Le droit à la libération conditionnelle d’un détenu en situation irrégulière qui n’a pas l’intention de quitter le territoire suisse

L’étranger qui a exécuté les deux tiers de sa peine privative de liberté et qui a un bon comportement durant sa détention n’a pas le droit à la libération conditionnelle lorsqu’il n’a pas le projet de quitter le territoire suisse alors qu’il fait l’objet d’une mesure d’expulsion ainsi que de plusieurs condamnations pour entrée et séjours illégaux.

I. En fait

A exécute trois peines privatives de liberté pour entrée et séjours illégaux, rupture de ban et infraction grave à la LStup. Son casier judiciaire fait état de plusieurs condamnations similaires. Il n’a aucun droit de séjour en Suisse et fait l’objet d’une mesure d’expulsion du territoire d’une durée de vingt ans. 

Après l’exécution des deux tiers de ses peines, le recourant demande sa libération conditionnelle. Par ordonnance du 19 juin 2023, la Juge d’application des peines rejette cette demande. Le Tribunal cantonal vaudois confirme cette décision par arrêt du 10 juillet 2023. 

Le détenu forme un recours en matière pénale auprès du Tribunal fédéral afin que la libération conditionnelle lui soit accordée.

II. En droit

Le recourant allègue que le Tribunal cantonal a violé l’art. 86 CP en refusant d’ordonner sa libération conditionnelle (c. 2.1). 

Le Tribunal fédéral rappelle tout d’abord que l’autorité compétente doit libérer conditionnellement le détenu qui a subi les deux tiers de sa peine si son comportement durant l’exécution de la peine ne s’y oppose pas et qu’il n’y a pas lieu de craindre qu’il commette de nouveaux crimes ou délits (art. 86 al. 1 CP). Cette dernière étape de l’exécution d’une sanction pénale est la règle et son refus l’exception. Pour l’octroi de la libération conditionnelle, il n’est pas nécessaire de pouvoir prévoir que le condamné se conduira bien en liberté – il suffit que son pronostic ne soit pas défavorable (c. 2.2.1). 

Le pronostic quant au comportement futur du prévenu doit être émis sur la base d’une appréciation globale, prenant en considération les antécédents de l’intéressé, sa personnalité, son comportement en général et dans le cadre des délits qui sont à l’origine de sa condamnation, le degré de son éventuel amendement ainsi que les conditions dans lesquelles il est à prévoir qu’il vivra une fois libéré (ATF 133 IV 201, c. 2.2 et 2.3 ; TF 7B_308/2023 du 28.7.2023, c. 2.2). Le risque de récidive, inhérent à toute forme de libération, revêt un poids différent selon le degré de probabilité qu’une nouvelle infraction soit commise et selon le bien juridique en danger. Ainsi, lorsque l’auteur a porté atteinte à l’intégrité sexuelle ou corporelle d’autrui, le risque de récidive tolérable est moindre que dans la situation dans laquelle il a mis en danger la santé publique de manière abstraite, en commettant par exemple un trafic de stupéfiants (c. 2.2.1). 

L’autorité doit procéder à un pronostic différentiel, c’est-à-dire comparer les avantages et désavantages de l’exécution de la peine avec la libération conditionnelle et déterminer si le degré de dangerosité que représente le détenu diminuera, restera le même ou augmentera en cas d’exécution complète de la sentence (ATF 124 IV 193, c. 4.d et 5.b/bb). L’autorité compétente dispose d’un large pouvoir d’appréciation en la matière, de sorte que le Tribunal fédéral n’intervient que si elle l’a excédé ou abusé (c. 2.2.1). 

En l’espèce, le Tribunal cantonal a relevé que le recourant avait exécuté les deux tiers de ses peines et que son comportement en détention était bon, de sorte que les deux premières conditions d’application de l’art. 86 CP sont réalisées. Toutefois, il a estimé que le pronostic du recourant s’agissant de son comportement futur était défavorable en raison notamment de l’inexistence d’un projet de réinsertion qui tiendrait compte de son expulsion du territoire suisse (c. 2.3).

Le recourant estime que les juges cantonaux ont violé leur pouvoir d’appréciation en retenant qu’il n’avait pas pris conscience de son statut illégal en Suisse et de la mesure d’expulsion dont il faisait l’objet au motif qu’il a indiqué qu’il logerait chez des amis ou au sein de structures d’accueil d’urgence en cas de libération conditionnelle. Le Tribunal fédéral rejette ce grief car l’autorité cantonale s’est basée sur les déclarations du recourant pour arriver au constat qu’il entendait demeurer en Suisse en toute illégalité. Elle n’a donc pas basculé dans l’arbitraire (c. 2.4.2).

Le recourant allègue que le reproche de l’instance précédente selon lequel il n’aurait « aucun projet concret tenant compte de son statut administratif en Suisse » reviendrait à refuser automatiquement l’accès à la libération conditionnelle à tout détenu étranger faisant l’objet d’une mesure de renvoi. Selon le Tribunal fédéral, cette absence de projet de départ démontre que A n’a pas pris conscience de la nécessité de quitter la Suisse et de se soumettre à son expulsion judiciaire. L’autorité précédente pouvait ainsi poser un pronostic défavorable quant à son comportement futur et refuser sa libération conditionnelle (c. 2.4.4). Le recours est donc rejeté (c. 2.5). 

III. Commentaire

Lorsque l’exécution d’une peine privative de liberté jusqu’à son terme n’aura pas pour effet de faire diminuer le risque de récidive du détenu par rapport à sa libération conditionnelle, le Tribunal fédéral parle de « pronostic différentiel doublement défavorable » (cf. par exemple : TF 6B_91/2020 du 31.3.2020, c. 3.2). Dans de telles situations, la libération conditionnelle ne peut pas être accordée si l’intérêt public à la sécurité prévaut au vu du pronostic et de l’importance des biens juridiques menacés (TF 6B_353/2019 du 25.4.2019, c. 1.5 ; TF 6B_91/2020 du 31.3.2020, c. 3.2 ; TF 6B_303/2021 du 19.4.2021, c. 2.1). La poursuite de l’exécution de la peine vise alors à empêcher la commission d’infractions pendant la durée restante de la détention. Elle n’est pas un moyen d’éviter la récidive (ATF 124 IV 193, c. 4.aa et bb). 

En l’espèce, le Tribunal fédéral ne se détermine pas sur la question de savoir si l’exécution de la sanction jusqu’à son terme aura un effet positif sur le risque de récidive du détenu, mais relève que sa dangerosité « ne serait pas moindre en cas de libération anticipée (…) qu’en cas de libération de fin de peine » (c. 2.4.3). On en déduit que l’exécution de sa peine jusqu’à son terme n’aura probablement pas pour effet de diminuer le risque de récidive du recourant. Le refus de la libération conditionnelle poursuit donc un objectif de protection de la sécurité publique pendant la durée restante de l’exécution de la peine. 

Proposition de citation : Justine Arnal, Le droit à la libération conditionnelle d’un détenu en situation irrégulière qui n’a pas l’intention de quitter le territoire suisse, in : https://www.crimen.ch/218/ du 29 septembre 2023