Prescription et fixation de la peine selon la LTVA

Les deux délais de prescription de l’art. 105 al. 1 let c LTVA (7 ans) et de l’art. 105 al. 4 LTVA (5 ans) sont cumulatifs. Le délai de prescription peut donc expirer au plus tard douze ans après la commission de l’infraction. Pour la fixation de la peine en cas de concours, l’art. 9 DPA exclut le principe d'aggravation (Asperationsprinzip) inscrit à l’art. 49 CP pour les amendes et les peines prononcées en conversion d’amendes. En matière de TVA, l’art. 101 al. 1 LTVA exclut quant à lui l’application de l’art. 9 DPA dans certains cas (exclusion de l’exclusion). Dans ces cas, le principe d’aggravation ne s’applique que dans les limites de l’art. 101 al. 4 et al. 5 LTVA.

I. En fait

Par mandat de répression du 24 mars 2016, confirmé par décision du 6 octobre 2016, l’Administration fédérale des douanes (depuis le 1er janvier 2022 : Office fédéral de la douane et de la sécurité des frontières [OFDF]) inflige à A une amende de CHF 4’000’000.- pour soustractions consommées et tentées de l’impôt sur les importations, respectivement de la TVA, commises en concours réel. L’OFDF reproche à A d’avoir omis de déclarer ou d’avoir déclaré de manière erronée de nombreux objets d’art lors de leur importation en Suisse (152 cas au total). A demande à être jugé par un tribunal. Par jugement du 4 mai 2018, le Tribunal de district de Bülach le condamne à la même amende pour de multiples soustractions d’impôt. A interjette un appel contre ce jugement. L’OFDF forme un appel joint. Le 4 juin 2020, l’Obergericht du canton de Zurich classe partiellement la procédure contre A et l’acquitte pour d’autres faits. Au surplus, il confirme les condamnations prononcées et condamne A à une amende de CHF 2’503’000.-.

A et l’OFDF forment chacun un recours devant le Tribunal fédéral. 

II. En droit

Après avoir rejeté un premier grief relatif au principe d’accusation (c. 2), le Tribunal fédéral examine le deuxième grief soulevé par A. Celui-ci reproche à l’instance inférieure d’avoir appliqué cumulativement les deux délais de prescription des art. 105 al. 1 let. c LTVA (7 ans) et art. 105 al. 4 LTVA (5 ans). Il estime que le délai de prescription expire au plus tard sept ans après la commission de l’infraction, de sorte que les actes commis avant le 6 octobre 2009 seraient prescrits. Le deuxième grief de A est également infondé. Le Tribunal fédéral saisit l’occasion pour clarifier la question de la prescription selon la LTVA. L’art. 105 LTVA distingue le délai de prescription pour l’ouverture de la procédure pénale (art. 105 al. 1 LTVA : « le droit d’engager une poursuite pénale ») et le délai de prescription pour la conduite de la procédure ouverte (art. 105 al. 4 LTVA : « le droit de poursuivre une procédure pénale engagée »). La procédure pénale doit être ouverte dans les sept ans qui suivent la commission des faits. Ensuite, la procédure doit être close dans les cinq ans dès l’ouverture de l’action pénale par une ordonnance pénale ou par un jugement de première instance (art. 105 al. 2 et al. 4 LTVA). Par conséquent, contrairement à ce que prétend A, les deux délais de prescription susmentionnés se cumulent. Le délai de prescription peut expirer au plus tard douze ans après la commission de l’infraction et non pas sept (c. 3).

Dans un troisième grief, A et l’OFDF contestent chacun la fixation de la peine. A se plaint que l’autorité inférieure n’a pas réexaminé sa situation financière lors du calcul du montant de l’amende. L’OFDF estime que l’autorité inférieure a appliqué à tort les règles sur le concours d’infractions (art. 49 al. 1 CP cum art. 101 al. 1 LTVA). Elle aurait dû appliquer l’art. 9 DPA, dans les limites de l’art. 101 al. 4 LTVA. En outre, l’autorité inférieure aurait retenu à tort que l’art. 97 al. 1 2ème phr. LTVA prévoit une peine maximale abstraite (c. 4.1 1er par.).

