I. En fait
Il est reproché à A d’avoir, le 19 septembre 2020, accéléré et percuté B avec son véhicule sur un parking à une vitesse se situant entre 27 à 35 km/h. Par la suite, A est rentré chez lui et n’a ni porté secours à B, alors blessé et allongé au sol, ni alerté les services de secours.
Acquitté en première instance, A est condamné par le Tribunal cantonal argovien pour tentative de lésions corporelles graves (art. 122 CP cum art. 22 al. 1 CP) et omission de prêter secours (art. 128 CP).
A forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral et conclut à son acquittement.
II. En droit
Dans un premier grief, A se plaint qu’un enregistrement issu du système de recherche automatisée de véhicules et de surveillance du trafic (ci-après : « système AFV »), obtenu illégalement et ne figurant pas au dossier, aurait été considéré à tort comme exploitable par l’autorité inférieure (c. 1.1).
La collecte et la conservation des enregistrements du système AFV portent atteinte aux droits fondamentaux, notamment à la vie privée et au droit à l’autodétermination en matière d’information. Sans base légale suffisamment précise, cette surveillance est contraire à l’art. 13 al. 2 Cst en relation avec l’art. 36 al. 1 Cst. L’exploitation comme preuves d’enregistrements obtenus illégalement doit être évaluée selon l’art. 141 al. 2 CPP (not. ATF 146 I 11, c. 3.1, 3.2 s. et 4.1 s.). Selon cette disposition, les preuves obtenues illégalement par les autorités pénales ne peuvent être exploitées, sauf si elles sont indispensables pour élucider des infractions graves. La gravité de l’infraction doit être évaluée en fonction des circonstances spécifiques du cas, du bien juridique protégé, de l’ampleur de sa mise en danger ou de sa violation, du mode opératoire, de l’énergie criminelle déployée par l’auteur, et du mobile de l’infraction (ATF 149 IV 352, c. 1.3.3 et les réf. citées) (c. 1.2).
Le recourant conteste la qualification d’infraction grave selon l’art. 141 al. 2 CPP retenue par l’instance précédente en raison de la gravité concrète de la tentative de lésions corporelles graves (c. 1.3). Il argue qu’au début de la procédure, les infractions envisagées, soit les lésions corporelles simples (art. 123 ch. 1 aCP) et la violation des obligations en cas d’accident (art. 92 al. 2 LCR) constituent des délits ; c’est uniquement par la suite que des éléments subjectifs, à l’instar de l’intention d’infliger des lésions corporelles graves, ont été retenus pour requalifier les infractions applicables (c. 1.4.1).
Selon le Tribunal fédéral, l’appréciation ex ante de l’existence d’une infraction grave au sens de l’art. 141 al. 2 CPP défendue par A doit être rejetée. La jurisprudence exigeant une évaluation basée sur les faits concrets (ATF 149 IV 352, c. 1.3.3), il n’est pas pertinent de discuter les arguments du requérant concernant le soupçon initial de lésions corporelles simples. La tentative de lésions corporelles graves est considérée comme un crime mettant en danger le bien juridique particulièrement précieux qu’est l’intégrité corporelle (art. 122 CP cum art. 22 al. 1 CP, art. 10 al. 2 CP). Au regard des faits reprochés, en particulier l’accélération du véhicule à une vitesse se situant entre 27 à 35 km/h et la collision qui s’en est suivie avec le piéton B, c’est à raison que l’instance inférieure a considéré que le recourant faisait preuve d’une énergie criminelle considérable et qu’il s’agissait d’une infraction grave au sens de l’art. 141 al. 2 CPP (c. 1.4.2). Ainsi, l’exploitation des enregistrements à des fins d’enquête est admissible dans ce cas, l’instance précédente n’ayant pas violé le droit fédéral en donnant priorité à l’intérêt public à l’élucidation des faits sur celui du recourant à la collecte légale des preuves et à leur inexploitabilité (c. 1.4.3 et 1.4.4).
A se plaint en second lieu d’une violation de son droit à un procès équitable au sens de l’art. 6 § 1 et 3 CEDH, en raison de l’absence au dossier de l’enregistrement provenant du système AFV (c. 2.1).
Le droit d’être entendu, prévu par les art. 29 al. 2 Cst et 6 § 3 CEDH, implique que l’accusé a le droit de consulter toutes les pièces essentielles à la procédure et de participer à l’administration des preuves ou, à tout le moins, de se déterminer sur son résultat (ATF 142 I 86, c. 2.2). Ce droit vise à permettre au prévenu de prendre connaissance des bases de la décision et de se défendre de manière efficace. Pour que ce droit soit effectivement exercé, le dossier doit être complet, incluant tous les moyens de preuve et leur provenance. Le prévenu doit pouvoir vérifier la validité des preuves et soulever des objections si nécessaire. Cette exigence est concrétisée par l’art. 100 CPP, garantissant ainsi que les droits de défense soient respectés (ATF 129 I 85, c. 4.1 et les réf. citées). La conséquence juridique d’une violation des prescriptions concernant les procès-verbaux ou la gestion des dossiers est régie par l’art. 141 CPP. La jurisprudence n’a pas encore tranché si ces violations relèvent des prescriptions de validité ou d’ordre au sens de l’art. 141 al. 2 ou al. 3 CPP (TF 6B_1419/2020 du 2.5.2022 et les réf. citées) (c. 2.2).
