L’indemnité pour détention excessive en cas d’expulsion

Pour déterminer le montant de l’indemnité pour détention excessive d’une personne qui fait l’objet d’une décision d’expulsion entrée en force, le Tribunal fédéral confirme qu’il est admis de tenir compte du coût de la vie du pays vers lequel l’intéressé doit être expulsé en raison de sa nationalité et non de son domicile effectif, en Suisse.

I. En fait

Le 4 décembre 2020, A, ressortissant algérien né en 1991, en situation irrégulière en Suisse depuis son arrivée à l’âge de 14 ans, est interpellé par la police, laquelle constate qu’il fait l’objet de deux mesures d’expulsion pénale entrées en force. A est condamné pour rupture de ban, en première instance puis en deuxième instance. A la suite de l’admission partielle d’un premier recours au Tribunal fédéral (TF), l’autorité cantonale le condamne à des jours-amende au lieu d’une peine privative de liberté prononcée initialement. Elle lui alloue une indemnité de CHF 935.- avec intérêts à 5 % dès le 4 mars 2021, à titre de réparation pour les 27 jours de détention excessive subis.

A forme à nouveau recours auprès du TF contre cette dernière décision. Il conclut à son annulation et au prononcé d’une peine pécuniaire ne dépassant pas 10 jours et à l’octroi d’une indemnité pour tort moral de CHF 200.- par jour de détention.

II. En droit 

Après avoir confirmé la peine infligée à A (c. 1), les juges fédéraux traitent du grief en lien avec le montant alloué au recourant pour indemniser les 27 jours de détention excessive subis.

Aux termes de l’art. 431 al. 1 et al. 2 CPP, si le prévenu a, de manière illicite, fait l’objet de mesures de contrainte, l’autorité pénale lui alloue une juste indemnité et réparation du tort moral (al. 1). En cas de détention provisoire et de détention pour des motifs de sûreté, le prévenu a droit à une indemnité ou à une réparation du tort moral lorsque la détention a excédé la durée autorisée et que la privation de liberté excessive ne peut être imputée sur les sanctions prononcées à raison d’autres infractions (al. 2). Il y a détention excessive lorsque, bien qu’ordonnée de manière licite, la détention dure plus longtemps que la sanction finalement prononcée (c. 2.1.1).

Le TF consacre ensuite un passage aux principes qui régissent la détermination de l’indemnisation fondée sur les art. 429 ss CPP. Il souligne qu’il n’est pas exclu de s’inspirer des règles générales des art. 41 ss CO. L’ampleur de la réparation morale dépend avant tout de la gravité des souffrances physiques ou psychiques consécutives à l’atteinte subie par l’intéressé, en l’occurrence les répercussions de la détention sur la vie privée, sociale et professionnelle de l’intéressé et de la possibilité d’adoucir sensiblement la douleur morale qui en résulte par le versement d’une somme d’argent (c. 2.1.4). Le montant exact relève toutefois du pouvoir d’appréciation du juge qui doit trancher en équité car l’indemnité pour tort moral ne peut que difficilement être réduite à une simple somme d’argent fondée sur des critères mathématiques (art. 49 CO et art. 4 CC) (ATF 143 IV 339, c. 3.1).

En cas de détention injustifiée – et non excessive comme en l’espèce -, un  montant de CHF 200.- par jour de détention injustifiée de courte durée est approprié (ATF 146 IV 231, c. 2.3.2). Ce montant est ensuite corrigé compte tenu des particularités du cas (durée de la détention, retentissement de la procédure sur l’environnement de la personne acquittée, gravité des faits reprochés, etc. ; ATF 143 IV 339, c. 3.1) (c. 2.1.2).

