I. En fait
Le 7 septembre 2023, A a été arrêtée pour la première fois. Il lui est notamment reproché d’avoir détenu, entre le 28 août 2023 et le 24 mai 2024, 750 grammes de cocaïne, et vendu au moins 30 grammes de cocaïne. Par décision du 9 septembre 2023, le Tribunal des mesures de contrainte du district de Zurich l’a placée en détention provisoire. Après que sa détention a été prolongée une fois, A a été libérée par le ministère public le 21 décembre 2023. Le 25 mai 2024, A a été arrêtée à nouveau et placée formellement en détention provisoire trois jours plus tard. Par la suite, sa détention a été prolongée jusqu’au 23 novembre 2024. Par décision du 14 octobre 2024, le Tribunal des mesures de contrainte l’a placée en détention pour des motifs de sûreté ensuite de sa mise en accusation.
Par requête du 2 décembre 2024, A a déposé une demande de mise en liberté qui a été rejetée par le Tribunal des mesures de contrainte. Par décision du 14 janvier 2025, la Cour suprême du canton de Zurich a également rejeté un recours déposé par A contre la décision du Tribunal des mesures de contrainte. Elle a considéré que le motif particulier de détention de A, à savoir le risque qualifié de récidive au sens de l’art. 221 al. 1bis CPP, était rempli en ce qui concerne les infractions quantitativement qualifiées à la LStup (art. 19 al. 1 let. c et d en relation avec l’al. 2 let. a LStup). A forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral. Elle demande à ce que la décision attaquée soit annulée et qu’elle soit immédiatement libérée, éventuellement en ordonnant des mesures de substitution appropriées telles que l’obligation d’une abstinence contrôlée de cocaïne.
II. En droit
La recourante conteste l’existence d’un risque qualifié de récidive au sens de l’art. 221 al. 1bis CPP. Le litige porte essentiellement sur la question de savoir si le motif particulier de détention que constitue le risque qualifié de récidive est applicable aux infractions de la LStup (c. 2.1).
L’art. 221 al. 1bis CPP présuppose l’existence d’un motif qualifié faisant l’objet d’une enquête, à savoir le soupçon sérieux que le prévenu a porté gravement atteinte à l’intégrité physique, psychique ou sexuelle d’autrui en commettant un crime ou un délit grave (ATF 150 IV 149, c. 3.6.2 et les références citées). Notre Haute Cour a récemment précisé que, selon l’art. 221 al. 1bis let. a CPP, les faits entrant en ligne de compte sont limités aux crimes et aux délits graves contre des biens juridiques de grande valeur, tels que la vie et l’intégrité physique, psychique ou sexuelle. L’exigence supplémentaire d’une « atteinte grave » doit en outre garantir que non seulement le cadre pénal abstrait de l’infraction, mais également les circonstances du cas d’espèce, soient pris en compte lors de l’examen de la détention. Il faut donc que les soupçons sérieux ne se rapportent pas seulement à un délit grave dans l’abstrait, mais que le délit en question soit qualifié de délit grave (dirigé contre des biens juridiques de grande valeur) en raison de la commission concrète de l’infraction. En revanche, le fait que ce délit grave ait effectivement entraîné une atteinte grave à l’intégrité physique, psychique ou sexuelle d’autrui ou que de telles conséquences n’aient pas eu lieu – en raison de circonstances heureuses – ne peut pas être déterminant (arrêt TF 7B_1440/2024 du 5.2.2025, c. 4.4 et les références citées, destiné à la publication, voir également Melody Bozinova, Risque de récidive qualifié : le Tribunal fédéral précise les conditions de l’application du nouvel art. 221 al. 1bis CPP, in : https://www.crimen.ch/317/ du 25 février 2025) (c. 2.3.1).
Le Tribunal fédéral constate ensuite que, dans l’ensemble, la doctrine semble s’accorder sur le fait que la détention en raison d’un risque qualifié de récidive n’est admissible que si l’acte incriminé présumé a été dirigé contre les biens juridiques individuels d’une personne déterminée de telle sorte que cette dernière a le statut de victime au sens de l’art. 116 al. 1 CPP. Le motif de détention doit donc se rapporter en premier lieu à des infractions violentes graves. La genèse de l’art. 221 al. 1bis CPP plaide également en faveur de cette interprétation ; l’ensemble du processus législatif permet de conclure que le risque qualifié de récidive ne doit concerner que les actes de violence graves contre des intérêts individuels (c. 2.3.2-2.3.3).
