La proportionnalité de la durée de la détention pour des motifs de sûreté ordonnée afin de garantir la mise en œuvre d’une mesure

L’art. 440 CPP constitue une base légale explicite permettant d’ordonner ou de prolonger une détention pour des motifs de sûreté ordonnée pour garantir l’exécution d’une mesure, même lorsque la condamnation est entrée en force. Une telle détention est compatible avec le droit matériel fédéral lorsqu'il s'agit d'une situation d’urgence transitoire de courte durée. Afin de déterminer si la durée de la détention est conforme au principe de la proportionnalité, il faut prendre en considération l’intensité des efforts déployés par l’État pour placer la personne concernée dans un établissement adapté ainsi que la mise en place de soins thérapeutiques dans le cadre de la détention qui précède la mise en œuvre de la mesure. Les difficultés que pourrait rencontrer l’État au moment du placement et qui sont engendrées par le condamné doivent également être prises en compte.

I. En fait

A a été arrêté le 13 octobre 2018 et placé en détention provisoire, puis en détention pour des motifs de sûreté. Le 25 août 2020, le Tribunal de district de Zurich a déclaré A coupable de tentative de meurtre, l’a condamné à une peine privative de liberté de 10 ans et a prononcé à son encontre une mesure thérapeutique institutionnelle au sens de l’art. 59 CP. L’exécution de la peine privative de liberté a été suspendue au profit de la mesure. Après avoir formé appel du jugement, A a retiré son appel, retrait qui a été constaté formellement par le Tribunal de deuxième instance le 13 janvier 2021, rendant ainsi définitif et exécutoire le jugement de première instance.

Le 17 février 2021 A n’avait pas encore été transféré dans un établissement approprié au sens de l’art. 59 al. 2 CP bien qu’il se trouvait en exécution anticipée de la mesure thérapeutique depuis le 18 décembre 2020. Le président de la Cour cantonale ayant estimé que A présentait un risque de fuite et de réitération, il a prolongé, par voie d’ordonnance, la détention pour des motifs de sûreté jusqu’à ce qu’il soit transféré dans un établissement lui permettant d’exécuter la mesure. 

Le 13 juillet 2021, A, toujours en détention pour des motifs de sûreté, requiert sa libération immédiate, mais celle-ci est rejetée par la Cour cantonale. Il recourt alors contre la décision par-devant le Tribunal fédéral et conclut notamment à l’annulation de la décision, à sa  libération immédiate et au constat que la décision viole la CEDH.

II. En droit

Entrant en matière sur le recours (c. 1.2), le TF commence par se poser la question de la base légale sur laquelle repose la détention. Il confirme sa jurisprudence (ATF 142 IV 105, c. 4.1, JdT 2017 IV 3) établissant que l’art. 440 CPP constitue une base légale explicite permettant d’ordonner ou de prolonger une détention pour des motifs de sûreté même lorsque la condamnation est entrée en force. L’art. 440 CPP s’applique toutefois uniquement pour un temps limité, soit la période entre la condamnation entrée en force et le début de la peine ou de la mesure (TF 1B_186/2015 du 15.7.2015, c. 4.1) (c. 1.3).

Par la suite, le TF revient sur les critiques formulées par le recourant qui ne conteste pas les motifs de la détention mais sa conformité au principe de la proportionnalité (c. 2.2). Il rappelle qu’une détention dans un établissement de détention (« Haftanstalt ») ou dans un établissement d’exécution des peines (« Strafanstalt ») est compatible avec le droit matériel fédéral lorsqu’il s’agit d’une situation d’urgence transitoire de courte durée. Un placement de plus longue durée dans un établissement pénitentiaire n’est pas admissible – sauf si les conditions de l’art. 59 al. 3 CP sont données – sous peine d’annihiler le but de la mesure (ATF 142 IV 105, c. 5.8.1, JdT 2017 IV 3). Des délais d’attente de courte durée doivent être tolérés bien que l’État est tenu de mettre à disposition un nombre suffisant de places dans un établissement approprié pour l’exécution de la mesure prononcée (CourEDH Brand c. Pays-Bas du 11.5.2004, § 64 ; ATF 142 IV 105, c. 5.8.1, JdT 2017 IV 3). Plus l’enfermement dans un établissement pénitentiaire sans accès à des soins est long, plus l’on se détourne du but de la mesure – soit la resocialisation – ainsi que du droit du condamné à bénéficier d’un traitement adéquat. Cela a également pour conséquence d’inverser le principe de la priorité de la mesure sur la peine prévu à l’art. 57 al. 2 CP. En outre, « le besoin de traitement de l’intéressé ne vaut comme justification à la mesure thérapeutique institutionnelle, respectivement à la privation de liberté qui y est liée, que pour autant qu’un traitement ait effectivement lieu » (ATF 142 IV 105, c. 5.8.1, JdT 2017 IV 3 que nous citons ici) (c. 2.3).

