La renonciation du prévenu au droit de s’exprimer sur le choix de l’expert et les questions à lui poser

L’art. 184 al. 3, 1ère phr. CPP, selon lequel la direction de la procédure donne préalablement aux parties l’occasion de s’exprimer sur le choix de l’expert et les questions qui lui seront posées et de faire leurs propres propositions, s’applique également en cas d’expertise forensique confiée à un expert officiel (cf. art. 183 al. 2 CPP). Cette disposition concrétise le droit d’être entendu des parties et sert le principe de l’économie de la procédure. Sa violation peut être réparée au cours de l’instruction, ce d’autant plus qu’elle donne seulement un droit de regard aux parties. En s’abstenant de demander une telle réparation, le prévenu renonce à son droit, et ne peut dès lors plus se plaindre du caractère inexploitable du rapport d’expertise.

I. En fait 

A est condamné par le Tribunal d’arrondissement de Saint-Gall à une peine privative de liberté de 10 ans et 3 mois pour de multiples infractions, dont plusieurs brigandages armés dans des stations-service. 

Saisi d’un appel de A, le Tribunal supérieur de Saint-Gall l’acquitte de certains chefs d’accusation et le condamne à une peine privative de liberté de 9 ans et 6 mois.

A recourt auprès du Tribunal fédéral (TF) et demande son acquittement pour une partie des faits. 

II. En droit

N.B. : les premiers considérants de l’arrêt ne seront vraisemblablement pas publiés aux ATF. Dans la mesure toutefois où ils contiennent certains développements intéressants sur l’art. 147 CPP, nous en faisons ici un rapide résumé.

Le recourant se plaint d’une violation de son droit de participer à l’administration des preuves (art. 147 CPP). Il critique le fait de ne pas avoir pu participer aux auditions à la police de certains employés des établissements dans lesquels il aurait commis des brigandages. Il n’avait pas renoncé à son droit par la suite, de sorte que ces auditions, qui n’avaient jamais été répétées en sa présence, étaient inexploitables (c. 4.1). Le TF rejette le grief. Sous l’angle de l’art. 147 CPP, le TF relève que les interrogatoires litigieux sont intervenus alors que la procédure était encore menée contre inconnu. Le recourant n’était pas encore partie à celle-ci et n’avait dès lors pas le droit d’y participer selon l’art. 147 al. 1 CPP (c. 4.4.1). Sous l’angle du droit à la confrontation (art. 6 par. 3 let. d CEDH), le TF reconnaît qu’aucune audience de confrontation entre les employés et le recourant n’a eu lieu. Toutefois, ce dernier aurait dû requérir expressément une répétition des auditions litigieuses, au plus tard en instance d’appel. À défaut, il est réputé avoir renoncé à son droit. Le recourant ne prétend pas avoir agi dans ce sens. Il se contente d’affirmer n’avoir jamais explicitement renoncé à la répétition de moyens de preuve inexploitables devant la juridiction d’appel, ce qui ne suffit pas. Dès lors, le tribunal cantonal pouvait valablement se fonder sur les déclarations des employés concernés (c. 4.4.2). 

Ensuite – et c’est sur ce point que l’arrêt est destiné à la publication –, le TF examine le grief de violation des règles sur l’expertise (art. 182 ss CPP) en relation avec un rapport d’enquête forensique de la police saint-galloise ayant permis l’identification de l’arme utilisée lors d’un des brigandages dans une station-service. En particulier, le recourant soutient que son droit de s’exprimer préalablement sur l’expert et les questions à lui poser (art. 184 al. 3, 1ère phr. CPP) aurait été violé (c. 5.1).

Le TF relève que le rapport d’enquête litigieux, qui émane du département « chimie et technologique forensique » de la police saint-galloise, a été établi sur mandat du ministère public afin de déterminer le type d’arme utilisée par l’auteur d’un brigandage dans une station-service, puis de comparer les résultats avec les munitions saisies dans l’appartement du recourant. Il s’agissait manifestement d’une expertise, qui devait respecter les conditions formelles des art. 182 ss CPP. Les auteurs du rapport sont des collaborateurs du service forensique de la police saint-galloise et sont donc des experts officiels au sens des art. 183 al. 2 CPP et 40 let. b de l’Einführungsgesetz zur Schweizerischen Straf- und Jugendstrafprozessordnung du canton de Saint-Gall (EG-StPO/SG ; RS-SG 962.1). Avec la doctrine, le TF retient que l’art. 184 al. 3 CPP s’applique également aux expertises confiées à des experts officiels (c. 5.4).

