Les infractions de génocide et crimes contre l’humanité à l’épreuve des principes d’imprescriptibilité et de non-rétroactivité

L’art. 101 al. 3 CP permet de déroger au principe général de non-rétroactivité de la loi pénale (art. 2 al. 1 CP) ainsi qu’à l’exception de la lex mitior (art. 2 al. 2 CP). Ces dispositions sont complétées, selon les mêmes principes, par les art. 388 à 390 CP concernant l’exécution des jugements, des peines et des mesures, la prescription ainsi que la plainte. L’art. 389 al. 1 CP réserve en effet toute disposition contraire de la loi. Une telle dérogation découle de l’art. art. 101 al. 3 CP s’agissant notamment de la prescription du génocide et des crimes contre l’humanité. Dès lors, sont imprescriptibles les infractions de génocide (art. 264 CP) et de crimes contre l’humanité (art. 264a CP) si l’action pénale ou la peine n’était pas prescrite le 1er janvier 1983, respectivement le 1er janvier 2011 en vertu du droit applicable à ces dates. L’art. 101 al. 3 CP instaure ainsi une rétroactivité limitée des règles sur l’imprescriptibilité des infractions de génocide et de crimes contre l’humanité.

I. En fait 

B, ancien membre de la diplomatie iranienne et militant du Conseil national de la résistance iranienne, a été assassiné le 24 avril 1990 à Coppet (VD). 

Une procédure a été ouverte par le Ministère public central du canton de Vaud (MP-VD) à l’encontre de 13 prévenus pour assassinat, respectivement ou subsidiairement complicité d’assassinat ainsi que contre C, ex-ministre iranien, pour instigation à assassinat. 

En mai 2020, le MP-VD a informé les parties plaignantes de son intention de classer la procédure en relevant que la prescription de 30 ans était atteinte s’agissant des infractions reprochées. Un mois plus tard, A, le frère de B, constitué partie plaignante, a relevé que l’exécution de ce dernier était en relation directe avec le massacre de trente mille prisonniers politiques perpétré en Iran dans la seconde moitié de l’année 1988 sous le couvert de la fatwa prononcée par le Guide suprême D. Il a ainsi dénoncé les actes commis par les prévenus comme constitutifs de génocide et de crimes contre l’humanité au sens des art. 264 et 264a CP et a précisé qu’il entendait faire valoir leur imprescriptibilité. Le MP-VD a transmis l’écriture au Ministère public de la Confédération (MPC) comme objet de sa compétence. Après que le MPC a refusé par deux fois de reprendre la procédure, ne s’estimant pas compétent, le MP-VD a adressé une requête en fixation de compétence matérielle auprès de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral, requête admise par cette dernière qui a estimé que le MPC était seul compétent pour se prononcer sur l’extension de la qualification juridique des faits requise par la partie plaignante au mois de juillet 2020 et, le cas échéant, pour poursuivre et juger les infractions en cause (TPF BG.2021.12 du 25.3.2021, c. 2.2). 

Par ordonnance du 28 avril 2021, le MPC a refusé d’étendre la qualification juridique faisant en substance valoir que les faits avaient été commis antérieurement à l’entrée en vigueur des art. 264 et 264a CP et que, dès lors, le principe de non-rétroactivité (art. 2 al. 1 CP) devait être appliqué. A recourt par-devant la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral (ci-après : TPF) contre ladite ordonnance.

II. En droit 

Entrant en matière sur le recours (c. 1 à 1.4), le TPF rappelle en premier lieu l’imprescriptibilité des infractions de génocide (art. 264 CP) et de crimes contre l’humanité (art. 264a CP) consacrée à l’art. 101 al. 1 let. a et b CP. L’art. 101 al. 1 let. a et b CP faisant partie des nouvelles dispositions pénales entrées en vigueur en 2011 en vue de la mise en œuvre du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, le TPF est amené à s’interroger sur son application aux faits commis antérieurement. Outre l’art. 2 CP, le TPF rappelle la teneur des dispositions transitoires des art. 388 à 390 CP. L’art. 389 al. 1 dispose que « [s]auf disposition contraire de la loi, les dispositions du nouveau droit concernant la prescription de l’action pénale et des peines sont applicables également aux auteurs d’actes commis ou jugés avant l’entrée en vigueur du nouveau droit si elles lui sont plus favorables que celles de l’ancien droit » (c. 2.1.2). L’art. 101 al. 3 CP prévoyant l’application de l’al. 1 aux art. 264 et 264a CP si l’action pénale ou la peine n’était pas prescrite le 1er janvier 1983, respectivement le 1er janvier 2011 en vertu du droit applicable à ces dates, constitue l’une des dérogations réservée par l’art. 389 al. 1 CP. L’art. 101 al. 3 CP instaure ainsi une rétroactivité limitée des règles sur l’imprescriptibilité des infractions de génocide et de crimes contre l’humanité (ATF 132 III 661, c. 4.3) (c. 2.1.3).

