I. En fait
La Cour des affaires pénales du Tribunal pénal fédéral (TPF) a condamné A en tant qu’employé de la banque B pour blanchiment d’argent pour avoir, notamment, ouvert un compte et investi CHF 21.5 millions versés dans ledit compte en faveur de C en violation des règles anti-blanchiment de la banque. Saisi sur appel, la Cour d’appel du TPF a partiellement acquitté le prévenu pour les faits de blanchiment d’argent s’étant déroulés avant 2010. La condamnation pour les faits survenus entre le 8 juillet 2010 et le 25 août 2010 a été confirmée. Par recours en matière pénale auprès du Tribunal fédéral (TF), le Ministère public de la Confédération a contesté l’acquittement partiel en lien avec le chef d’accusation de blanchiment d’argent.
II. En droit
La recourante conteste l’acquittement partiel du chef de blanchiment d’argent qualifié. Elle reproche à l’instance précédente d’avoir violé le droit fédéral et d’avoir établi les faits de manière arbitraire.
L’instance précédente ayant nié l’intention de A de commettre un blanchiment d’argent pour la période allant de 1999 à juin 2010 (c. 1.1). S’agissant des faits survenus entre 1999 et juin 2010, l’instance précédente a estimé que la question centrale consistait à déterminer si le prévenu savait, dès l’ouverture du premier compte de D auprès de la banque B, que celui-ci n’était qu’un prête-nom de C. Elle devait également établir s’il avait conscience que les fonds déposés sur ces comptes étaient d’origine criminelle ou s’il avait, à tout le moins, accepté cette possibilité. Après avoir apprécié les preuves, l’instance précédente a conclu que, pour la période allant de 1999 à fin mai/juin 2010, des doutes insurmontables subsistaient quant à la connaissance par le prévenu du lien de parenté entre D et C ainsi que de l’origine illicite des fonds et a appliqué le principe in dubio pro reo conduisant à l’acquittement du prévenu pour ces faits (c. 1.2).
Après avoir rappelé le principe in dubio pro reo (art. 10 al. 3 CPP) (c. 1.3.2), le TF considère ensuite le blanchiment d’argent sous le volet de l’élément subjectif de l’infraction. Une condamnation pour blanchiment d’argent au sens de l’art. 305bis CP requiert l’intention de l’auteur, le dol éventuel étant suffisant. Si, au vu des résultats de l’enquête, on peut admettre que l’auteur n’avait pas une idée précise de la nature de l’infraction préalable, il est déterminant de savoir s’il considérait au moins comme possible que les valeurs patrimoniales proviennent d’un crime (TF 6B_1362/2020 du 20.06.2022, c. 15.2.2 ; 6B_367/2020 du 17.01.2022, c. 12.1 ; 6B_627/2012 du 18.07.2013, c. 1.2 ; avec renvois). Si le blanchisseur d’argent suppose avec une certaine probabilité qu’il s’agit de valeurs patrimoniales provenant d’un crime, mais évite autant que possible toute enquête afin de ne pas avoir à découvrir la vérité, il agit par dol éventuel. S’il ne se rend pas compte, par imprudence, que les valeurs patrimoniales sont d’origine criminelle, les éléments constitutifs de l’infraction ne sont pas réunis (TF 6B_627/2012 du 18.07.2013, c. 1.2, avec référence à Jürg-Beat Ackermann, dans : Kommentar Einziehung, organisiertes Verbrechen und Geldwäscherei, vol. I, 1998, § 5N 393 et 398) (c. 1.3.3).
En l’occurrence, l’instance précédente a constaté qu’en raison des nombreux chèques d’un montant important reçu par le client, son identité aurait dû faire l’objet de vérifications plus approfondies. En effet, il a été établi que le prévenu a fourni des informations très succinctes par rapport au profil du client. Toutefois, la question de savoir quelles vérifications concrètes par rapport à l’identité du client et l’origine de l’argent ont été entreprises par le prévenu reste ouverte. Les formulaires relatifs aux chèques encaissés sur le compte du client D permettant d’établir le contexte des transactions effectuées n’ont pas été obtenus auprès de la banque. En outre, les informations fournies par le prévenu au département Private Wealth Management de la banque ont été jugées suffisantes par ledit département qui a approuvé les transactions demandées. Au vu de ces éléments, l’instance précédente a constaté que même si, d’un point de vue objectif, le prévenu n’a pas pas entièrement respecté les normes en vigueur à l’époque lors de ses investigations complémentaires concernant le client, il est douteux que l’on puisse en tirer des conclusions claires quant à ses connaissances relatives à l’identité du client et à l’origine des fonds (c. 1.4.2).