En cas de détention excessive, le montant de référence de CHF 200.- par jour peut être relativisé car la détention en tant que telle n’est pas injustifiée. Cette relativisation est, selon le TF, motivée par deux éléments : primo, l’autorité compétente peut renoncer à toute indemnité ou réparation si l’excès de détention est insignifiant ou s’il est dû à des circonstances dont le prévenu ne saurait tirer profit (FF 2006 1314) ; secundo, le préjudice subi en cas de détention excessive est moins important qu’en cas de détention injustifiée du fait que dans le premier cas, la détention est légitime (TF 6B_1057/2015 du 25.6.2016, c. 5.3.3) (c. 2.1.3). 

Conformément à la jurisprudence, l’indemnité doit en principe être fixée sans égard au lieu de vie de l’ayant droit et à ce qu’il va faire de l’argent obtenu. Toutefois, si le bénéficiaire est domicilié à l’étranger et qu’il serait exagérément avantagé en raison des conditions économiques et sociales existant à son lieu de domicile, il convient à titre exceptionnel d’adapter l’indemnité vers le bas (ATF 125 II 554, c. 2b et 4a). Dans ce dernier cas, on ne peut pas procéder schématiquement selon le rapport du coût de la vie au domicile du demandeur avec celui de la Suisse. Sinon, l’exception deviendrait la règle (ATF 125 II 554, c. 4a).

Le TF passe ensuite en revue différents arrêts où il a déjà réduit le montant de l’indemnité en raison du lieu de vie de l’intéressé (c. 2.1.5). Par exemple, dans un arrêt concernant l’indemnisation pour détention excessive d’un ressortissant algérien, sans domicile fixe, frappé d’une mesure d’expulsion judiciaire vers son pays d’origine, le TF a jugé que le montant de CHF 70.- par jour était équitable (TF 6B_242/2019 du 18.3.2019, c. 2.2 et 2.3, qui relève que le PIB par habitant en Algérie est environ 20 fois moins élevé qu’en Suisse) (c. 2.1.6).

Dans le cas d’espèce, l’indemnisation doit compenser une détention excessive de 27 jours (cfart. 431 al. 2 CPP; art. 36 al. 1 CP) (c. 2.2). 

Le TF relève que l’autorité de deuxième instance a retenu un montant de départ de CHF 70.- par jour de détention excessive en se fondant sur l’arrêt précité, rendu dans des circonstances similaires. Ensuite, compte tenu des circonstances du cas d’espèce, ce montant a été divisé par deux pour retenir in fine un montant de CHF 35.- par jour. Au chapitre des éléments qui justifient cette dernière réduction, l’autorité cantonale mentionne le fait que l’indemnisation ne doit pas compenser l’arrestation et le choc de la détention puisque le recourant a été incarcéré à bon droit ; que l’incarcération du recourant n’a eu aucune répercussion durable sur sa vie sociale et professionnelle puisqu’il était en situation illégale depuis son arrivée en Suisse, sans emploi et sans projet concret ; que son anxiété, ses actes d’automutilation et ses idées noires étaient le fruit d’une toxicomanie antérieure à cette incarcération et qu’au surplus, celui-ci n’avait pas démontré qu’il avait particulièrement mal vécu sa détention (c. 2.2).

Le TF confirme cette appréciation. Il rejette également le grief du recourant en lien avec une discrimination contraire aux art. 8 al. 2 Cst., 14 CEDH et 5 let. a de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (RS 0.104). Il explique que le critère retenu du coût de la vie en Algérie repose, en l’espèce, sur le prononcé de deux mesures d’expulsion du recourant (cf. art. 66a s CP) entrées en force, ainsi que sur l’absence de liens avec la Suisse, et non sur son origine (c. 2.4.1). 

