resté équitable (c. 2.4.3).
Enfin, la cour cantonale pouvait à juste titre refuser de reprendre la procédure d’appel. Une telle possibilité n’existe pas lorsque la procédure est liquidée par une décision finale, qu’il convient d’attaquer par les voies de droit ordinaires, ce qu’a d’ailleurs fait le recourant en déposant un recours en matière pénale (c. 2.4.4). À l’appui de sa demande de reprise de la procédure, le défenseur avait encore produit un e-mail de son mandant, reçu peu de temps auparavant, dans lequel ce dernier l’informait avoir perdu ses coordonnées dans le cadre de son déménagement au Kosovo et ne plus avoir de numéro de téléphone suisse. Le TF n’est pas convaincu par l’argument : si le recourant avait véritablement oublié le nom de son avocat, il aurait aisément pu s’adresser aux tribunaux zurichois afin d’être mis en contact avec ce dernier (c. 2.4.5).
Partant, le recours de A est rejeté dans la mesure de sa recevabilité (c. 3).
III. Commentaire
Il est vrai que la procédure d’appel se distingue de la procédure de première instance : alors que celle-ci doit tendre au prononcé d’un jugement matériel, celle-là est dans une large mesure à la disposition des parties. Cela étant, les voies de droit sont une partie essentielle du processus visant à ce que la vérité judiciaire s’approche autant que possible de la vérité matérielle, parce qu’en présence de problèmes sensibles et complexes, la décision juste se décante au fur et à mesure de l’examen par des regards croisés. A la dimension horizontale du contradictoire se superpose celle, verticale, du système des instances successives. C’est précisément pourquoi la Convention européenne des droits de l’homme (art. 2 Protocole n° 7) et la Constitution fédérale (art. 32 al. 3 Cst.) ont érigé le principe de double instance en droit de la défense. Par conséquent, ce n’est qu’avec une grande retenue qu’il faut admettre que le prévenu a renoncé à l’examen de sa condamnation par une instance supérieure.
A cette aune, l’arrêt rapporté ici pose problème et nous n’en approuvons pas la solution.
Sur le principe, l’arrêt admet une fiction de retrait hors les cas figurant sur la liste de l’art. 407 al. 1 CPP, que le législateur semble avoir voulue exhaustive. Ainsi, le prévenu est déchu de son moyen de droit parce qu’il a adopté un comportement dont il ne pouvait anticiper les conséquences. L’importance du droit à la double instance ne tolère pas cette incertitude juridique.
On ne saurait par ailleurs suivre le Tribunal fédéral lorsqu’il affirme que le comportement du prévenu appelant, dont le défenseur avait rapporté un mois avant l’audience qu’il ne parvenait pas à le joindre, démontrait « sans ambiguïté » qu’il se désintéressait de l’appel. Certains prévenus ne savent pas s’organiser. D’autres perdent contacts et repères dans les remous du quotidien. D’autres encore mettent la tête dans le sable et il n’est pas rare qu’il faille l’imminence de l’audience ou la perspective concrète de la sanction procédurale (comme l’illustre la présente espèce) pour qu’ils réagissent enfin aux sollicitations de leur défenseur. C’est donc de façon trop rapide que les autorités ont conclu, en l’espèce, au désintérêt du prévenu pour la procédure d’appel. Les intérêts en présence ne justifiaient pas, non plus, la solution. D’un côté, le prévenu risquait de voir une condamnation à onze mois ferme peut-être injustifiée entrer en force ; de l’autre, la juridiction d’appel risquait de tenir une audience au cours de laquelle elle aurait constaté le retrait de l’appel en raison de l’absence du prévenu (art. 407 al. 1 lit. a CPP). La sécurité du droit, les droits conventionnels du prévenu et la vérité matérielle primaient selon nous le souci d’éviter la tenue d’une audience probablement inutile.