Le recourant soutient à juste titre que l’exhaustivité du dossier est essentielle pour garantir ses droits de défense. Son identification repose sur un rapport de police basé sur un enregistrement vidéo montrant son véhicule franchissant un poste frontière. Il a eu la possibilité de contester cette preuve, mais n’a apporté aucun élément remettant en cause l’authenticité de l’enregistrement ou la crédibilité des informations fournies par le corps des gardes-frontière. Contrairement à l’argumentation de A, les faits qui lui sont reprochés ne reposent pas sur l’enregistrement vidéo comme preuve principale, mais sur des témoignages et ses propres déclarations. Bien que l’obligation de tenir un dossier complet ait été violée, cela n’affecte pas l’exploitation des preuves dans ce cas, peu importe qu’il s’agisse d’une violation de prescription de validité ou d’ordre selon l’art. 141 al. 2 ou al. 3 CPP. En effet, l’infraction ayant été qualifiée de grave au sens de l’art. 141 al. 2 CPP, les preuves obtenues en violation des prescriptions de validité peuvent également être utilisées si leur exploitation est indispensable pour élucider l’infraction. Ainsi, le grief est rejeté (c. 2.3).
Finalement, A conteste sa condamnation pour omission de prêter secours (art. 128 CP) car il s’agit, selon lui, d’un comportement passif subséquent non punissable (straflose Nachtat) coréprimé (mitbestrafte) par la tentative de lésions corporelles graves (art. 122 CP cum art. 22 al. 1 CP) commise préalablement (c. 4.1).
Après avoir exposé la teneur des art. 22, 122 et 128 CP, le Tribunal fédéral rappelle sa jurisprudence concernant le concours de l’art. 128 CP avec d’autres infractions. Il a ainsi été jugé qu’un auteur qui tente de tuer une victime et la laisse blessée, ne doit pas être condamné pour omission de porter secours car l’intention de tuer inclut la volonté de ne pas prêter secours (ATF 87 IV 7). En revanche, si l’auteur blesse intentionnellement une personne et ne lui porte pas assistance, il peut être coupable à la fois de lésions corporelles simples et d’omission de porter secours en concours réel (ATF 111 IV 124, c. 2.b et les réf. citées). Ce concours se justifie par le fait que l’auteur a réalisé l’élément subjectif visé par l’art. 123 CP en infligeant les blessures ; s’il ne fournit en outre pas d’aide à la victime, il va au-delà du résultat requis par cette infraction. Par ailleurs, la jurisprudence du TF estime qu’il existe un concours réel entre les lésions corporelles graves intentionnelles (art. 122 al. 3 aCP) et l’omission de porter secours (art. 128 CP) lorsque l’absence de secours augmente le risque pour la victime au-delà des blessures initialement infligées intentionnellement. Ainsi, le besoin d’aide de la victime ne provient pas seulement des lésions corporelles graves mais aussi de l’omission de porter secours, qui aggrave la situation (TF 6P.113/2005 et 6S.352/2005 du 25.3.2006, c. 8.4.2 et les réf. citées) (c. 4.2).
En l’espèce, il s’agit de déterminer si le fait que le recourant ne porte pas secours à la victime a créé un risque de survenance d’un résultat allant au-delà de la blessure qu’il a accepté en tentant de causer des lésions corporelles graves. L’instance inférieure a déterminé qu’après la collision, la victime a subi des lésions corporelles simples (art. 123 ch. 1 aCP) et il n’y avait pas de preuve qu’elle se trouvait en danger de mort. De plus, A savait que B pourrait être blessé et avoir besoin d’aide, mais il ne lui a pas porté secours, acceptant qu’il puisse ne pas en recevoir. Toutefois, il n’a pas été établi que l’omission de prêter secours ait créé un danger pour l’intégrité physique de B qui allait au-delà des lésions corporelles graves envisagées par le recourant. Ainsi, après avoir commis la tentative de lésions corporelles graves, le recourant ne doit pas être condamné également pour omission de porter secours (art. 128 CP). En effet, la volonté de causer des lésions corporelles graves (art. 122 CP) exprimée lors de la tentative inclut en l’espèce celle de ne pas porter secours (cf. ATF 87 IV 7). L’omission de porter secours est considérée comme un comportement passif subséquent non punissable (straflose Nachtat) parce que coréprimé (mitbestrafte) par la tentative de lésions corporelles graves (art. 122 CP cum art. 22 al. 1 CP) commise préalablement, excluant ainsi le concours d’infractions (c. 4.3). Le recours est admis et la cause renvoyée à l’autorité précédente pour nouvelle décision dans le sens des considérants (c. 5).