I. En fait
En mars 2014, A et son épouse se rendent au domicile d’un couple de personnes âgées prétextant y avoir égaré une boucle d’oreille durant la visite de leur appartement la veille. Armés d’un couteau, d’un spray au poivre et d’une matraque, ils menacent, ligotent vigoureusement et bâillonnent le couple afin de dérober le contenu de leur coffre-fort. En juillet 2015, A et son épouse participent à un nouveau brigandage dans un atelier d’orfèvrerie. Le couple est cette fois équipé d’un pistolet d’alarme, de deux poings américains avec électrochocs intégrés, de deux matraques, d’un spray au poivre et d’un couteau, en sus de leur matériel pour ligoter les victimes. Après avoir bandé les yeux des commerçants, scotché leur bouche et les avoir attachés à l’aide de câbles, A et son épouse quittent l’atelier avec un butin estimé à près de CHF 510’000.-.
En janvier 2018, le tribunal correctionnel de Lucerne condamne A pour les deux brigandages précités ainsi que pour d’autres infractions à une peine privative de liberté de 13 ans et 9 mois. Le jugement sur appel, prononcé en juillet 2019 par le Tribunal cantonal de Lucerne, reconnaît à nouveau A coupable de brigandages qualifiés et le condamne à une peine privative de liberté de 11 ans et 3 mois. En outre, le Tribunal cantonal ordonne une mesure ambulatoire (art. 63 CP). Interjetant un recours par devant le Tribunal fédéral, A conteste la qualification de brigandage qualifié (art. 140 ch. 3 al. 3 CP) retenue à son égard, la quotité de la peine, ainsi que le prononcé d’une mesure ambulatoire (art. 63 CP).
II. En droit
En premier lieu, le Tribunal fédéral examine le grief soulevé par A s’agissant de savoir si l’instance précédente a méconnu le droit en retenant une forme qualifiée de brigandage à son encontre (art. 140 ch. 3 al. 3 CP). À cet égard, il rappelle les considérations de l’autorité cantonale selon laquelle la forme simple de brigandage constitue déjà un comportement dangereux si bien que l’art. 140 ch. 3 al. 3 CP doit être interprété de façon restrictive (c. 1.2.2). Selon la jurisprudence, le degré de dangerosité requis par cette disposition ne peut être admis que si l’acte concret est particulièrement grave au regard de l’ensemble des circonstances. Tel est notamment le cas si l’acte perpétré témoigne d’une préparation professionnelle, si l’auteur a surmonté des obstacles moraux et techniques, ou s’il agit avec une audace particulière, témérité, perfidie, sournoiserie ou sans scrupule (voir également : ATF 117 IV 135, c. 1a ; TF 6B_626/2020 du 11.11.20, c. 3.3). Il suffit donc que l’auteur crée un danger concret pour la victime, sans pour autant lui causer des blessures, pour que la condition de la dangerosité particulière soit réalisée. Par exemple, le fait de pointer un pistolet à courte distance sur la tête de la victime, même si l’arme est sécurisée, remplit cette condition (ATF 120 IV 317, c. 2a ; 6B_626/2020 du 11.11.20, c. 3.3) (c. 2.2).
En l’espèce, le Tribunal fédéral constate que l’auteur s’en est pris, lors du premier brigandage, à un couple de septuagénaires physiquement inférieurs et dont les tentatives de défense ont été repoussées par l’usage d’un spray au poivre. Les deux victimes ont ensuite été fortement ligotées à l’aide d’un ruban adhésif et d’attaches-câbles ce qui a provoqué des difficultés respiratoires. L’auteur s’est également accommodé du fait que les victimes n’allaient pas pouvoir se libérer aisément vu la force des liens. Les juges fédéraux admettent donc la réalisation du danger concret dans lequel se trouvaient les victimes. En effet, la combinaison de l’obturation incomplète des voies respiratoires, le ligotage très serré et le fait d’abandonner les victimes à leur sort réalise la dangerosité nécessaire à l’application de l’art. 140 ch. 3 al. 3 CP ; cela, indépendamment du fait qu’un danger de mort imminent ait été exclu en l’espèce. Au demeurant, un tel danger représente un élément constitutif de l’art. 140 ch. 4 CP (c. 2.3.1).
