I. En fait
Le 3 juillet 2020, A roule sur la voie de dépassement (voie de gauche) sur l’autoroute A8 en direction de Matten bei Interlaken. Il s’engage alors sur la voie normale de droite, pour accélérer et dépasser une voiture qui roule à sa gauche. Il se rabat ensuite sur la voie de dépassement.
Par ordonnance pénale du 9 octobre 2020, le Ministère public de l’Oberland bernois condamne A pour violation grave des règles de la circulation routière (art. 90 al. 2 LCR) à une peine pécuniaire, ainsi qu’à une amende.
Au vu de la condamnation de A, l’Office de la circulation routière et de la navigation du canton de Berne (OCRN) prononce un retrait de permis d’une durée de 12 mois à son encontre, étant précisé que cette durée tient compte d’un précédent retrait de trois mois prononcé également pour infraction à l’art. 90 al. 2 LCR.
Saisie sur recours, la Commission de recours bernoise compétente rejette la contestation de A par arrêt du 28 avril 2021. Contre cette décision, A dépose un recours en matière de droit public au Tribunal fédéral.
II. En droit
Le Tribunal fédéral débute son analyse en rappelant les principes qui gouvernent l’art. 16 al. 2 LCR, en précisant qu’aucun retrait de permis ne peut être prononcé en cas d’infraction punie par la voie de la procédure sur les amendes d’ordre (LAO et OAO – Annexe 1). Cette procédure est exclue si l’infraction commise a créé une mise en danger abstraite accrue, abstraite accrue, blessé une personne ou causé un dommage (art. 4 al. 3 let. a LAO). La mise en danger s’apprécie en fonction des circonstances du cas d’espèce, notamment si une blessure était proche d’être causée (ATF 142 IV 93, c. 3.1 et les références citées). Pour ce qui est de l’art. 90 al. 2 LCR, une violation grave des règles de la circulation routière suppose une faute grave (intention ou négligence grave) de la part du conducteur (ATF 142 IV 93, c. 3.1). En matière de retrait de permis, cette notion est reprise à l’art. 16c al. 1 let. a LCR, qui dispose que commet une infraction grave la personne qui, en violant gravement les règles de la circulation, met sérieusement en danger la sécurité d’autrui ou en prend le risque (c. 3.1).
Depuis le 1er janvier 2021, l’Annexe 1 de la OAO prévoit à son chiffre 314.3 une amende de CHF 250.- pour la personne qui dépasse par la droite en déboîtant puis en se rabattant sur des autoroutes et des semi-autoroutes à plusieurs voies (art. 36 al. 5 OCR, également entré en vigueur le 1er janvier 2021). L’art. 36 al. 5 OCR précise effectivement qu’il est interdit de dépasser des véhicules par la droite en déboîtant puis en se rabattant. Les conducteurs sont toutefois autorisés à devancer d’autres véhicules par la droite avec la prudence qui s’impose en fonction des circonstances (let. a à d de l’art. 36 al. 5 OCR). Sur cette base, et en application de la lex mitior (art. 2 al. 2 CP), l’instance précédente a malgré tout estimé que l’ancien droit, applicable au moment du dépassement litigieux, restait plus favorable à A, de sorte qu’il devait être appliqué. À l’appui de son raisonnement, elle a estimé que le dépassement opéré par A avait dans tous les cas causé une mise en danger abstraite accrue, de sorte que la LAO ne pouvait s’appliquer, et que seul l’art. 90 al. 2 LCR devait être retenu. Le nouveau ch. 314.3 de l’annexe 1 de la OAO ne changeait dès lors rien à la situation, vu la mise en danger abstraite accrue causée. En définitive, tant selon l’OCRN que l’autorité inférieure, les manœuvres de dépassement par la droite telles que celle effectuée par le recourant, doivent toujours être considérées comme hautement dangereuses. Selon elles enfin, c’est le droit en vigueur au moment de l’infraction qui reste déterminant en droit administratif (c. 3.2 et 3.3).
