L’utilisation d’une planche de surf à propulsion (eFoil) sur le lac Léman est interdite

Les normes réprimant l’utilisation d’une planche de surf à propulsion (eFoil) sur le lac Léman sont formulées de façon suffisamment claire et précise pour permettre de s’y conformer et, en cas de violation, prévoir les conséquences qui en découlent. La condamnation d’un individu à une amende après que ce dernier a fait usage d’un eFoil sur les rives genevoises du Léman ne viole par conséquent pas le principe de la légalité (art. 1 CP).

I. En fait

Le 16 juillet 20221, A est condamné à une amende de CHF 300.- pour infraction aux art. 48 Loi sur la navigation intérieure (ci-après : LNI) cum 16 et 121 Ordonnance sur la navigation intérieure (ci-après : ONI) par le Tribunal de police de la République et canton de Genève. La Chambre pénale d’appel et de révision de la Cour de justice genevoise rejette l’appel formé par A et, statuant à nouveau, condamne ce dernier à une amende de CHF 300.- pour infraction au sens de l’art. 48 LNI en lien avec l’art. 78d Règlement de la navigation sur le Léman. Il lui est reproché d’avoir navigué au large d’un débarcadère d’une commune genevoise sur un surf électrique à foil (eFoil). Il s’agit d’une planche nautique équipée à son revers d’un hydrofoil sur lequel est fixé un moteur à propulsion électrique devant être assimilé à un véhicule à moteur. A porte sa cause par-devant le Tribunal fédéral.

II. En droit

Le recourant fait valoir une violation du principe de la légalité (art. 1 CP) dès lors qu’il considère que l’utilisation, sur le Léman, d’un eFoil n’est prohibée par aucune disposition légale (c. 1).

Après avoir rappelé la teneur du principe de la légalité (c. 1.1), le Tribunal fédéral relève que la LNI « règle la navigation sur les voies navigables suisses, y compris celles qui sont frontalières » (art. 1 al. 1 LNI), sous réserve des dispositions des conventions internationales, ainsi que les dispositions prises en application de ces conventions (art. 1 al. 3 LNI) (c. 1.2.1). Les infractions aux règles sur la navigation intérieure sont prévues aux art. 40 ss LNI. L’art. 48 LNI punit en particulier de l’amende « [c]elui qui aura d’une autre manière contrevenu à la présente loi, aux dispositions d’exécution édictées par la Confédération ou par les cantons ou aux règles de conventions internationales touchant la police de navigation ou l’économie des trans­ports, sans qu’il y ait délit ou contravention au sens des art. 40 à 47 de la présente loi […] ». L’art. 48 LNI constitue une norme en blanc (Blankettstrafnorm), soit une disposition – de nature pénale – réprimant de manière globale des actes décrits dans d’autres dispositions légales ou réglementaires (ATF 100 IV 71, c. 1 portant sur l’art. 90 LCR ; en ce qui concerne la comparaison entre les dispositions pénales de la LNI et celles de la LCR, v. TF 6B_531/2016 du 5.5.2017, c. 3.4 et réf. citées) (c. 1.2.2). 

En ce qui concerne plus particulièrement la navigation sur le Léman, cette dernière est réglementée par l’Accord conclu le 7 décembre 1976 entre le Conseil fédéral suisse et le Gouvernement de la République française (ci-après : Accord) complété par le Règlement de la navigation sur le Léman (ci-après : Règlement) (c. 1.3.1)

L’art. 78d Règlement dispose que « [l]’usage des véhicules nautiques à moteurs et de tout engin similaire quel qu’en soit le mode de propulsion est interdit ». La notion de « véhicule nautique à moteur » désigne un bateau destiné à être utilisé à des fins sportives et de loisir, dont la coque a une longueur de moins de 4 m, équipé d’un moteur de propulsion qui entraîne une turbine constituant sa principale source de propulsion et conçu pour être manœuvré par une ou plusieurs personne(s) assise(s), debout ou agenouillée(s) sur la coque plutôt qu’à l’intérieur de celle-ci (art. 1 let. b bis Règlement qui renvoie à la Directive 2013/53/UE du Parlement européen et du Conseil du 20 novembre 2013 relative aux bateaux de plaisance et aux véhicules nautiques à moteur [ci après : Directive 2013/53/UE]) (c. 1.3.2).

Dans son arrêt (AARP/12/2022 du 20 janvier 2022, c. 2.4), l’instance inférieure a jugé que – bien que non équipée d’un « moteur de propulsion » (au sens de l’art. 3 ch. 5 Directive 2013/53/UE) – le surf électrique utilisé par le recourant devait être assimilé à un « engin similaire » à un véhicule nautique à moteur au sens de l’art. 78d Règlement. Son utilisation est par conséquent et conformément à la disposition précitée prohibée (c. 1.4). 

Le Tribunal fédéral adhère à ce raisonnement dès lors qu’il considère que l’art. 78d Règlement vise tant les « véhicules nautiques à moteur » que « tout engin similaire quel qu’en soit son mode de propulsion ». Ainsi, l’interdiction concerne tout type d’embarcation équipée tant d’un moteur à propulsion (au sens de l’art. 3 ch. 5 Directive 2013/53/UE) que d’un autre type de moteur. Par conséquent, le fait que le moteur du eFoil ne soit pas à propulsion, mais électrique est sans importance. Le Tribunal fédéral précise que l’utilisation, par le législateur, de la notion large d’« engin similaire » a certainement pour but d’anticiper les avancées technologiques, en particulier en matière de motorisation des véhicules nautiques, de manière conforme au principe de la légalité (c. 1.5). 

Notre Haute Cour relève également que l’art. 78d Règlement se situe dans le chapitre 6 lequel contient les « règles de barre et de route ». Il se demande par conséquent si l’art. 40 LNI réprimant la violation des « règles de route » n’aurait en l’espèce pas dû s’appliquer en lieu et place de l’art. 48 LNI qui lui est subsidiaire. La distinction n’a toutefois aucune incidence pratique dès lors que les infractions des art. 40 al. 1 et 48 LNI sont toutes deux punies d’une amende et, selon le Tribunal fédéral, « il peut encore être admis que l’art. 78d du Règlement ne constitue pas matériellement une règle de route au sens de l’art. 40 LNI, de sorte que seul l’art. 48 LNI était susceptible d’entrer en considération » (c. 1.7).

Compte tenu de ce qui précède, les normes interdisant et réprimant l’utilisation d’un eFoil sur le Léman sont formulées de façon suffisamment claire et précise pour que le recourant puisse s’y conformer. Sa condamnation ne viole ainsi pas le principe de la légalité (c. 1.8).

Bien que non soulevée, l’erreur sur l’illicéité (art. 21 CP) est écartée, dès lors que peu de temps avant les faits le recourant avait été averti oralement par une patrouille de police de l’interdiction de faire usage d’un eFoil (c. 2). 

Au vu de ce qui précède, le recours est rejeté et les frais judiciaires qui se montent à CHF 3’000.- sont mis à la charge de A (c. 3). 

Proposition de citation : Laura Ces, L’utilisation d’une planche de surf à propulsion (eFoil) sur le lac Léman est interdite, in : https://www.crimen.ch/161/ du 13 janvier 2023