I. En fait
Le 14 novembre 2020, à 16h05, A est contrôlé sur l’autoroute A2 au moyen d’un appareil de contrôle de vitesse à une vitesse de 188 km/h, après déduction de la marge de sécurité, sur un tronçon limité à 100 km/h.
Par jugement du 31 janvier 2023, A est reconnu coupable d’infraction à l’art. 90 al. 3 et 4 LCR (« délit de chauffard ») et est condamné à une peine privative de liberté de douze mois avec sursis durant un délai de deux ans, ainsi qu’au paiement d’une amende de CHF 500.- à titre de sanction immédiate.
Saisie sur appel de A, la Cour d’appel pénale du canton du Tessin admet partiellement son appel et le condamne à une peine pécuniaire de 180 jours-amende, assortie du sursis durant deux ans. À l’appui de son jugement, la Cour d’appel fait application du nouvel art. 90 al. 3ter LCR entré en vigueur le 1er octobre 2023. L’amende immédiate est augmentée à CHF 1’000.- tandis que les deux tiers des frais de procédure sont laissés à la charge de l’État.
Contre cet arrêt, le Ministère public du canton du Tessin interjette recours au Tribunal fédéral, en concluant à ce que A soit condamné à 12 mois de peine privative de liberté avec sursis durant deux ans.
II. En droit
Dans son recours, le Ministère public conteste la modification de la peine prononcée par la dernière instance cantonale. En substance, il soutient que le nouvel art. 90 al. 3ter LCR ne doit s’appliquer que dans les cas exceptionnels, soit lorsque des circonstances particulièrement favorables sont présentes, à l’instar de celles énumérées à l’art. 48 CP. De manière plus générale, le Parquet estime que la gravité de l’infraction ne permettait pas de réduire la peine dans une telle mesure, particulièrement pas s’agissant du genre de peine finalement prononcé, soit des jours-amende plutôt qu’une peine privative de liberté (c. 2.1).
Le Tribunal fédéral débute par rappeler la teneur de l’art. 90 al. 3 et 4 LCR depuis son entrée en vigueur le 1er janvier 2013, notamment le schématisme prévu à l’al. 4 en matière de très grand dépassement de vitesse. Il rappelle que la disposition a été ajoutée dans le cadre de la mise en œuvre du programme Via sicura, inspiré du projet d’initiative populaire contre les « chauffards » (ATF 142 IV 137, c. 7.1 et 7.3) (c. 2.2).
Notre Haute Cour expose ensuite l’évaluation du programme Via sicura par le Conseil fédéral en 2017, en particulier la nécessité qui ressortait de certaines interventions parlementaires de procéder à quelques correctifs du programme. En substance, il était question de laisser au juge un plus grand pouvoir d’appréciation selon les circonstances, afin de supprimer la peine-plancher de douze mois de peine privative de liberté. Un projet du Conseil fédéral a été soumis aux Chambres dans ce sens, visant ainsi à abandonner l’application automatique de l’art. 90 al. 3 LCR en cas de très grands dépassements de vitesse tels que listés à l’art. 90 al. 4 LCR (FF 2021 3026). Durant les débats parlementaires, et pour éviter le lancement d’un référendum par la Fondation RoadCross Suisse, une solution de compromis a été proposée sous la forme d’ajouts de deux exceptions à la suite de l’art. 90 al. 3 LCR : al. 3bis (abaissement de la peine-plancher d’une année de peine de privative de liberté en cas de circonstances atténuantes selon l’art. 48 CP) et al. 3ter (peine privative de liberté de quatre ans au plus ou une peine pécuniaire si l’auteur n’a pas été condamné au cours des dix dernières années pour un crime ou un délit routier ayant gravement mis en danger la sécurité de tiers ou ayant entraîné des blessures ou la mort de tiers). Ces nouvelles dispositions sont entrées en vigueur le 1er octobre 2023. Les travaux législatifs font ressortir que le nouvel art. 90 al. 3bis LCR vise à établir un cadre pénal autonome pour les primo-délinquants (non récidivistes) en accordant une marge d’appréciation au juge, qui n’est plus lié par une peine-plancher, ni par un genre de peine (c. 2.2).