On ne peut manquer d’être interpellé par la réaction rapide et inattendue de la juridiction d’appel zurichoise, qui a répondu dans les deux jours à une demande de suspension de la procédure en rayant directement la cause du rôle. A notre sens, le droit d’être entendu et la nécessité de procéder à une sommation avant de prononcer une sanction procédurale requéraient que la juridiction d’appel annonce cette intention et sollicite une détermination.
Enfin – mais c’est une objection qui vaut également pour les cas prévus par l’art. 407 al 1 lit. a et c CPP – la fiction du retrait de l’appel en raison de l’absence de participation personnelle du prévenu à la procédure (impossibilité de le citer, impossibilité pour le défenseur de le contacter, défaut à l’audience) devrait supposer que la participation du prévenu soit indispensable. Lorsqu’il serait possible de le dispenser à comparaître (art. 405 al. 2, 2e phr. CPP), voire que la juridiction d’appel pourrait en soi ordonner la procédure écrite (art. 406 al. 1 et 2 CPP), on ne voit pas pour quelle raison le défenseur ne serait pas admis à plaider au motif que le prévenu appelant n’est pas là pour l’écouter (ou ne peut pas être cité à cette fin), respectivement ne l’a pas instruit au-delà de la consigne générale de faire appel.
Après que la juridiction d’appel eut rayé la procédure du rôle en constatant que le prévenu était réputé avoir renoncé à son appel, le prévenu s’est enfin manifesté et son défenseur a requis la reprise de la procédure. A notre sens, c’est à nouveau de façon trop rapide que les juges ont écarté la requête au motif que le code ne prévoyait pas la reprise d’une procédure qui fait l’objet d’une décision de clôture. La requête méritait à tout le moins d’être analysée sous l’angle de l’art. 386 al. 3 CPP (rétractation d’un retrait en cas de tromperie, infraction ou information inexacte donnée par les autorités – certes, le cas de figure n’entre pas aisément dans l’une de ces catégories, mais s’il est possible de conclure à un retrait hors hypothèse précisément prévue par la loi, il doit également être possible d’en constater la rétractation en appliquant ce texte par analogie), voire éventuellement de l’art. 94 CPP (restitution du délai en cas de défaut, dont l’absence de réponse aux sollicitations du défenseur pourrait relever).
Cette jurisprudence pourrait-elle s’appliquer à la procédure consécutive à l’opposition à l’ordonnance pénale, avec pour conséquence que l’opposant qui se désintéresserait de la procédure par actes concluants verrait son opposition réputée retirée avant même d’avoir fait défaut à une audience où il devait être entendu ? La réponse ne peut être que négative. En effet, le raisonnement du Tribunal fédéral postule qu’un jugement matériel a déjà été rendu. Or, l’ordonnance pénale n’est qu’une proposition de jugement. On peut donc concevoir que des critères plus stricts doivent être appliqués pour conclure au retrait par actes concluants d’une opposition que pour conclure au retrait d’un appel.
La présente espèce illustre une fois de plus le danger qu’il y a pour un défenseur de s’adresser à l’autorité en révélant des éléments qui relèvent de ses contacts avec son mandant, sans y avoir été autorisé par ce dernier. Dans le cas particulier, l’intérêt du mandant pouvait justifier que le défenseur donne ces informations. L’obtention d’un report supposait qu’elles soient données, même si la stratégie n’a pas eu l’effet escompté. A tout le moins, la diligence du défenseur suppose désormais qu’après avoir reçu instruction orale de faire appel, le défenseur informe immédiatement son mandant qu’il doit rester joignable, sous peine de risquer d’être déchu de son moyen de droit. Ultérieurement, s’il ne parvient malgré cela plus à contacter son mandant, l’obligation de soin et de diligence n’impose à notre sens pas que le défenseur en informe proactivement l’autorité, même s’il est défenseur d’office. Partant, l’impact pratique de cet arrêt devrait demeurer limité, si ce n’est que les demandes de report d’audience devraient être moins fréquentes, ou motivées différemment.