L’art. 49 al. 1 CP consacre le principe d’aggravation (Asperationsprinzip) pour le cas où l’auteur remplit les conditions de plusieurs peines de même genre. Cette disposition s’applique en cas de concours idéal et de concours réel. Aux termes de l’art. 49 al. 1 CP, le juge le condamne à la peine de l’infraction la plus grave et l’augmente d’au maximum la moitié. L’autorité inférieure a fixé la peine en application de ces principes (c. 4.1 2ème par.). 

L’art. 9 DPA exclut le principe d’aggravation inscrit à l’art. 49 CP pour les amendes et les peines prononcées en conversion d’amendes. Cela signifie qu’en droit pénal administratif plusieurs amendes peuvent être cumulées contrairement au droit pénal ordinaire. En outre, le cumul d’amendes selon l’art. 9 DPA est possible en cas de concours entre une infraction de droit commun et une infraction à une loi administrative, en cas de concours d’infractions à différentes lois administratives et aussi en cas de concours d’infractions à une seule et même loi administrative. Toute autre interprétation serait contraire au libellé de la loi et à la volonté du législateur (c. 4.5.1).

L’art. 101 al.1 LTVA exclut l’application de l’art. 9 DPA (exclusion de l’exclusion), ce qui rend à nouveau applicable le principe d’aggravation de l’art. 49 CP. Le champ d’application du principe d’aggravation en matière de TVA est toutefois limité. D’après l’art. 101 al. 4 LTVA, lorsqu’il s’agit d’infractions qui relèvent de la compétence de l’OFDF, il ne s’applique que si elles ont été commises en concours idéal. En revanche, selon l’art. 101 al. 5 LTVA, lorsque les infractions relèvent de la compétence de l’Admistration fédérale des contributions, le principe d’aggravation s’applique aussi bien lorsqu’elles ont été commises en concours idéal qu’en concours réel (c. 4.5.2).

Ces principes s’appliquent dans la procédure judiciaire postérieure à la décision de l’OFDF, car les règles sur la fixation de la peine doivent être identiques devant toutes les instances (c. 4.6). Le Tribunal fédéral constate qu’il n’existe aucun cas d’application ni de l’art. 101 al. 4 LTVA ni de l’art. 101 al. 5 LTVA

En l’espèce, c’est l’art. 101 al. 4 LTVA qui est applicable car, en matière d’impôt sur les importations, la poursuite pénale incombe à l’OFDF (art. 103 al. 2 LTVA). Toutefois, les infractions reprochées en l’espèce ont été commises en concours réel dès lors qu’il s’agit de la non-déclaration de marchandises lors de leur importation en Suisse à différents moments ou en différents lieux. Ainsi, l’application du principe d’aggravation est exclue – puisque limitée aux infractions commises en concours idéal – et s’applique donc le principe de cumul ancré à l’art. 9 DPA (c. 4.7).

Le Tribunal fédéral laisse ouverte la question de la méthode de calcul du montant de l’amende. Il souligne toutefois que l’art. 97 al. 1, 2ème phrase LTVA ne connaît pas de peine maximale abstraite. La peine maximale est déterminée sur la base de l’avantage fiscal concret obtenu. Il n’existe donc pas de montant maximal de l’amende, ni d’obligation – au sens de l’art. 49 al. 1, 2ème phr. CP – de fixer le montant total de l’amende dans le cadre de l’art. 97 al. 1 2ème  phr. LTVA (c. 4.8).

Le recours de l’OFDF est admis. L’affaire est renvoyée à l’instance inférieure pour nouvelle décision. Le recours de A est rejeté dans la mesure de sa recevabilité. Le grief de A en lien avec l’examen de sa situation financière n’est pas traité car l’instance inférieure devra en tous les cas recalculer le montant de l’amende.

Proposition de citation : Mona Rhouma, Prescription et fixation de la peine selon la LTVA, in : https://www.crimen.ch/93/ du 31 mars 2022