Un séjour dans un établissement pénitentiaire (parfois nommé détention organisationnelle [« Organisationshaft »]) ne peut dès lors être ordonné que dans la mesure où ce temps est nécessaire pour trouver une institution appropriée. La proportionnalité de la durée de la détention s’analyse à l’aune de l’intensité des efforts déployés par l’État afin de placer le condamné dans un établissement adéquat. Il s’agit également de tenir compte des difficultés que pourrait rencontrer l’État pour placer le condamné et qui sont intrinsèques à ce dernier (par exemple des difficultés linguistiques [TF 6B_294/2020 du 24.9.2020, c. 5], le refus de se soumettre à une thérapie [TF 6B_840/2019 du 15.10.2019, c. 2.5.5] ou un comportement agressif [ATF 142 IV 105, c. 5.8.1, JdT 2017 IV 3]). La durée de la détention peut toutefois être disproportionnée même lorsque l’autorité d’exécution a fourni des efforts conséquents. En effet, outre l’obligation de l’État de mettre à disposition un nombre suffisant de places dans des établissements adaptés, le TF rappelle l’obligation découlant de l’art. 62c al. 3 CP de lever la mesure s’il n’existe pas ou plus d’établissement approprié permettant la prise en charge de l’intéressé (TF 6B_1293/2016 du 23.10.2017, c. 2.1) (c. 2.4).

Notre Haute Cour passe ensuite en revue sa jurisprudence rendue en la matière. Elle évoque une première affaire (TF 6B_161/2021 du 8.04.2021) dans laquelle différents motifs (soins psychiatriques de base prodigués pendant la détention, efforts déployés par l’autorité d’exécution pour placer le recourant malgré des difficultés linguistiques, pandémie de Covid-19) l’ont amenée à considérer admissible un délai d’attente en détention d’un peu plus de neuf mois avant la mise en œuvre d’un traitement institutionnel des addictions au sens de l’art. 60 CP. Dans un autre arrêt récent (TF 6B_294/2020 du 24.9.2020), le TF a jugé que la détention en milieu carcéral pendant près de 13 mois d’une personne devant exécuter une mesure thérapeutique institutionnelle n’était pas contraire à l’art. 5 par. 1 let. e CEDH au vu des efforts déployés par les autorités afin de rechercher un établissement adéquat, des circonstances personnelles de l’intéressé et des soins dont il a pu bénéficier durant les six derniers mois de ladite détention. Notre Haute Cour mentionne également deux autres arrêts dans le cadre desquels elle a considéré que des périodes de détention de 10 mois (TF 6B_840/2019 du 15.10.2019), respectivement 11 mois (TF 6B_850/2020 du 8.10.2020) étaient conformes au principe de la proportionnalité, notamment compte tenu des refus des recourants de se soumettre à une thérapie. Les autorités ont toutefois été invitées dans les deux cas à assurer le placement adéquat des intéressés sans délai.

