Transaction judiciaire en audience d’appel 

La transaction judiciaire est un acte consensuel par lequel les parties mettent fin à leur litige ou à une incertitude au sujet de leur relation juridique moyennant des concessions réciproques. Elle est valable en droit pénal, durant la phase d’appel, sans que le risque de condamnation, rappelé au prévenu par un magistrat, ne soit considéré comme un vice du consentement (art. 23 ss CO) susceptible d’entraîner l’invalidation de la transaction.

I. En fait

Par jugement du 10 décembre 2020, le Tribunal de police de l’arrondissement de Lausanne a libéré A du chef d’accusation d’infraction à la Loi fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants (LAVS). Il a constaté que le prénommé s’était rendu coupable d’escroquerie et l’a condamné à une peine pécuniaire de 360 jours-amende à CHF 250.- avec sursis pendant 2 ans, ainsi qu’à une amende de CHF 10’000.-.

Dans le cadre de la procédure d’appel, une audience de conciliation a eu lieu le 18 mai 2021 entre le recourant et l’Office de l’assurance-invalidité pour le canton de Vaud (ci-après: l’OAI) devant la Cour d’appel pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud. Lors de cette audience, les parties ont conclu une convention. A s’est engagé à restituer une somme de CHF155’152.-, à retirer son recours de droit administratif pendant devant la Cour des assurances sociales, à assumer les frais de justice et à renoncer à toute indemnité. En contrepartie, l’OAI a retiré sa plainte.

Par arrêt du 18 mai 2021, la Cour d’appel pénale a pris acte de la convention passée, admis l’appel, libéré A des chefs d’accusation d’escroquerie et d’infraction à la LAVS et statué sur les frais et indemnités.  

A forme un recours au Tribunal fédéral, sollicitant notamment l’invalidation de la convention judiciaire en invoquant l’existence d’une crainte fondée.

II. En droit

La transaction judiciaire est un acte consensuel par lequel les parties mettent fin à leur litige ou à une incertitude au sujet de leur relation juridique moyennant des concessions réciproques. D’une manière générale, et en particulier en droit des assurances sociales, il est possible d’invoquer l’invalidité de la transaction judiciaire pour vice du consentement. Celui qui invoque un vice du consentement (art. 23 ss CO) supporte le fardeau de la preuve (c. 3.1 1er par).

Aux termes de l’art. 29 al. 1 CO, si l’une des parties a contracté sous l’empire d’une crainte fondée que lui aurait inspirée sans droit l’autre partie ou un tiers, elle n’est point obligée. Selon l’art. 30 al. 1 CO, la crainte est réputée fondée lorsque la partie menacée devait croire, d’après les circonstances, qu’un danger grave et imminent la menaçait elle-même, ou l’un de ses proches, dans sa vie, sa personne, son honneur ou ses biens. Selon la jurisprudence, un contrat ne peut être invalidé pour cause de crainte fondée que si les quatre conditions suivantes sont réunies : une mesure est dirigée sans droit contre une partie; une crainte fondée en résulte ; l’auteur de la menace a l’intention de déterminer le destinataire à faire une déclaration de volonté ; il existe un lien de causalité entre la crainte et le consentement. Toutefois, l’invalidation d’une transaction pour cause de crainte fondée ne doit pas être admise trop facilement. En effet, en matière de vices du consentement liés à une transaction, il s’agit de considérer non seulement ce que la partie aurait pu obtenir, d’un point de vue objectif, en cas de procès, mais aussi du souci des parties d’éviter les risques d’un procès, cela au prix de concessions qui peuvent sans doute être excessives, mais qui sont inhérentes à la nature de la transaction (c. 3.1 2e par.).

Le recourant allègue avoir fait l’objet d’une crainte fondée en transigeant devant la Cour d’appel pénale lors de l’audience du 18 mai 2021 (c. 3.2), ce qu’il échoue à démontrer (c. 3.3 1er par). Le Tribunal fédéral rejette donc cet argument et précise que le but d’une transaction judiciaire est, précisément, d’arriver à des concessions réciproques. Le seul ressenti du recourant sur les propos du juge ayant amené à la convention conclue ne permet pas de retenir une crainte fondée, étant précisé qu’il convient de relever que le recourant avait déjà été condamné en première instance (c 3.3 2e par.).

En définitive, le recours est rejeté (c. 4.).

III. Commentaire

L’intérêt de cet arrêt ne réside pas tant dans l’examen de la transaction judiciaire elle-même que dans l’admissibilité de celle-ci pour une infraction poursuivie d’office, en l’occurrence l’escroquerie (art. 146 CP), devant la juridiction d’appel.

Il ressort de la pratique vaudoise que la Cour d’appel accepte d’appliquer par analogie les dispositions sur la procédure simplifiée à la transaction judiciaire après le dépôt d’un acte d’accusation (cf. TC-VD 2014/172 du 28.5.2014). Une partie de la doctrine soutient ainsi que la procédure simplifiée elle-même serait alors applicable en appel (cf. Olivier Thormann, La procédure simplifiée en deuxième instance – Quid bono, pourquoi pas et comment ?, in : Perrier Depeursinge et al. [édit.], Cimes et Châtiments, Mélanges en l’honneur du Professeur Laurent Moreillon, Berne 2022, 679 ss et les références citées).

Or, dans le cas d’espèce, ce n’est pas une procédure simplifiée qui a été confirmée par le Tribunal fédéral, mais un acquittement en opportunité suite à une transaction judiciaire. Si celle-ci ne pose aucun problème pour une infraction poursuivie sur plainte – en cas de retrait de la plainte, une condition de poursuite fait défaut, ce qui conduit à l’extinction de la poursuite –, elle est, en revanche, très problématique selon nous pour une infraction poursuivie d’office. 

Le législateur, lors de la dernière modification de l’art. 53 CP, a en effet voulu diminuer massivement l’application du principe de l’opportunité (art. 8 CPP) dans le cadre de la procédure pénale (cf. en dernier lieu, Andrew M. Garbarski/Ryan Gauderon, Art. 53 CP : le principe de l’opportunité sur la corde raide ?, in : Perrier Depeursinge et al. [édit.], Cimes et Châtiments, Mélanges en l’honneur du Professeur Laurent Moreillon, Berne 2022, 121). Le Tribunal fédéral a par exemple refusé l’application de l’art. 53 CP en cas d’escroquerie portant sur un montant de CHF 3’500.-, car l’intérêt à la poursuite demeurait, ce qui excluait l’application de cette disposition (TF 6B_346/2020 du 21.7.2020, c. 2).

Comment peut-on ainsi refuser d’appliquer l’art. 53 CP pour CHF 3’500.- et valider une transaction judiciaire pour des infractions similaires, ce qui ce qui aboutit à la même chose, soit la libération de la poursuite – pour plus de CHF 150’000.- ? La jurisprudence manque singulièrement de cohérence à cet égard. À notre sens, la transaction judiciaire devant une autorité d’appel devrait dès lors respecter l’art. 53 CP. La volonté de réduire toujours plus la portée de l’art. 53 CP – et du classement en opportunité – risque de rendre de plus en plus difficile toute solution pragmatique, même si dans cet arrêt le Tribunal fédéral a validé cette solution. La transaction peut donc encore être tentée, y compris en appel, même si son fondement dogmatique est hautement discutable.

Proposition de citation : Stéphane Grodecki, Transaction judiciaire en audience d’appel , in : https://www.crimen.ch/115/ du 21 juin 2022