I. En fait
A est poursuivi pénalement pour s’être procuré électroniquement et avoir possédé des images à contenu pornographique interdit (138 actes à caractère sexuel avec des mineurs, dont 136 effectifs, ainsi que 13 actes à caractère sexuel avec des animaux). Les juridictions de première et deuxième instance condamnent le prévenu pour pornographie et prononcent à son encontre une interdiction à vie d’exercer toute activité professionnelle ou extraprofessionnelle organisée impliquant un contact régulier avec des mineurs, assortie d’une assistance de probation. Le condamné recourt au Tribunal fédéral en demandant que les juges renoncent à prononcer l’interdiction.
II. En droit
Le Tribunal fédéral considère l’argument du recourant, selon lequel il convient de renoncer exceptionnellement, sur la base de l’art. 67 al. 4bis CP, à prononcer une interdiction d’exercer une activité, dans la mesure où il s’agit d’un cas de très peu de gravité et qu’il n’existe pas de risque de récidive. Pour la juridiction cantonale, une telle interdiction s’impose, dès lors que le cas d’espèce ne peut être considéré comme étant de peu de gravité, au vu du contenu des images détenues et de leur nombre, ainsi que de l’aveu du recourant selon lequel il est hébéphile et était tombé amoureux d’une mineure de 13 ans rencontrée dans une école où il travaillait en tant que cuisinier. Il avait d’ailleurs tenté de la contacter à plusieurs reprises, en dépit de la demande de la jeune fille de la laisser tranquille. Ceci, de même que l’attitude du recourant durant la procédure pénale, indique un risque de récidive, en particulier dans le cadre du club de natation où il entraîne des filles et garçons de 6 à 16 ans, tranche d’âge qui l’intéresse sexuellement (c. 2.1-2.2).
Le Tribunal fédéral rappelle qu’une condamnation pour pornographie impliquant des actes d’ordre sexuel avec des mineurs (art. 197 al. 5 CP) entraîne le prononcé d’une interdiction à vie de toute activité professionnelle et non professionnelle organisée impliquant des contacts réguliers avec des mineurs (art. 67 al. 3 let. d ch. 2 CP). Il peut être renoncé à une telle interdiction dans les cas de peu de gravité et lorsqu’elle ne paraît pas nécessaire pour détourner l’auteur d’autres infractions passibles de cette même mesure (art. 67 al. 4bis CP). Cette exception est toutefois exclue en cas de condamnation pour certaines infractions spécifiques (art. 67 al. 4bis let. a CP), ou lorsque l’auteur est pédophile conformément aux critères de classification internationalement reconnus (art. 67 al. 4bis let. b CP). In casu, le recourant a bien commis une infraction pour laquelle une interdiction à vie d’exercer doit en principe être prononcée selon l’art. 67 al. 3 let. d ch. 2 CP. Il s’agit cependant de déterminer si ce cas répond aux conditions de l’exception prévue à l’art. 67 al. 4bis CP (c. 2.3-2.4).
La renonciation exceptionnelle au prononcé d’une interdiction d’exercer une activité selon l’art. 67 al. 4bis CP suppose que soient remplies les deux conditions cumulatives citées ci-dessus (cas de peu de gravité et absence de risque de récidive d’infractions sexuelles). Cette exception vise à nuancer l’automatisme de l’art. 123c Cst. prévoyant une interdiction impérative à vie d’exercer une activité en cas d’infractions sexuelles sur des enfants, de même qu’à garantir le respect du principe de proportionnalité et du droit international (c. 2.5.2). L’exception à l’exception est réservée à l’art. 67 al. 4bis let. a et b CP, pour une liste d’infractions qui ne peuvent être considérées comme étant de peu de gravité, indépendamment des circonstances concrètes, ou dans le cas où l’auteur est pédophile. La loi pose ici une présomption irréfragable (c. 2.5.3).
