Art. 195 al. 2 CPP : l’autorité pénale doit toujours disposer d’un extrait du casier judiciaire du prévenu à jour avant de prononcer son jugement

L’autorité pénale de jugement doit s’assurer de disposer d’un extrait du casier judiciaire du prévenu à jour avant de prononcer son jugement, en particulier lorsqu’une période relativement longue sépare les débats de la notification du jugement motivé. L’extrait d'un casier judiciaire versé au dossier mais datant de plus de trois mois au moment des débats n’est pas suffisamment récent et crée le risque pour l'autorité d’ignorer une éventuelle nouvelle procédure ouverte ou condamnation prononcée à l’encontre du prévenu au moment de la fixation de la peine.

I. En fait

En 2ème instance, par jugement du 4 mars 2022, A est reconnu coupable d’infractions à la LStup et LCR, ainsi que de contrainte sexuelle (art. 189 CP) et d’actes d’ordre sexuel sur une personne incapable de discernement ou de résistance (art. 191 CP) et condamné à 24 mois de peine privative de liberté avec sursis, à 150 jours-amende à CHF 140.- le jour avec sursis et à une amende de CHF 4’200.-. Le délai d’épreuve est fixé à trois ans. 

Contre ce jugement, le Ministère public valaisan interjette recours au Tribunal fédéral. Il conclut à ce que A soit condamné à 30 mois de peine privative de liberté, assortie du sursis partiel, et à une peine pécuniaire ferme de 150 jours-amende à CHF 140.- le jour. Le Ministère public estime que l’autorité inférieure a violé l’art. 6 CPP en renonçant à demander un extrait à jour du casier judiciaire de A (art. 195 al. 2 CPP), dont la production aurait permis de constater que ce dernier avait été condamné par ordonnance pénale pour des infractions de violence contre son ancienne compagne commises le 21 juillet 2021 (lésions corporelles, contrainte et séquestration). En retenant que le prévenu n’avait plus commis d’infraction depuis octobre 2017, le tribunal cantonal valaisan aurait constaté les faits de manière manifestement inexacte (art. 97 LTF).

II. En droit

Après avoir rappelé le principe selon lequel le Tribunal fédéral fonde son arrêt sur les faits retenus en 2ème instance (art. 105 al. 1 LTF), qui ne peuvent être revus que s’ils ont été établis de manière manifestement inexacte (art. 97 al. 1 LTF) (c. 2.1), notre Haute Cour précise que l’art. 195 al. 2 CPP doit se lire en parallèle à l’art. 161 CPP, selon lequel le ministère public n’interroge le prévenu sur sa situation personnelle que s’il faut s’attendre à une mise en accusation ou à une ordonnance pénale. Avant de connaître cette issue probable et dès lors que de tels éléments touchent à la sphère privée du prévenu, il n’est pas nécessaire de procéder à cet interrogatoire ; ces considérations valent pour l’art. 195 al. 2 CPP également. Inversement, si le prévenu est condamné en 1ère instance, la cour d’appel doit demander un extrait récent de son casier judiciaire (c. 2.3.1).

Pour rappel, le système VOSTRA (registre fédéral du casier judiciaire) doit intégrer non seulement les condamnations entrées en force, mais également les procédures pendantes (art. 366 al. 4 CP et art. 7 let. a Ordonnance VOSTRA), qui doivent être inscrites dans un délai de deux semaines à compter de l’ouverture de la procédure pénale (art. 11 al. 3 Ordonnance VOSTRA) (c. 2.3.2). 

Lorsque le tribunal se retire pour délibérer et qu’il parvient à la conclusion que l’affaire n’est pas encore en état d’être jugée, il doit compléter les preuves, puis reprendre les débats (art. 349 CPP). Sous l’angle de la notification du jugement, l’art. 84 al. 3 CPP permet au tribunal de notifier son jugement ultérieurement à l’occasion d’une audience ; les parties peuvent dans ce cas renoncer au prononcé public du jugement, le tribunal pouvant alors se limiter à notifier le dispositif sitôt le jugement rendu. Si des compléments se révèlent nécessaires, le Tribunal doit y procéder lui-même et ne peut en conséquence pas déléguer cette tâche au ministère public (c. 2.3.3). 

En l’espèce, tant la partie plaignante que le Ministère public valaisan ont formé appel à l’encontre du jugement de première instance en mars 2021. Le 15 juin 2021, l’autorité d’appel a requis la production de l’extrait du casier judiciaire du prévenu et a appointé les débats au 6 octobre 2021. Le 29 septembre 2021, un nouveau rapport de dénonciation contre le prévenu est parvenu au Ministère public valaisan, Office régional du Haut-Valais, concernant des infractions de lésions corporelles, de contrainte et de séquestration commises le 21 juillet 2021. L’inscription de la nouvelle procédure pendante contre A dans son casier judiciaire est intervenue le 5 octobre 2021, soit la veille des débats d’appel. Pour ces faits, A a finalement été condamné par ordonnance pénale rendue le 6 novembre 2021, entrée en force le 22 novembre 2021. Le jugement d’appel n’a été rendu que le 4 mars 2022 (c. 2.4.1).  

L’autorité cantonale inférieure se défend de ne pas avoir été informée de l’ouverture d’une nouvelle procédure pénale contre A qui s’est soldée par le prononcé d’une ordonnance pénale. Le Tribunal fédéral souligne toutefois qu’elle lui appartenait de demander un extrait récent du casier judiciaire de A avant de rendre son jugement en mars 2022. Elle aurait ainsi pu constater la condamnation nouvellement prononcée à son encontre. Le fait d’avoir, dans sa motivation, accordé un certain poids à l’absence de condamnation contre A depuis octobre 2017 sur la base d’un extrait de son casier judiciaire datant de plus de trois mois lors de l’audience, et de plus de huit mois lors du prononcé de son jugement, n’est pas compatible avec l’art. 195 al. 2 CPP. L’autorité d’appel aurait dû clarifier la situation personnelle du prévenu avant de rendre son jugement. Ceci vaut à plus forte raison au regard du dépassement du délai d’ordre de maximum 90 jours dont elle disposait pour notifier son jugement motivé aux parties (art. 84 al. 4 CPP) (c. 2.4.2).

En conséquence, l’autorité inférieure a effectivement constaté la situation personnelle de A de manière manifestement inexacte en retenant qu’il n’avait plus commis d’infractions depuis octobre 2017. Dès lors que cette précision est décisive pour la fixation de la peine, le recours est admis. Le jugement attaqué doit être annulé et l’affaire renvoyée à l’autorité inférieure  pour nouveau jugement (c. 2.4.3 et 4).

III. Commentaire

La solution retenue par le Tribunal fédéral doit être approuvée. L’obtention d’un extrait de casier judiciaire avant de rendre un jugement reste une procédure facile, rapide et peu coûteuse, qui ne rallonge ou complique en principe pas la conduite de la procédure. Cette exigence aura peut-être aussi l’avantage, dans certains cas, de pousser les autorités pénales à rendre la motivation de leurs jugements le plus rapidement possible afin d’éviter la survenance de nouvelles inscriptions durant les délais de l’art. 84 al. 4 CPP.  

Proposition de citation : Ryan Gauderon, Art. 195 al. 2 CPP : l’autorité pénale doit toujours disposer d’un extrait du casier judiciaire du prévenu à jour avant de prononcer son jugement, in : https://www.crimen.ch/139/ du 23 septembre 2022