Après avoir rappelé les principes qui gouvernent l’application de l’art. 47 CP relatif à la fixation de la peine, en particulier le pouvoir d’appréciation important qu’il convient de laisser aux autorités cantonales en la matière (c. 2.3), le Tribunal fédéral se penche sur le grief du Ministère public, selon lequel le nouvel art. 90 al. 3ter LCR ne devrait s’appliquer qu’en présence de circonstances favorables exceptionnelles. Selon ce dernier, si l’application du nouveau droit, plus favorable, n’est pas contestée (lex mitior), la réduction de la peine opérée par l’autorité précédente n’est pas motivée par la présence de circonstances exceptionnelles similaires à celles prévues à l’art. 48 CP. L’importance de l’excès de vitesse commis aurait dû conduire la juridiction d’appel à confirmer la peine de 12 mois de peine privative de liberté (c. 2.4). Sur ce point, le Tribunal fédéral considère que le Tribunal cantonal tessinois n’a pas violé le droit fédéral. Il relève qu’en application du nouveau droit, l’absence d’antécédents judiciaires routiers est érigé en véritable circonstance atténuante, qui est précisément réalisée en l’espèce. En outre, c’est la peine pécuniaire maximale autorisée par l’art. 34 al. 1 CP qui a été prononcée. Cette peine s’inscrit manifestement dans le nouveau cadre légal prévu par l’art. 90 al. 3ter LCR, qui donne expressément plus de marge de manœuvre au juge. Enfin, la motivation du jugement attaqué est suffisante s’agissant de la peine prononcée, de sorte que le grief du Ministère public est rejeté (c. 2.4).
Pour finir, le Tribunal fédéral se penche sur l’ultime moyen soulevé par le Ministère public s’agissant des frais de procédure, qui auraient du selon lui être mis intégralement à la charge du prévenu (art. 426 al. 2 CPP, subsidiairement art. 428 al. 2 CPP), et non pas uniquement à raison d’un tiers seulement comme l’a fait le Tribunal cantonal. Tout d’abord, force est de constater que l’art. 426 CPP ne trouve application qu’en première instance, de sorte que les arguments tirés de cette disposition tombent à faux. Pour ce qui est de l’art. 428 CPP, qui régit le sort des frais en procédure de recours, notre Haute Cour relève qu’un changement de droit au cours de la procédure, qui devient plus favorable au prévenu, n’entre pas dans les configurations visées par cette disposition. L’art. 428 al. 2 let. a CPP s’applique par exemple en cas de preuves d’abord dissimulées en première instance, puis invoquées devant l’autorité de recours et qui conduisent à un acquittement, ou si le prévenu fait en sorte de réaliser les conditions de l’art. 53 CP seulement en deuxième instance. Ainsi, dans la mesure où un changement de droit en faveur du prévenu ne lui est pas imputable, rien ne justifie de lui faire supporter l’intégralité des frais de procédure (c. 3.4.1). Le grief relatif à l’indemnité réduite obtenue par le prévenu devant l’autorité précédente pour ses frais de défense ne viole pas non plus le droit fédéral, l’art. 436 al. 2 CPP laissant une marge de manœuvre importante à l’autorité sur ce point. Au demeurant, l’autorité précédente a réduit cette indemnité dans la même mesure qu’elle a imputé au prévenu les frais de la procédure. Le grief est rejeté (c. 3.4.2).
Partant, le recours est intégralement rejeté (c. 4).
III. Commentaire
Cette jurisprudence, destinée à publication, est la première rendue en application de la nouvelle teneur de l’art. 90 LCR entrée en vigueur le 1er octobre 2023.
Les conclusions du Tribunal fédéral doivent être pleinement approuvées. La nouvelle marge de manœuvre accordée au juge grâce à l’ajout des al. 3bis et al. 3ter de l’art. 90 LCR, très attendue par certains, est ainsi confirmée par notre Haute Cour dans un cas pratique. Cet arrêt montre la portée concrète du nouveau droit et offre un précédent utile en la matière.
La nouvelle règlementation s’applique d’ailleurs pour l’ensemble des comportements graves décrits à l’art. 90 al. 3 LCR, et non pas uniquement en cas de dépassement de vitesse particulièrement important visé par l’al. 4 de la disposition.
Il est au surplus intéressant de relever que l’art. 90 al. 3ter LCR érige l’absence d’antécédents judiciaires en un réel facteur atténuant de la peine en matière de circulation routière, dérogeant ainsi expressément à la formule bien connue des autorités pénales, selon laquelle l’absence d’inscription au casier judiciaire a en principe « un effet neutre sur la fixation de la peine et n’a donc pas à être prise en considération dans un sens atténuant » (not. ATF 141 IV 61, c. 6.3.2).
Enfin, l’on relèvera que le Tribunal fédéral précise au passage, et à raison, que le cas du prévenu qui obtient gain de cause en deuxième instance du fait de l’entrée en vigueur d’un nouveau droit qui lui est plus favorable n’entre pas dans les éventualités visées par l’art. 428 al. 2 let. a CPP, avec son pendant concernant l’art. 436 al. 2 CPP en matière de dépens. Cette précision doit également être saluée.