Les juges fédéraux précisent ensuite la notion juridiquement indéterminée de cas de peu de gravité, en soulignant que celle-ci doit être appréhendée strictement. Selon le Message du Conseil fédéral, sont objectivement des cas de peu de gravité des infractions sexuelles assorties d’une peine menace peu élevée (p. ex. l’exhibitionnisme [art. 194 CP]) ou des infractions dont la peine menace est plus importante mais qui, en raison des circonstances concrètes, appellent au prononcé d’une peine plus légère ou avec sursis. Toujours selon le Message, il peut être renoncé à l’interdiction si celle-ci n’est pas nécessaire pour empêcher la récidive, ce qu’il appartient au tribunal de déterminer sur la base de l’ensemble des facteurs déterminants selon l’état de la recherche en matière de risque de récidive, cas échéant au moyen d’une expertise psychiatrique (c. 2.5.4-2.5.5 et les références citées). Le Message donne, à titre d’illustrations dont le tribunal doit s’inspirer, des exemples dans lesquels les juges peuvent renoncer exceptionnellement à une interdiction en vertu de l’art. 67 al. 4bis CP, à savoir des cas de relations sexuelles entre des mineurs et jeunes à la limite de l’âge adulte n’ayant aucun lien avec la pédophilie (c. 2.5.6). Le Tribunal fédéral ajoute que, contrairement à ce que laisse entendre le Message et conformément à sa jurisprudence, le tribunal doit renoncer à prononcer une interdiction d’exercer une activité si les deux conditions cumulatives de l’art. 67 al. 4bis CP sont remplies et que les lettres a et b de cette même disposition ne sont pas applicables (c. 2.5.7).
In casu, le Tribunal fédéral rejoint la juridiction cantonale en considérant que le téléchargement intentionnel de 136 images de pornographie dure, contenant des actes sexuels effectifs avec des mineurs, ne relève manifestement pas d’un cas de peu de gravité (et est incomparable avec les cas justifiant une des exceptions citées à titre d’exemples dans le Message). La condition du cas de peu de gravité faisant défaut, la question de la nécessité de l’interdiction aux fins d’empêcher la récidive ne devrait donc pas même être abordée (c. 2.6.1). Le Tribunal fédéral souligne malgré tout ce qui suit : certes, le recourant n’a pas d’antécédents judiciaires, a déclaré au Service national de coordination de la lutte contre la criminalité sur Internet des sites Internet au contenu interdit et s’est dit résolu à renoncer à tout contact avec des jeunes femmes en dehors de son club de natation ; cela étant, il ne peut être ignoré qu’il a admis son hébéphilie, qu’il est tombé amoureux d’une mineure de 13 ans et l’a harcelée, qu’il entraîne des enfants de cette tranche d’âge dans un club de natation et qu’il considère du reste ses pulsions comme étant normales dans une certaine mesure. Il existe donc des indices d’un risque de récidive (c. 2.6.2).
En conclusion, une interdiction à vie d’exercer une activité doit être prononcée sur la base de l’art. 67 al. 3 let. d ch. 2 CP, dès lors que les conditions de l’art. 67 al. 4bis CP ne sont pas remplies et qu’il n’est donc pas possible de faire exception à ce prononcé (c. 2.6.3).
III. Commentaire
Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral se prononce pour la première fois sur les conditions de l’exception prévue à l’art. 67 al. 4bis CP, permettant de renoncer au prononcé d’une interdiction à vie de toute activité professionnelle et non professionnelle organisée supposant des contacts réguliers avec des mineurs (art. 67 al. 3 let. d ch. 2 CP). Cet éclairage est bienvenu, en tant qu’il offre des lignes directives précieuses pour l’interprétation des cas dits de peu de gravité en la matière, tout en précisant l’articulation entre le principe de l’interdiction (art. 67 al. 3 let. d ch. 2 CP), l’exception qui peut y être faite (art. 67 al. 4bis CP) et l’exception à cette exception (art. 67 al. 4bis let. a et b CP). Il n’est dès lors pas surprenant que référence soit faite à ce jugement directeur dans l’arrêt TF 6B_852/2022 du 26.4.2023 (non destiné à la publication), portant sur une problématique similaire et rendu trois semaines plus tard.
Il est à noter que le cas d’espèce ne peut manifestement pas être considéré comme étant de peu de gravité. Aussi serait-il intéressant de connaître l’approche du Tribunal fédéral dans des cas davantage « limites », soit lorsqu’il apparaît délicat de se déterminer quant à la réalisation de la première condition à l’exception de l’art. 67 al. 4bis CP. Dans de telles situations, il nous semblerait important que la seconde condition, relative au risque de récidive, fasse l’objet d’une analyse approfondie, notamment sur la base d’une expertise psychiatrique.