L’interdiction de prononcer une mesure trop clémente qui suspend l’exécution d’une longue peine privative de liberté

Une mesure thérapeutique institutionnelle ne peut être ordonnée qu’à titre exceptionnel lorsque sa durée est inférieure aux deux tiers de la durée d’exécution de la longue peine privative de liberté qu’elle suspend, à défaut de quoi un traitement ambulatoire accompagnant l’exécution de la peine doit lui être préféré, en application du principe de proportionnalité. Un individu âgé de 27 ans, condamné à 14 années et demie d’emprisonnement, ne peut par conséquent être mis au bénéfice d’une mesure pour jeune adulte (art. 61 CP), car cette dernière lui aurait permis, en cas de succès, d’être relâché deux ans avant qu’une libération conditionnelle n’entre en considération dans le cadre de l’exécution de sa peine privative de liberté.

I. En fait

Suite à un premier jugement partiellement annulé par le Tribunal fédéral (TF 6B_220/2022 du 23.5.2022), la Cour suprême du canton de Zurich condamne A, né en février 1996, à une peine privative de liberté de 14 ans et demi – sous déduction des 1’814 jours déjà exécutés à titre de détention provisoire et d’exécution anticipée de la peine – pour de nombreuses infractions, en particulier des contraintes sexuelles qualifiées et des viols, ainsi que des actes d’ordre sexuel commis sur une victime incapable de résistance (TC ZH SB220308 du 6.6.2023). A titre de mesure, le Tribunal cantonal ordonne un traitement ambulatoire en présence de troubles psychiques et d’une dépendance à l’alcool et aux stupéfiants. Enfin, l’Obergericht prononce l’expulsion du prévenu pour une durée de 13 ans.

A forme recours en matière pénale auprès du TF. Il conclut à ce que sa peine soit réduite à 7 ans et 7 mois d’emprisonnement et que soit prononcée à son égard une mesure pour jeune adulte.

II. En droit

La première partie de cet arrêt concerne la valeur probante de l’expertise qui retient une pleine responsabilité de A au moment des infractions. Ce dernier considère que sa responsabilité aurait dû être qualifiée de moyennement diminuée, compte tenu de l’action combinée de l’alcool et la cocaïne au moment des faits incriminés (c. 1).

Les juges fédéraux commencent par rappeler que, selon la jurisprudence, une concentration d’alcool inférieure à 2 grammes ‰ n’entraîne en règle générale pas de diminution de la responsabilité, alors qu’une concentration supérieure à 3 grammes ‰ pose la présomption d’une irresponsabilité totale. Un taux d’alcoolémie entre 2 à 3 grammes ‰ entraîne quant à lui une présomption de diminution de responsabilité. Il ne s’agit là toutefois que de présomptions qui peuvent être renversées en présence d’indices contraires. En effet, c’est l’état psychopathologique (l’ivresse) qui est déterminant pour l’altération des facultés consécutives à un état d’ébriété, et non sa cause, l’alcoolisation, qui se reflète dans l’alcoolémie. Il n’y a pas de corrélation fixe entre cette dernière et la psychopathologie médico-légale qui en découle ; il faut toujours tenir compte de l’accoutumance à l’alcool, de la situation de fait et des autres circonstances dans l’évaluation de la responsabilité (ATF 122 IV 49, c. 1b. 3.3 ; TF 6B_1307/2021 du 9.1.2023, c. 1.1.1, 6B_1363/2019 du 19.11.2020, c. 1.7.2) (c. 1.4.4).

En l’espèce, le TF rejoint l’avis de l’expert et de l’instance inférieure, en ce sens que A ne peut se prévaloir d’une diminution de sa responsabilité au moment des faits, malgré l’effet combiné de l’alcool et la cocaïne. La complexité et la durée des procédés déployés lors des comportements incriminés révèlent son accoutumance à ces substances et démontrent qu’il a su réagir de manière nuancée et contrôlée face à des évènements en partie inattendus (c. 1.5). Partant, son état psychopathologique, seul déterminant au sens de la jurisprudence précitée, plaide en faveur d’une pleine responsabilité pénale (c. 1.5-1.6).

Dans la seconde partie de cet arrêt, le TF se penche sur le bien-fondé de la mesure prononcée conjointement à la peine. Selon le recourant, l’Obergericht zurichois aurait dû ordonner une mesure pour jeune adulte (art. 61 CP) en lieu et place d’un traitement ambulatoire (art. 63 CP).

À titre liminaire, les parties ne remettent pas en cause le fait que les conditions respectives posées par les art. 61 et 63 CP pour le prononcé de ces deux mesures sont remplies (c. 2.2). Il convient également d’illustrer l’intérêt du recourant à être mis au bénéfice d’une mesure pour jeune adulte : une telle mesure suspend obligatoirement l’exécution de la peine et sa durée d’exécution est imputée sur la durée de la peine (cf. art. 57 al. 2 et 3), alors qu’un traitement ambulatoire peut se dérouler parallèlement à l’exécution de la peine (cf. art. 63 al. 2 CP) (cf. Thierry Urwyler, Untermassverbot bei therapeutischen Massnahmen nach Art. 59-61 und 63 StGB – ein Beitrag zur Anwendung eines wenig beachteten Aspekts der Verhältnismässigkeitsprüfung, PJA 2018, 1478 ss, 1479).