Après avoir rappelé la teneur des art. 264 let. a et 264a al. 1 let. a CP, le TPF précise, en s’appuyant sur la doctrine, que l’infraction de génocide vise expressément l’acte de tuer des membres – soit au moins deux semble-t-il – d’un groupe national, racial, religieux, ethnique, social, ou politique. Les groupes politiques doivent être définis comme des « communautés partageant des intérêts généraux et publics et s’organisant à ces fins ». Quant aux crimes contre l’humanité, le TPF rappelle, toujours en faisant référence à la doctrine, que l’« attaque » dont la disposition fait expressément mention, découle généralement d’une stratégie de la politique d’un État ou d’une organisation et doit être générale, en ce sens qu’elle doit avoir une certaine envergure ou être systématique. Une seule victime peut être suffisante pour que l’infraction soit retenue si tant est que l’action prend place dans un « contexte plus large d’une attaque généralisée ou systématique » (c. 2.2.3).

En l’espèce, le TPF a considéré que plusieurs éléments ressortant du dossier pénal établi par le MP-VD ne permettaient pas de nier l’existence des caractéristiques nécessaires à l’application des art. 264 et 264a CP. En effet, le TPF a relevé que la mise à mort de B avait été décidée et ordonnée par C, à l’époque ministre des services de renseignement et des affaires concernant la sécurité de la République islamique d’Iran et responsable des actions d’exécution au régime en 1982 ou 1983, alors que la victime se trouvait déjà en suisse et était au bénéfice de l’asile politique. 

En ce qui concerne la planification et la mise en œuvre de l’exécution, le TPF a notamment relevé que des commandos iraniens s’étaient déplacés trois fois en Suisse. Ses membres étaient dotés lors du troisième déplacement – à la suite duquel B a été assassiné – de passeports de services iraniens estampillés de la mention « chargé de mission » et ont quitté le territoire suisse dans les heures qui ont suivi le crime. Le TPF a également souligné la particularité du contexte entourant l’assassinat de la victime. En effet, antérieurement et postérieurement à la mort de B, d’autres opposants iraniens avaient été exécutés à Hambourg, Vienne, Genève, Londres, Dubaï et Paris, et il existait plusieurs mandats d’arrêts internationaux à l’encontre de C (c. 2.2.4).

Le TPF arrive donc à la conclusion que les faits objets de la procédure ouverte notamment à l’encontre de C pourraient être constitutifs de génocide ou de crimes contre l’humanité et que, en vertu du principe in dubio pro duriore, il revient au MPC de reprendre la cause dès lors que lesdits faits ne sont pas prescrits.

III. Commentaire

Cet arrêt du Tribunal pénal fédéral est à saluer puisqu’il est conforme à la doctrine en relation à l’imprescriptibilité des infractions de génocide et de crime contre l’humanité et la rétroactivité limitée conférée à cette dernière par l’art. 101 al. 3 CP. Il s’inscrit en effet dans la droite ligne de la décision rendue également par le TPF dans le cadre de la procédure ouverte à l’encontre de Khaled Nezzar qui avait été classée après plus de cinq ans d’enquête, le MPC ayant nié l’existence d’un conflit armé en Algérie à l’époque des faits. Dans ce cadre, le MPC avait également été désavoué par le TPF qui dans son arrêt (TPF 2018 96, c. 7.2.2), bien qu’il portait principalement sur l’existence d’un conflit armé en Algérie à l’époque des faits, avait déjà consacré un considérant à l’imprescriptibilité des crimes de génocide et de crimes contre l’humanité pour lesquelles l’action pénale ou la peine n’était pas prescrite au 1er janvier 1983, respectivement au 1er janvier 2011 en vertu du droit applicable à ces dates.

Bien plus surprenante est donc la décision initiale du MPC qui fait l’objet du présent arrêt. L’on comprend en effet mal pour quelles raisons le MPC – qui nous le rappelons avait déjà été contraint par le TPF d’admettre sa compétence matérielle pour se saisir de la cause (TPF BG.2021.12 du 25.3.2021) – a ensuite refusé d’étendre la qualification juridique des faits en invoquant le principe de non-rétroactivité de la norme pénale au sens de l’art. 2 al. 1 CP, tant il semble admis, à tout le moins par la doctrine, que l’art. 101 al. 3 CP constitue une exception à la norme précitée. Nous ne pouvons nous empêcher d’y voir une certaine retenue, si ce n’est une retenue certaine à poursuivre sur le territoire suisse les auteurs de crimes internationaux de la part du MPC.

Notons finalement que cette réticence a également été soulignée par des parlementaires fédéraux qui ont adressé plusieurs interpellations au Conseil fédéral afin de s’assurer de la volonté du MPC d’agir dans des procédures concernant les crimes internationaux (voir notamment interpellation 17.3933 Mazzone et interpellation 17.3951 Markwalder).

Proposition de citation : Laura Ces, Les infractions de génocide et crimes contre l’humanité à l’épreuve des principes d’imprescriptibilité et de non-rétroactivité, in : https://www.crimen.ch/47/ du 28 octobre 2021