Les juges fédéraux estiment que lorsqu’il s’agit d’indemniser une période de détention excessive d’un détenu faisant l’objet d’une mesure d’expulsion pénale (art. 66a s CP), séjournant illégalement en Suisse, les principes permettant de prendre en considération les frais d’entretien au domicile de l’ayant droit peuvent s’appliquer par analogie. Le montant de l’indemnisation peut ainsi être adapté aux conditions économiques et sociales existant au lieu où l’intéressé devra être expulsé. Le recourant ne peut pas se prévaloir du fait qu’il résidait en Suisse pour contester la prise en compte du coût de la vie en Algérie, pas plus qu’il ne saurait invoquer sa propre appréciation concernant les difficultés d’une expulsion effective en Algérie (c. 2.4.2). L’estimation du niveau de vie en Algérie tel qu’opéré par l’autorité cantonale n’est pas critiquable et se fonde sur un arrêt du TF rendu dans une configuration similaire (TF 6B_242/2019 précité) (c. 2.4.3). 

Au demeurant, les autres facteurs de réduction retenus par l’autorité cantonale ne sont pas remis en cause par le recourant (2.5). 

Le TF est ainsi d’avis que l’autorité cantonale n’a pas excédé le large pouvoir d’appréciation dont elle dispose en la matière (c. 2.6), de sorte que le recours est rejeté (c. 3). 

III. Commentaire

Cet arrêt nous paraît insatisfaisant aussi bien dans son résultat que dans sa motivation. 

A lire les derniers arrêts du TF en la matière, la tendance va vers un durcissement de la jurisprudence, tout en perdant de vue le but de l’indemnisation. S’il était admis dans certains cas de tenir compte du coût de la vie au lieu de domicile à l’étranger de l’intéressé, cela n’était prévu qu’à titre exceptionnel, si le bénéficiaire domicilié à l’étranger serait exagérément avantagé au vu du coût de la vie à son lieu de domicile à l’étranger et pour autant que ce domicile soit effectif (ATF 125 II 554). 

Dans des circonstances similaires au cas d’espèce et relativement récemment (2019), le TF s’était fondé sur le niveau de vie d’un pays étranger (l’Algérie également) au motif que le prévenu faisait l’objet d’une expulsion pénale vers ce pays, sans y vivre de manière effective (TF 6B_242/2019 du 18.3.2019). En s’écartant de cette manière du critère du domicile effectif, il semblait déjà que le TF avait voulu étendre les critères permettant de réduire le montant de l’indemnité. Le présent arrêt vient confirmer cette tendance, laquelle emploie le critère discriminatoire du statut juridique du lésé sur notre territoire, respectivement de sa nationalité au détriment de celui de la gravité des souffrances physiques ou psychiques dont est censée dépendre « avant tout »  l’ampleur de la réparation morale puisqu’il s’agit du seul but poursuivi par l’indemnisation prévue à l’art. 433 al. 1 et al. 2 CPP (c. 2.1.2). 

Dans le cas d’espèce et de l’Algérie spécifiquement, on peut aussi souligner que les difficultés d’une expulsion effective sont largement connues dans notre pays ; ces difficultés avaient au moment des faits déjà fait l’objet de plusieurs motions parlementaires auxquelles le Conseil fédéral a répondu (notamment : motion 16.3109 du 16.3.2016, motion 17.3707 du 25.9.2017 et plus tard, notamment : motion 20.4477 du 14.12.2020). Elles dépassaient ainsi, contrairement à l’avis du TF dans le présent arrêt (c. 2.4.2), la propre appréciation du recourant. En effet, une décision d’expulsion entrée en force n’est pas systématiquement suivie d’un renvoi effectif (cf. également : Quentin CUENDET, La réduction de l’indemnité pour détention excessive en cas d’expulsion, in : www.lawinside.ch/1330/). 

En définitive, on ne voit pas en quoi le recourant serait exagérément avantagé par une indemnité entière en raison des conditions économiques et sociales existant à son lieu de domicile effectif et actuel, la Suisse. Au contraire, l’approche du TF crée une inégalité de traitement injustifiée par rapport aux justiciables au même lieu de domicile. 

Proposition de citation : Mona Rhouma, L’indemnité pour détention excessive en cas d’expulsion, in : https://www.crimen.ch/205/ du 8 août 2023