Cela étant exposé, le TF rappelle que le principe de proportionnalité (art. 56 al. 2 CP) entraîne « l’interdiction de sanctions trop clémentes » (« Untermassverbot »). Selon ce principe, la durée de la mesure et l’intensité de l’atteinte qui en résulte ne doivent pas être trop faibles au regard de la peine dont l’exécution a été suspendue (FF 1999 II 1787,1877). La jurisprudence a ainsi posé la règle de la « limite des deux tiers » (« Zweidrittelgrenze »), selon laquelle une mesure thérapeutique institutionnelle, dont la durée est inférieure aux deux tiers de la durée d’exécution de la longue peine privative de liberté qu’elle suspend, ne peut être ordonnée qu’exceptionnellement, à savoir lorsque les chances de succès de la mesure, respectivement d’une resocialisation qui ne saurait manifestement pas être atteinte par une peine privative de liberté combinée à un traitement ambulatoire, apparaissent particulièrement élevées (ATF 107 IV 20, c. 5b-5c, TF 6B_737/2009 du 28.1.2010, c. 2) (c. 2.3.1). Par ailleurs, il ressort du message du Conseil fédéral relatif à l’art. 61 CP que le législateur n’a pas souhaité empêcher l’application de « l’interdiction de sanctions trop clémentes » aux prononcés de mesures pour jeunes adultes (FF 1999 II 1787, 1877 s.). Ce dernier point n’est pas remis en question par la doctrine (v. notamment : Urwyler, op. cit., 1981 s. ;  CR CP I-Ludwiczak Glassey/Roth/Thalmann, art. 56N 27) (c. 2.4.2).

En l’occurrence, une mesure pour jeune adulte prononcée à l’égard de A prendrait au plus tard fin en février 2026, mois de ses 30 ans (cf. art. 61 al. 4 CP). Pour sa part, le solde de la peine privative de liberté suspendue par la mesure ne serait pas exécuté en cas de succès de cette dernière (cf.  art. 62b al. 3 CP). À supposer qu’une telle mesure fût prononcée le 6 juin 2023, date du jugement attaqué, et en imputant 1’814 jours (près de cinq ans) de détention subie jusqu’à cette date, le recourant subirait une privation de liberté totale de 7 ans et 8 mois. Un tel cas de figure permettrait au recourant de réduire l’exécution de sa peine privative de liberté de deux ans environ et serait inférieure à la limite des deux tiers de la peine privative de liberté de 14 ans et demi à laquelle il a été condamné, qui se situe à 9 ans et 8 mois compte tenu d’une éventuelle libération conditionnelle en application de l’art. 86 al. 1 CP. Pour pouvoir accorder au recourant le privilège d’une mesure pour jeune adulte et ainsi passer outre la « limite des deux tiers », il faut donc être en présence de chances indubitables de succès de la mesure, respectivement d’une resocialisation qui ne saurait manifestement pas être atteinte par une peine privative de liberté accompagné d’un traitement ambulatoire (c. 2.2 et 2.4.3).

Tel n’est cependant pas le cas en l’espèce. Certes, l’expert semble privilégier une mesure pour jeune adulte à un traitement ambulatoire, compte tenu de l’immaturité et du manque de perspectives professionnelles du recourant. Selon les juges fédéraux, cela n’est toutefois pas suffisant pour accorder un traitement de faveur au recourant et ordonner la mesure de l’art. 61 CP. Premièrement, l’expert a retenu que l’objectif du traitement pouvait également être atteint par un traitement ambulatoire accompagnant l’exécution de la peine. D’ailleurs, le recourant a commencé à suivre une formation professionnelle durant son incarcération. Deuxièmement, l’instance cantonale a relevé, s’agissant des chances de succès de la mesure, que la thérapeute du recourant – dont l’évaluation peut être prise en compte outre les conclusions de l’expertise – estimait dans l’ensemble douteuse son accessibilité thérapeutique au traitement, vu son score élevé de psychopathie combiné à son narcissisme. Partant, les conditions pour passer outre la « limite des deux tiers » ne sont in casu pas remplies. Compte tenu de ces éléments, le TF n’estime pas nécessaire de déterminer si l’autorité cantonale pouvait à juste titre s’écarter de l’expertise en se fondant sur l’âge avancé du recourant au début de la mesure (27 ans), respectivement au moment des délits les plus graves (22 ans), ainsi que sur son manque de prise de conscience pour parvenir à la conclusion que le but éducatif de la mesure pour jeune adulte serait difficilement atteignable (c. 2.4.3).

Au vu de ce qui précède, c’est à bon droit que l’Obergericht zurichois a ordonné à l’égard de A un traitement ambulatoire pour soigner ses addictions à l’alcool et aux stupéfiants, et lutter contre ses troubles psychiques, sans suspendre l’exécution de la peine privative de liberté. Le Tribunal fédéral rejette ainsi le recours de A (c. 2.4.4 et 3).

Proposition de citation : Frédéric Lazeyras, L’interdiction de prononcer une mesure trop clémente qui suspend l’exécution d’une longue peine privative de liberté, in : https://www.crimen.ch/262/ du 11 avril 2024