Les considérations ci-dessus se recoupent avec le libellé de l’art. 221 al. 1bis let. a CPP, qui prévoit que le prévenu doit être fortement soupçonné d’avoir porté gravement atteinte à l’intégrité physique, psychique ou sexuelle d’autrui par un crime ou un délit grave. Notre Haute Cour constate encore que, dans l’ensemble, la doctrine s’entend sur le fait que cette énumération est exhaustive, raison pour laquelle la délinquance liée aux stupéfiants est exclue. Dans ce contexte, les juges fédéraux rappellent que l’art. 221 al. 1bis CPP contient une réglementation d’exception qui doit être appliquée de manière restrictive. Cette approche est de plus confirmée par la classification systématique du risque de récidive qualifié dans la structure des motifs particuliers de détention. Ce dernier se situe entre le risque de récidive simple selon l’art. 221 al. 1 let c CPP, qui exige au moins deux condamnations antérieures pour des infractions similaires (arrêt TF 7B_1035/2024 du 19.11.2024, c. 2.11, destiné à la publication, voir également Hélène Rodriguez-Vigouroux, Détention avant jugement et risque simple de récidive [art. 221 al. 1 let. c CPP] : deux condamnations antérieures au moins sont nécessaires, in :https://www.crimen.ch/318/ du 27 février 2025), et le risque de passage à l’acte selon l’art. 221 al. 2 CPP. Étant donné que le risque qualifié, contrairement au risque simple de récidive, ne suppose pas une infraction préalable, il convient en revanche de poser des exigences d’autant plus strictes quant aux infractions présumées commises et à craindre (cf. ATF 150 IV 360, c. 3.2.2) (c. 2.3.4-2.3.6).
Selon la jurisprudence actuelle, la délinquance en matière de stupéfiants peut en principe justifier une détention pour risque simple de récidive (cf. arrêt TF 1B_126/2011 du 6.4.2011, c. 3.7). De même, le Tribunal fédéral admettait jusqu’à présent que le commerce professionnel de stupéfiants suffisait pour admettre un risque qualifié de récidive (cf. arrêt TF 1B_6/2017 du 8.2.2017, c. 3.1.1 et 3.2). Mais comme le législateur a désormais clairement distingué le risque de récidive simple et le risque de récidive qualifié et qu’il a lié ce dernier à des conditions strictes clairement définies, cette jurisprudence ne peut pas être transposée à l’art. 221 al. 1bis CPP. Par conséquent, la détention pour risque de récidive qualifié n’est admissible que si l’infraction examinée était dirigée contre des biens juridiques individuels de grande valeur et s’il y a lieu de craindre sérieusement une atteinte similaire (c. 2.3.7-2.3.8).
Les infractions à la LStup ne sont en principe pas des actes de violence dont résultent des victimes concrètes. Elles sont en premier lieu dirigées contre la santé publique et donc pas contre un bien juridique individuel (cf. ATF 133 IV 201, c. 3.2 ; 124 IV 97, c. 2c). Il n’est certes pas exclu que des infractions à la LStup puissent entraîner une atteinte concrète à l’intégrité physique ou psychique d’une personne. À l’exception de tels cas, l’application de l’art. 221 al. 1bis CPP à la délinquance en matière de stupéfiants est exclue. Par ailleurs, le droit pénal des stupéfiants ne vise pas à empêcher une mise en danger d’autrui, mais une mise en danger de soi-même. Une atteinte à la santé peut survenir au plus tôt par des actes de consommation (abusifs), et chaque consommateur et consommatrice y procède normalement lui-même. Une infraction à la LStup ne peut donc pas, en principe, provoquer une atteinte immédiate à la santé de la personne concernée, soit d’une prétendue victime. Or, la détention en raison d’un risque de récidive qualifié exige une mise en danger immédiate de biens juridiques individuels de grande valeur. Pour cette raison également, la délinquance en matière de stupéfiants ne peut en principe pas fonder un risque qualifié de récidive (c. 2.4.1-2.4.2).
En l’espèce, le fait que les actes de la recourante auraient porté atteinte à la vie ou à l’intégrité corporelle d’une personne déterminée ou qu’une telle atteinte serait imminente et sérieuse ne ressort pas des explications fournies par l’instance précédente et n’est pas non plus manifeste. Par conséquent, les infractions reprochées à la recourante ne peuvent pas être invoquées pour justifier un risque qualifié de récidive (c. 2.5).
La recourante a certes des antécédents judiciaires pertinents. Elle ne présente toutefois pas deux condamnations antérieures pour des infractions similaires, comme cela serait nécessaire pour admettre un risque simple de récidive (art. 221 al. 1 let. c CPP). Comme rien n’indique qu’un des autres motifs particuliers de détention serait rempli, les conditions d’une détention ne sont pas réunies. Le recours est admis, l’ordonnance attaquée annulée et la recourante immédiatement libérée de la détention pour des motifs de sûreté (c. 2.6-3).
III. Commentaire
Le Tribunal fédéral saisit l’occasion pour préciser sa jurisprudence en matière de détention provisoire et détention pour des motifs de sûreté, en raison d’un risque de récidive qualifié, au sens de l’art. 221 al. 1bis CPP. Bien que la détention en raison d’un risque de récidive qualifié puisse être prononcée sans antécédent judiciaire, celle-ci n’est admissible que si l’infraction examinée était dirigée contre des biens juridiques individuels de grande valeur, tels que la vie et l’intégrité physique, psychique ou sexuelle, et s’il y a lieu de craindre sérieusement une atteinte similaire. Les juges fédéraux soulignent en outre que ces conditions ne sont en principe pas réalisées dans le cas d’infractions en matière de stupéfiants.