Les conditions de la libération conditionnelle de l’internement

Les exigences de l’art. 64a al. 1 CP pour la libération conditionnelle de l’internement sont très strictes et la probabilité que l’auteur se conduise bien en liberté doit être élevée. L’âge et, conformément au principe de proportionnalité, les nombreuses années de privation de liberté, peuvent abstraitement être invoqués en faveur de la libération conditionnelle de la mesure d’internement. Il ne s’agit toutefois pas de critères absolus dans l’évaluation de la dangerosité d’une personne internée et ils doivent continuer à être mis en balance avec l’intérêt à la protection des victimes.

En 2003, le Tribunal cantonal du canton de Zurich reconnaît un homme coupable d’actes d’ordre sexuel avec des enfants et de contrainte sexuelle et le condamne à une peine privative de liberté de 4 ans et 4 mois. Celle-ci est complémentaire à une sanction antérieure et une privation de liberté subie depuis 1993 (cf. TF 6S.379/2003 du 1.12.2004, let. A). La peine est toutefois suspendue au profit d’un internement. Le Tribunal fédéral rejette en 2004 un recours contre cette mesure (TF 6S.379/2003 du 1.12.2004) qui est maintenue en 2010. Alors qu’il est en cellule, les autorités découvrent en 2012 des images de manga pédopornographiques sur une carte mémoire électronique de l’homme qui est ainsi reconnu coupable de possession de représentations pornographiques (TF 6B_557/2017 du 9.1.2018). 

Une première demande de libération conditionnelle de l’internement déposée en 2014 est refusée (TF 6B_90/2016 du 18.5.2016). Alors âgé de 73 ans, le condamné réitère cette demande en 2019 et conteste le nouveau refus des autorités zurichoises devant le Tribunal fédéral en s’appuyant sur une expertise privée qui a été écartée par l’instance inférieure.

En premier lieu, la licéité de la procédure est examinée à la lumière du principe de célérité et de l’art. 5 par. 4 CEDH (c. 1). 

En l’espèce, la demande a été déposée en novembre 2019 et rejetée le mois suivant par l’autorité (administrative) d’exécution des sanctions. Ensuite, le Département de justice et des affaires intérieures a statué sur le recours de l’intéressé au mois de février 2020. Ce n’est que 9 mois plus tard suite à un nouveau recours que le Tribunal administratif du canton de Zurich s’est prononcé.

Compte tenu de la jurisprudence de la CourEDH (Derungs c. Suisse du 10.5.2016), le Tribunal fédéral juge qu’une durée de 9 mois pour la procédure judiciaire (cumulée avec la procédure de recours interne) est incompatible avec l’exigence de célérité. Le recours doit donc être admis sur ce point et la violation de l’art. 5 par. 4 CEDH constatée dans le dispositif. Ce constat, couplé à la renonciation de la condamnation au paiement des frais de justice, constitue une satisfaction suffisante et la violation ne donne donc pas droit à une indemnité en sus (c. 1.3.3).

Le Tribunal fédéral examine ensuite les conditions de la libération conditionnelle de l’internement. Aux termes de l’art. 64a al. 1 CP, une personne peut être libérée conditionnellement de l’internement dès qu’il est à prévoir qu’elle se conduira correctement en liberté. Les exigences de cette disposition sont très strictes et la probabilité que l’auteur se conduise bien en liberté doit donc être élevée. Il y a lieu de tenir compte de la durée de la mesure – et donc la privation de liberté –, car plus est longue, plus strictes sont les exigences relatives au respect du principe de proportionnalité. D’une part, le droit fondamental à la liberté de la personne internée a une grande importance et, d’autre part, le pronostic dans le cadre de la décision sur la libération conditionnelle exige que la libération puisse se justifier au regard du risque de récidive auquel on peut s’attendre. Plus la valeur des biens juridiquement protégés est élevée, plus le risque de récidive doit être faible. Le poids croissant qui est accordé au droit à la liberté trouve sa limite lorsque, au vu de la nature et de l’importance du danger menaçant les biens juridiquement protégés des tiers et de la collectivité en général, la libération conditionnelle de la mesure ou sa levée apparaissent inadmissibles (c. 2.3).

