Décision admettant la compétence territoriale des autorités suisses : recours du prévenu au Tribunal fédéral irrecevable

La décision par laquelle l’autorité d’instruction admet sa compétence territoriale en application des art. 3 ss CP peut être réexaminée par le juge du fond. Elle ne règle donc pas définitivement la question de la compétence et n’est pas susceptible de recours immédiat au sens de l’art. 92 LTF. En outre, elle ne cause généralement pas de préjudice irréparable au prévenu au sens de l’art. 93 al. 1 let. a LTF.

I. En fait

A et B sont les parents d’une fille, née en 2016, qui souffre de troubles du spectre autistique. Depuis 2018, un important conflit les oppose quant à la garde et aux relations personnelles avec leur fille et plusieurs procédures sont en cours devant les juridictions civiles. 

À la suite de plaintes pénales formées par le père et le tuteur de l’enfant, le Ministère public du Valais instruit une enquête contre A pour violation du devoir d’assistance et d’éducation (art. 219 CP), ainsi que pour enlèvement de mineur (art. 220 CP). Il lui est en substance reproché d’avoir disparu avec sa fille entre le 6 et le 17 janvier 2020 sans laisser de nouvelle adresse, mais aussi d’avoir mis fin aux suivis thérapeutiques de l’enfant alors en vigueur.  

Le 18 mars 2021, A a requis, à titre principal, la notification d’une ordonnance de non-entrée en matière ou de classement et, subsidiairement, une décision d’incompétence à raison du for. Elle soutenait que les éventuelles infractions dénoncées par B à son encontre ne pouvaient pas avoir été commises en Suisse, vu son déménagement à l’étranger. Par ordonnance du 28 avril 2021, le Ministère public s’est déclaré compétent à raison du lieu pour instruire la procédure ouverte contre A.

Par arrêt du 11 octobre 2021, la Chambre pénale du Tribunal cantonal du Valais a rejeté le recours formé par A contre cette ordonnance. Cette autorité a confirmé la compétence des autorités suisses, respectivement du Ministère public du Valais. Elle a retenu le possible lieu de commission en Valais des infractions examinées à l’encontre de la prévenue et l’absence – à ce stade – de démonstration par celle-ci de la constitution d’un domicile ou d’une prise de résidence à l’étranger.

Contre cet arrêt, A recourt au Tribunal fédéral. Elle conclut à son annulation et au constat de l’incompétence ratione loci du Ministère public valaisan pour connaître de la procédure pénale ouverte à son encontre.

II. En droit

Le TF relève que la décision attaquée confirme la compétence des autorités pénales suisses, soit en conséquence celle du Ministère public valaisan. Elle ne met pas un terme à la procédure pénale et est ainsi de nature incidente, de sorte que la recevabilité du recours doit être examinée au regard des art. 92 et 93 LTF (c. 1.1).

Selon l’art. 92 LTF, les décisions préjudicielles et incidentes qui sont notifiées séparément et qui portent sur la compétence ou sur une demande de récusation peuvent faire l’objet d’un recours (al. 1). Ces décisions ne peuvent plus être attaquées ultérieurement (al. 2). 

De jurisprudence constante, pour qu’une décision puisse être qualifiée de décision incidente sur la compétence au sens de l’art. 92 al. 1 LTF, il faut que la question de la compétence soit effectivement et définitivement tranchée (ATF 144 III 475, c. 1.1.2 ; 138 III 558, c. 1.3 ; 133 IV 288, c. 2.2). En matière pénale, lorsque l’autorité d’instruction rend une décision sur la compétence territoriale des autorités suisses en application des art. 3 ss CP – comme en l’espèce –, elle statue sur la base des faits établis ou vraisemblables en l’état de l’enquête : sa décision ne lie l’autorité de jugement ni en fait (des faits nouveaux pertinents peuvent apparaître par la suite et l’autorité de jugement apprécie librement les preuves) ni en droit. En cas de renvoi en jugement, la direction de la procédure peut relever d’office l’incompétence locale des autorités suisses (art. 329 al. 1 let. b CPP) et les parties peuvent toujours soulever cette question à l’ouverture des débats, quand bien même elle aurait déjà été examinée durant l’instruction (art. 339 al. 2 let. b CPP ; cf. not. TF 1B_130/2019 du 21.3.2019, c. 2.2 et plusieurs renvois à la doctrine). Partant, la question de la compétence locale des autorités suisses n’est pas réglée de manière définitive par la décision attaquée, de sorte que le recours incident prévu à l’art. 92 LTF n’est pas ouvert (c. 1.2). 

Les autres décisions préjudicielles et incidentes notifiées séparément peuvent faire l’objet d’un recours si elles peuvent causer un préjudice irréparable (art. 93 al. 1 let. a LTF) ou si l’admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d’éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (art. 93 al. 1 let. b LTF) (c. 1.3).

S’agissant tout d’abord de l’art. 93 al. 1 let. b LTF – qui s’interprète de manière restrictive en matière pénale –, l’absence de développements de la part de la recourante ne permet pas de comprendre en quoi la procédure probatoire s’écarterait de manière notable, par sa durée et son coût, des procès habituels. Le recours n’est pas recevable sous cet angle (c. 1.3.1). En ce qui concerne ensuite l’existence d’un préjudice irréparable au sens de l’art. 93 al. 1 let. a LTF, au vu du caractère non définitif de la décision confirmant la compétence des autorités suisses, la recourante paraît être en mesure d’obtenir ultérieurement un nouvel examen de la question et donc, le cas échéant, de bénéficier d’une décision favorable. En outre, le fait de subir une procédure pénale et les inconvénients qui y sont liés ne constituent généralement pas un préjudice irréparable ; il en va de même de l’allongement de la durée de la procédure ou de l’accroissement des frais de celle-ci. Par conséquent, le recours est également irrecevable sous cet angle (c. 1.3.2). 

En définitive, le TF déclare le recours irrecevable (c. 2).  

III. Commentaire
Si le Ministère public avait suivi les arguments de la recourante, il aurait effectivement dû classer la procédure, le défaut de compétence territoriale des autorités pénales suisses étant constitutif d’un empêchement de procéder au sens de l’art. 319 al. 1 let. d CPP (ou de l’art. 310 al. 1 let. b CPP au stade de la non-entrée en matière ; cf. TF 6B_1425/2019 du 9.6.2020, c. 1.3). Toutefois, la jurisprudence interprète largement les critères de rattachement territorial avec la Suisse (art. 3 ss CP), notamment s’agissant de l’infraction d’enlèvement de mineur en cause ici (art. 220 CP ; récemment : TF 6B_556/2021 du 5.1.2022, c. 1, in : https://www.crimen.ch/74/) et la matière reste régie par le principe in dubio pro duriore, ce qui signifie qu’en cas de doute, la compétence des autorités suisses doit être admise et la procédure se poursuivre (cf. Katia Villard, La compétence territoriale du juge pénal suisse [art. 3 et 8 CP] : réflexions autour d’évolutions récentes, RPS 135/2017 145 ss, 146).

Proposition de citation : Alexandre Guisan, Décision admettant la compétence territoriale des autorités suisses : recours du prévenu au Tribunal fédéral irrecevable, in : https://www.crimen.ch/104/ du 10 mai 2022