A soutient au contraire qu’il n’y avait pas de circonstance aggravante rattachée à son dépassement par la droite effectué sur l’autoroute le 3 juillet 2020. Seule une amende d’ordre de CHF 250.- aurait dû être prononcée, de sorte qu’aucun retrait du permis de conduire ne pouvait intervenir (c. 3.4).
Après avoir rappelé que le principe de la lex mitior s’appliquait aussi en matière de retrait de permis d’admonestation, vu sa nature répressive (ATF 133 II 331, c. 4.2), le Tribunal fédéral précise qu’il ne s’agit pas, dans le cas d’espèce, d’une modification des mesures administratives. Toutefois, force est de constater que l’art. 36 al. 5 OCR a été modifié, dont le libellé laisse entendre que de telles manœuvres de dépassement doivent être sanctionnées dans le cadre de la procédure d’amende d’ordre. Cette modification administrative est importante, même si elle concerne l’appréciation pénale du comportement du recourant. Du fait de la nature quasi pénale du retrait d’admonestation, la question de savoir si le nouveau droit est ou non plus clément pour le recourant peut se poser, quand bien même l’ordonnance pénale, entrée en force, retient la commission d’une infraction à l’art. 90 al. 2 LCR. Au surplus, aucune disposition de la législation en matière de circulation routière n’empêche d’appliquer la lex mitior en pareille hypothèse (c. 4.1 à 4.3).
En l’espèce, il n’est pas contesté que le dépassement du recourant était dans tous les cas fautif. En effet, le fait de déboîter sur la droite puis en se rabattant sur la gauche reste au minimum sanctionné par une amende d’ordre de CHF 250.-. Ce qu’il convient de déterminer, c’est uniquement de savoir si le comportement de A doit continuer à être considéré comme une violation grave des règles de la circulation routière selon l’art. 90 al. 2 LCR, malgré le nouveau ch. 314.3 de l’OAO (c. 5.2).
Selon la jurisprudence constante, un dépassement par la droite, sans même changer de voie, est un comportement objectivement dangereux, constitutif de danger abstrait accru (ATF 142 IV 93, c. 3.2 et les références citées), de sorte que l’art. 90 al. 2 LCR trouve application. Les usagers de la route doivent pouvoir effectivement compter sur le fait qu’ils ne seront pas dépassés par la droite. La doctrine a critiqué cette approche, en arguant que certaines circonstances pouvaient malgré tout exclure la création d’une mise en danger abstraite accrue. Le Tribunal fédéral l’a relevée, mais ne l’a toutefois pas suivie dans sa dernière jurisprudence de principe en la matière (cf. ATF 142 IV 93, c. 3.4). Il convient cependant d’examiner si cette jurisprudence peut être maintenue au regard des modifications législatives précitées et entrées en vigueur le 1er janvier 2021 (c. 5.3).
Se fondant sur le communiqué de l’OFROU du 10 décembre 2019, notre Haute Cour relève que ce dernier a expressément souhaité élargir le cadre des dépassements par la droite sur l’autoroute, en autorisant les simples devancement, tout en réprimant le dépassement par la droite suivi d’un rabattement sur la gauche (cas dit « classique ») par le prononcé d’une amende d’ordre. L’idée est ainsi de renoncer à reconnaître tout dépassement par la droite comme violation grave des règles de la circulation routière au sens de l’art. 90 al. 2 LCR et, par voie de conséquence, de ne pas prononcer de retrait de permis en pareil cas. Toutefois, ni l’OFROU ni le DETEC dans son rapport du 10 octobre 2018 n’a précisé quels cas de dépassement par la droite tombaient sous le coup de l’amende d’ordre. Dans tous les cas, les cas de peu de gravité de dépassement par la droite avec rabattement sur la gauche peuvent être sanctionnés par la procédure de l’amende d’ordre (c. 5.4.1).