L’instance précédente a tenu également compte de l’intérêt premier du prévenu, rémunéré sous forme de bonus, et de la banque à conclure l’affaire. Dans ce contexte, il est compréhensible que le prévenu ait eu peu de raisons de remettre en question de manière critique et d’examiner de plus près les entrées inattendues d’actifs sur les comptes du client, d’un montant d’environ CHF 47 millions, par rapport aux USD 5 millions annoncés. En outre, les informations vagues et succinctes fournies par le prévenu concernant le profil du client et sa passivité ne témoignaient pas d’une diligence particulière, mais donnaient plutôt l’impression qu’il ne souhaitait pas en savoir trop. Toutefois, aucun mécanisme de contrôle ne s’est opposé à sa démarche. Dans ces circonstances, l’instance précédente a constaté qu’il n’est pas possible d’établir que le prévenu a délibérément tenté ou ait été en mesure de contourner les mécanismes de contrôle internes de la banque en fournissant des informations fausses ou trompeuses (c. 1.4.2).
Concernant les paiements entrant sur le compte du client approuvés par le prévenu, il a été constaté que l’ordre de paiement était incomplet et nécessitait des clarifications supplémentaires. Le département compliance s’est contenté des explications sommaires du prévenu même après le déclenchement de l’alerte anti-blanchiment. Toutefois, ceci ne permet pas de prouver que le prévenu connaissait l’origine criminelle de l’argent (c. 1.4.2).
En conclusion, l’instance précédente a constaté que divers doutes subsistent quant à la connaissance du prévenu du lien de parenté entre D et C et de l’origine criminelle des fonds sur le compte du client. Le simple non-respect des obligations de diligence ne suffit pas à admettre que le prévenu a sciemment collaboré avec d’autres personnes pour dissimuler l’origine criminelle des fonds, comme le prétend l’acte d’accusation. Compte tenu du flou qui entoure les preuves, l’instance précédente a considéré, en vertu du principe in dubio pro reo, que jusqu’en mai/juin 2010, le prévenu n’avait pas connaissance du lien de parenté entre le client et C, ni de l’origine criminelle des fonds (c. 1.4.2).
Le grief selon lequel l’instance précédente aurait tiré des conclusions manifestement arbitraires est également rejeté. En effet, la recourante reproche également à l’instance précédente d’être tombée dans l’arbitraire en estimant que les violations de diligence constatées chez le prévenu ne permettent pas de retenir le dol éventuel car celui-ci a été rémunéré sous forme de bonus pour la conclusion des opérations. Selon le TF, cette appréciation de l’instance précédente peut certes être considérée comme plutôt bienveillante, mais le fait qu’une appréciation contraire aurait également été possible ne signifie pas pour autant qu’on tombe dans l’arbitraire. En outre, l’instance précédente a satisfait aux exigences de motivation qualifiées par rapport à sa décision (c. 1.4.3.2).
III. Commentaire
L’arrêt met clairement en évidence la distinction entre les manquements aux obligations de diligence bancaire et l’établissement de l’élément intentionnel du blanchiment d’argent selon l’art. 305bis CP. La recourante souhaitait déduire l’intention du prévenu du seul fait qu’il avait insuffisamment appliqué les règles internes de compliance et n’avait pas procédé aux vérifications requises. Or, tant la juridiction d’appel que le TF rappellent qu’un tel constat ne permet pas, en soi, de retenir l’intention, pas même sous la forme du dol éventuel. Le non-respect des normes de conformité peut révéler une diligence insuffisante ou des motivations professionnelles discutables, mais ne démontre pas que l’auteur avait admis ou accepté la possibilité que les fonds soient d’origine criminelle. L’autorité pénale doit établir que le prévenu percevait le risque et l’a néanmoins toléré ou a volontairement fermé les yeux afin d’éviter d’en découvrir davantage.
Un aspect particulièrement instructif de cet arrêt tient au fait que, même si l’auteur présumé aurait dû effectuer des vérifications plus poussées conformément à ses obligations professionnelles, ce constat ne permet pas encore de conclure qu’il savait, ou devait présumer, que les fonds étaient d’origine criminelle. Il faut aussi envisager qu’une personne puisse négliger un indice sans que les circonstances objectives ne suffisent à faire naître un véritable soupçon. Ainsi, un manquement au devoir de diligence ne traduit pas automatiquement une volonté d’ignorer des signaux potentiellement révélateurs, ni une acceptation consciente du risque de participer à une opération de blanchiment d’argent (voir dans ce sens CR-Cassani/Villard, art. 305bisN 42).