Dans un arrêt de 2017, le TF a constaté l’illicéité de la détention pénitentiaire effectuée par un jeune adulte en attente de son placement et dont la durée était supérieure à 10 mois (TF 6B_842/2016 du 10.05.2017) (c. 2.5)

Dans le cas d’espèce, le TF considère que l’autorité d’exécution aurait dû, au moment où l’exécution anticipée de la mesure a été accordée au recourant, soit près de neuf mois avant son arrêt, prendre des mesures afin de transférer celui-ci dans un établissement adéquat. Il constate également que les efforts déployés par cette dernière afin de placer A n’étaient, pour plusieurs motifs, pas suffisants. En effet, l’autorité s’est abstenue de procéder à de plus amples recherches sur le territoire suisse et s’est contentée d’indiquer que le recourant se trouvait en tête de liste pour un transfert – pouvant avoir lieu dans les prochaines semaines ou mois – dans un établissement approprié. Le recourant a constamment démontré sa volonté de se soumettre à une thérapie, de sorte qu’on ne peut lui reprocher d’avoir rendu son placement plus difficile. De plus, le TF relève que rien n’indique que A soit au bénéfice de soins thérapeutiques adéquats pendant sa détention (c. 2.6). Il arrive ainsi à la conclusion que la détention est illicite dans sa forme d’exécution. Il refuse cependant d’ordonner la remise en liberté de A considérant que ce dernier n’a pas demandé la levée de la mesure, qu’il ne ressort pas que les conditions de l’art. 62c al. 1 CP seraient en l’espèce données et que, même si la mesure était levée, la détention reposerait encore sur un titre valable d’exécution au vu de la peine privative de liberté de 10 ans à laquelle il a été condamné (c. 2.7).

Finalement, notre Haute Cour constate qu’en statuant 29 jours après le dépôt par A d’une demande de mise en liberté la Cour cantonale avait, dans le cas d’espèce, violé l’obligation de célérité en matière de détention provisoire (c. 3 – 3.3).

Le TF constate dès lors que les art. 31 Cst. et 5 CEDH ont été violés tant en ce qui concerne la durée de la détention avant la mise en œuvre de la mesure que sur l’obligation de célérité en matière de détention provisoire et enjoint l’autorité d’exécution à organiser sans délai le transfert de A dans un établissement adéquat (c. 4).

III. Commentaire

Le présent arrêt a l’avantage de mettre en lumière les critères à prendre en considération lorsqu’il s’agit d’apprécier la proportionnalité de la durée de la détention ordonnée afin de garantir la mise en œuvre d’une mesure. Ainsi, sont en premier lieu déterminants l’intensité des efforts déployés par l’État pour placer la personne concernée ainsi que la mise en place de soins thérapeutiques en détention. Les difficultés que pourrait rencontrer l’État au moment du placement et qui sont engendrées par la personne devant être placée doivent également être prises en compte. 

À notre sens, le fait que le condamné bénéficie de soins dans le cadre de la détention ne doit toutefois pas conduire l’autorité d’exécution à fournir un effort moins conséquent ou moins régulier dans la recherche d’un établissement adapté. Rappelons en effet qu’un placement, même temporaire, dans un établissement pénitentiaire doit rester l’exception (TF 6B_629/2009 du 21.12.2009, c. 1.2.4) et que des mesures doivent être prises pour que l’intéressé soit transféré aussitôt que possible dans un établissement spécialisé (TF 6B_625/2012 du 27.06.2013, c. 4.3). La doctrine a souligné les conséquences désastreuses qu’une telle détention peut avoir d’un point de vue psychiatrique et qui, pour certaines pathologies, peut même mener à l’échec ultérieur du traitement (BSK StGB I-Heer, art. 59N 100c et réf. citées ; Roten, La dangerosité – Point de vue d’un juge des mesures de contrainte et de l’application des peines et mesures, in : Vuille/Oberholzer/Graf (éds.), Wahrheit, Täuschung und Lüge/Vérité, tromperie et mensonge, Berne 2016, 127 ss, 154 s.). Nous ne pouvons dès lors que regretter qu’aucun contrôle périodique de la détention n’ait lieu ni ne soit prévu. Un tel mécanisme permettrait en effet de s’assurer de la régularité et de l’intensité des efforts fournis par l’office d’exécution et de contrôler périodiquement la légalité de la détention sans devoir attendre que le condamné formule une demande de mise en liberté.

Proposition de citation : Laura Ces, La proportionnalité de la durée de la détention pour des motifs de sûreté ordonnée afin de garantir la mise en œuvre d’une mesure, in : https://www.crimen.ch/57/ du 2 décembre 2021