S’agissant du second brigandage, le Tribunal fédéral soutient également la position des instances précédentes selon lesquelles l’auteur a réalisé l’infraction de brigandage qualifié au sens de l’art. 140 ch. 3 al. 3 CP. Il constate, à ce titre, que l’auteur a agi avec une certaine brutalité, et qu’il a ligoté et attaché les deux victimes de la même façon que lors du premier brigandage. En outre, il a également menacé de mort celles-ci avec un pistolet d’alarme. Or l’usage d’une telle arme à courte distance crée un danger concret puisqu’elle est susceptible de causer des blessures mortelles. Par conséquent, la dangerosité particulière au sens de la disposition précitée doit être également admise concernant l’attaque de l’orfèvrerie (c. 2.3.2).
En fin de compte, notre Haute Cour analyse le dernier grief de A selon lequel la Cour cantonale a violé l’interdiction de la reformatio in pejus en ordonnant une mesure ambulatoire (art. 63 CP), alors que la première instance y avait renoncé. Elle rappelle que l’art. 404 al. 1 CPP limite le pouvoir de réexamen de la Cour d’appel aux seuls points contestés dans la décision de première instance et que les points non contestés deviennent définitifs. L’art. 391 al. 2 CPP empêche également l’autorité de recours de modifier une décision au détriment du prévenu si le recours n’a été exercé qu’en sa faveur. Les juges fédéraux précisent que la jurisprudence a déjà nié la violation de l’interdiction de la reformatio in pejus lorsqu’une mesure ambulatoire est « transformée » en une mesure stationnaire durant la procédure d’appel (ATF 144 IV 113, c. 4.3 ; TF 6B_805/2018 du 6.6.19, c. 1.3.2). Cela étant, jusqu’à présent, elle ne s’est pas prononcée sur la question de savoir si une autorité d’appel peut ordonner une mesure ambulatoire (art. 63 CP), alors même qu’il y a été renoncé en première instance. Ils relèvent à cet égard que la doctrine majoritaire y est opposée selon le principe de l’interdiction de la reformatio in pejus (c. 4.3).
En l’espèce, le Tribunal fédéral note que le tribunal de première instance n’a pas suivi la demande du Ministère public s’agissant d’ordonner une mesure ambulatoire, et que ce dernier n’a pas réitéré sa demande lors de son appel. La situation diffère ainsi largement de celle où une conversion a lieu entre une mesure ambulatoire et une mesure institutionnelle (cf. ATF 144 IV 113, c. 4.3 ; TF 6B_805/2018 du 6.6.19, c. 1.3.2). Si l’auteur suivait effectivement une thérapie depuis quelque temps, le Tribunal fédéral considère que celle-ci est incomparable avec une mesure ambulatoire. En effet, A s’était soumis de sa propre initiative à suivre une thérapie personnelle qu’il pouvait arrêter à tout moment. Or, une fois ordonnée, une mesure ambulatoire (art. 63 CP) telle que souhaitée par l’instance cantonale ne peut être levée qu’à certaines conditions précises (art. 63a al. 2 et 3 CP). La conversion d’une mesure ou son adaptation ne doit être envisageable que si une mesure a bel et bien été ordonnée en première instance ; ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Par conséquent, les juges fédéraux estiment qu’en prononçant une telle mesure, la Cour cantonale a violé l’interdiction de la reformatio in pejus (art. 391 al. 2 CPP) (c. 4.4).
En conclusion, le Tribunal fédéral admet partiellement le recours de A sur ce dernier point, mais confirme qu’il s’est rendu coupable de brigandages qualifiés au sens de l’art. 140 ch. 3 al. 3 CP (c. 5).