En l’espèce, le Tribunal supérieur de Saint-Gall ne précise pas si le mandat confié au service forensique a été soumis préalablement aux parties. Le TF peut toutefois s’abstenir de lui renvoyer la cause, le recours devant de toute manière être rejeté (c. 5.5). En effet, l’art. 184 al. 3 CPP concrétise le droit d’être entendu prévu aux art. 107 al. 1 let. b CPP et 29 al. 2 Cst. (cf. ATF 144 IV 69, c. 2.2). Son but est de donner la possibilité aux parties de faire valoir suffisamment tôt des motifs de récusation de l’expert ainsi que de participer à la description du champ de l’expertise. En ce sens, la disposition sert l’économie de la procédure. Le droit d’être entendu est une garantie de nature formelle, dont la violation entraîne en principe l’annulation de la décision attaquée, indépendamment des chances de succès du recours sur le fond (ATF 144 IV 302, c. 3.1 ; 142 II 218, c. 2.8.1). Sa violation peut cependant être réparée ultérieurement, sous certaines conditions (cf. ATF 145 I 167, c. 4.4) (c. 5.5.2). 

En l’occurrence, le recourant a pu consulter le dossier un mois après l’établissement du rapport d’enquête litigieux. À ce moment-là au plus tard, il lui aurait été possible de demander la récusation de l’expert ou de lui poser des questions supplémentaires. Une éventuelle violation de son droit d’être entendu a donc été réparée au cours de l’instruction. Cela vaut d’autant plus que les parties disposent en la matière uniquement d’un droit de regard (« Mitspracherecht »), sans pouvoir imposer un certain expert ou certaines questions, de sorte qu’une violation du droit d’être entendu n’aurait pas été particulièrement grave (c. 5.5.2). Le recourant ne prétend pas s’être plaint de la personne de l’expert ou avoir suggéré d’autres questions à l’époque déjà. Au contraire, il s’est prévalu pour la première fois en appel du caractère inexploitable du rapport d’enquête, invoquant de manière générale la violation des art. 182 ss CPP, sans présenter de réquisitions de preuve concrètes. Dans ces conditions, il faut retenir qu’il a renoncé au droit prévu à l’art. 184 al. 3 CPP. De façon similaire à la jurisprudence rendue en matière de droit à la confrontation (cf. c. 4.2.3), le recourant ne peut reprocher aux autorités pénales de ne pas lui avoir donné la possibilité de s’exprimer sur l’expert et les questions à lui poser. Dès lors, une éventuelle violation de l’art. 184 al. 3 CPP n’aurait en l’espèce pas conduit à l’inexploitabilité du rapport d’enquête litigieux (c. 5.5.2), sans même que le TF ne doive examiner si cette disposition constitue une règle de validité (art. 141 al. 2 CPP) ou une simple prescription d’ordre (art. 141 al. 3 CPP) (cf. c. 5.5.1).

En définitive, le recours est rejeté (c. 10).

III. Commentaire

La position du TF pourrait se résumer ainsi : pour pouvoir se prévaloir de la sanction (parfois stricte) attachée à la violation d’un droit de procédure, encore faut-il que la partie concernée en ait demandé la réparation alors qu’il en était encore temps ; à défaut, elle est réputée avoir renoncé à son droit, et donc à l’invocation de la sanction. Cette position peut sembler sévère, surtout si l’on garde à l’esprit que ces droits doivent en principe être mis en œuvre d’office par les autorités pénales. Dans d’autres arrêts, le TF avait au contraire retenu que le prévenu pouvait se borner à contester la validité d’un moyen de preuve, sans avoir auparavant requis la réparation du vice (cf. ATF 129 I 85, c. 4.4 ; TF 6B_946/2015 du 13.11.2016, c. 1.8). Bien que l’arrêt résumé ici ne le précise pas, ce sont vraisemblablement des considérations liées à la bonne foi en procédure et à l’interdiction de l’abus de droit (cf. art. 3 al. 2 let. a et b CPP, ég. applicables aux parties) qui ont guidé la réflexion de la Haute Cour (comp. avec TF 6B_71/2016 du 5.4.2017, c. 2.1.3 ; cf. aussi ATF 138 I 97, c. 4.1.5).

Dans ces conditions, le dernier moment auquel demander la réparation du droit, respectivement la répétition de l’acte vicié, devient d’autant plus important. À cet égard, l’arrêt distingue entre le droit à la confrontation (art. 6 par. 3 let. d CEDH) et le droit de s’exprimer sur l’expert et les questions (art. 184 al. 3 1ère phr. CPP). Pour le premier, le TF rappelle que le prévenu peut requérir la confrontation au stade de l’appel au plus tard (c. 4.4.2), alors que pour le second, il semble avancer la limite au stade de l’instruction (cf. c. 5.5.2, 2e par. et les arrêts cités). On peut se demander ce qu’il en est d’autres droits prévus par le CPP, tels que celui de demander la répétition d’une preuve administrée alors qu’un cas de défense obligatoire était reconnaissable (cf. art. 131 al. 3 CPP) ou celui de demander la répétition d’une audition menée en son absence (cf. art. 147 al. 3 CPP).

Proposition de citation : Alexandre Guisan, La renonciation du prévenu au droit de s’exprimer sur le choix de l’expert et les questions à lui poser, in : https://www.crimen.ch/86/ du 8 mars 2022