Le Tribunal fédéral souligne en revanche que l’introduction de l’art. 36 al. 5 OCR et du ch. 314.3 de l’OAO s’est faite en connaissance de la jurisprudence fédérale en la matière. En adoptant ces nouvelles règles, le Conseil fédéral s’est sciemment écarté de cette jurisprudence, en considérant que certains cas de dépassement par la droite « classiques » ne créent pas une mise en danger abstraite accrue. Retenir le contraire viderait ces nouvelles dispositions de leur substance (c. 5.4.2). Si aucune circonstance aggravante ne peut être retenue à l’issue d’un examen concret des circonstances, seule l’amende d’ordre peut entrer en ligne de compte (c. 5.4.3).
En définitive, la nouvelle réglementation en matière de dépassement par la droite avec rabattement sur la gauche doit être prise en compte. Le Tribunal doit adapter sa pratique en la matière, étant toutefois précisé que le ch. 314.3 de l’OAO devra être appliqué de manière restrictive et avec retenue, compte tenu des risques liés à de tels dépassements. Le prononcé d’une simple amende d’ordre doit ainsi rester exceptionnel et intervenir au cas par cas. Il convient d’appliquer des critères stricts et fixer un seuil bas pour retenir l’existence d’au moins une circonstance aggravante excluant le prononcé d’une amende d’ordre. Un tel régime permet par ailleurs d’éviter toute inégalité de traitement entre conducteurs (c. 5.5.2 et 5.5.3).
Dans le présent cas d’espèce, aucun élément ne fait ressortir l’existence d’une circonstance aggravante. Au contraire, l’ensemble des constatations des autorités pénales font état de bonnes conditions de circulation (de jour, bonne visibilité, route sèche, le conducteur dépassé n’a pas dû modifier sa trajectoire, aucune sortie ou entrée d’autoroute à proximité et le trafic était faible). Le fait que A ait accéléré pour opérer son dépassement ne suffit pas à lui seul pour retenir une circonstance aggravante. Le ch. 314.3 de l’OAO devait dès lors être appliqué à A, de sorte que seule une amende d’ordre de CHF 250.- pouvait intervenir (c. 5.6.2).
Le cas présent se distingue ainsi de celui récemment tranché par le Tribunal fédéral (TF 6B_231/2022* du 1.6.2022, résumé in : crimen.ch/134/). Effectivement, dans ce précédent cas, l’auteur avait dépassé quatre véhicules sur une distance d’environ 1’300 m à proximité d’une sortie d’autoroute, endroit où les changements de voie sont fréquents. Ces différentes circonstances aggravantes excluaient en conséquence le prononcé d’une simple amende d’ordre. Il n’y a dès lors aucune raison de revenir sur cette jurisprudence (c. 5.6.3).
Vu les développements qui précèdent, le Tribunal fédéral admet le recours et annule le jugement attaqué (c. 6).
III. Commentaire
Si certes cet arrêt a été rendu par la Ière Cour de droit public sur un sujet initialement de nature purement administrative, il traite en réalité d’une question proprement pénale et mérite d’être ici résumé et brièvement commenté.
L’analyse approfondie menée par le Tribunal fédéral sur les motifs ayant guidé le Conseil fédéral à modifier l’OCR et l’OAO ne prête pas le flanc à la critique et doit être pleinement approuvée.
Le ton est toutefois donné : le prononcé d’une simple amende d’ordre devra rester exceptionnel. Vu les conséquences pénales et administratives importantes en cas de condamnation pour violation grave des règles de la circulation routière au sens de l’art. 90 al. 2 LCR, on peut malgré tout s’attendre à un certain nombre de nouvelles procédures qui seront menées jusqu’au Tribunal fédéral pour déterminer si le dépassement par la droite en cause pouvait ou non être réglé par la procédure de l’amende d’ordre.