En l’espèce, une expertise judiciaire psychiatrique a retenu en 2014 que le recourant souffrait de pédophilie et d’un trouble mixte de la personnalité jugé sérieux. Son âge a été pris en compte dans l’évaluation du risque de récidive, mais le risque est apparu comme demeurant élevé (c. 2.5). La question de savoir si la pédophilie est stable à vie ou évolutive est indécise dans la littérature scientifique spécialisée. En outre, un potentiel de risque élevé a été retenu en 2017 et les rapports d’exécution des années 2015 et 2017 n’ont constaté aucun changement significatif chez l’intéressé. L’expertise privée ne justifie ni de s’écarter de l’expertise judiciaire ni d’en ordonner une nouvelle, car les deux expertises sont largement concordantes. En effet, toutes deux considèrent que la pédophilie ne peut être traitée, envisagent chez le recourant un risque de récidive et retiennent qu’une libération conditionnelle ne pourrait être possible que par la mise en place d’un système de gestion des risques solide. L’expertise privée considère néanmoins que le recourant ne s’adonnerait éventuellement à des actes répréhensibles qu’après une longue période et que ses thérapeutes seraient en mesure de reconnaître un risque de passage à l’acte et d’y réagir (c. 2.6.1 s.).

Cela étant, les infractions commises par le recourant et qui sont à prévoir s’il est libéré sont sérieuses et sa consommation de pédopornographie démontre la nécessité pour lui d’assouvir ses pulsions sexuelles sadiques (c. 2.6.1). Durant sa détention, il a refusé de s’adonner à une thérapie orientée sur le crime et n’a développé aucune stratégie d’adaptation, sans non plus avoir intériorisé le fait qu’il doit s’abstenir de toute activité sexuelle avec des enfants et rester éloigné d’eux (c. 2.6.2).

Finalement, l’expertise privée part du principe que des agressions sexuelles sont prévisibles et fait porter la responsabilité de leur empêchement sur les personnes qui suivraient le recourant et devraient être sur leurs gardes pour réagir à temps. Difficile à mettre en pratique au quotidien, ce concept est d’autant moins justifiable. De plus, l’interdiction d’éviter tout contact avec des enfants envisagée par l’expertise ne pourrait être correctement exécutée que par un contrôle minutieux (c. 2.5 et 2.6.2).

En définitive, l’âge et, conformément au principe de la proportionnalité, les par hypothèse nombreuses années de privation de liberté peuvent abstraitement être invoqués en faveur de la révocation de l’internement. En raison du potentiel de risque élevé que continue de représenter le recourant in casu, ni son âge ni une pesée des intérêts ne peuvent justifier sa libération conditionnelle, car la protection des victimes pèse plus encore plus lourd que son intérêt à être libéré conditionnellement (c. 2.6.3). Le recours est par conséquent rejeté sur ce point.

Le présent arrêt met en lumière la nature extrêmement restrictive des conditions relatives à la libération de la mesure d’internement, de surcroît dans un cas d’espèce où l’intéressé, âgé de 74 ans au moment de sa demande, a été écroué plus de 26 ans durant (cf. TF 6B_109/2019 du 19.7.2013 pour une personne âgée de 76 ans).

Se référant à la littérature scientifique, le Tribunal fédéral a d’abord indiqué que l’âge devait être considéré comme un « facteur protecteur » pour l’intéressé qui prend de l’importance à partir de ses 50 ans. Passé 70 ans, l’âge devait être considéré comme revêtant un poids décisif rendant tous les autres facteurs de risque négligeable, en particulier par rapport aux infractions violentes et sexuelles (TF 6B_424/2015 du 4.12.2015, c. 3.7). Notre Haute Cour a ensuite précisé que le critère de l’âge n’était pas absolu, car il se peut qu’il n’influence en rien ou, du moins pas de manière significative, la dangerosité (TF 6B_582/2017 du 19.6.2018, c. 4.3.5). 

Le présent arrêt reprend cette jurisprudence et, en parallèle du critère de l’âge, énonce que les nombreuses années de privation de liberté doivent être prises en compte au regard du principe de proportionnalité. Si ces éléments revêtent un poids certain, ils doivent continuer à être mis en balance avec l’intérêt à la protection des victimes (cf. c. 2.6.3). Pour les pédophilpes âgés, les exigences restrictives du Tribunal fédéral pour bénéficier de l’art. 64a CP ont pour effet qu’il doit être prouvé que ceux-ci présentent un risque de récidive inexistant, voire minime, soit parce que l’intéressé s’est rendu accessible à un traitement réussi – ce qui semble être exclu en l’état actuel des connaissances scientifiques – soit parce qu’il n’est plus capable (physiquement) de causer du tort (critique : Konrad Jeker, Das Ende der bedingten Entlassung aus der Verwahrung, in : strafprozess.ch). Autrement dit, les possibilités apparaissent comme extrêmement minces.

Proposition de citation : Kastriot Lubishtani, Les conditions de la libération conditionnelle de l’internement, in : https://www.crimen.ch/1/ du 1 juin 2021