I. En fait
Une instruction pénale est ouverte contre A pour de multiples brigandages qu’il aurait commis à l’encontre de personnes âgées. Le 28 septembre 2023, il est arrêté puis placé en détention provisoire le 2 octobre 2023. Sa détention est prolongée chaque fois pour trois mois par décisions du 29 décembre 2023 et du 28 mars 2024.
Le 22 avril 2024, le nouveau défenseur de A dépose une demande de libération, qui est rejetée par décision du Tribunal des mesures de contrainte du district de Zurich (TMC) le 3 mai 2024.
Le 5 juin 2024, faisant suite à une requête du Ministère public en charge de l’affaire, un bref rapport médical intitulé « évaluation provisoire du risque de récidive », dressé par une experte psychiatre, est versé au dossier de la procédure de détention.
Saisi sur recours, le Tribunal cantonal zurichois confirme la décision du TMC par arrêt du 1er juillet 2024.
A forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral et conclut principalement à l’annulation de l’arrêt attaqué ainsi qu’à sa libération immédiate de la détention provisoire.
II. En droit
Le Tribunal fédéral débute par rappeler la notion de risque de récidive au sens de l’art. 221 al. 1 let. c CPP, qui peut être retenu comme motif de détention provisoire lorsque trois conditions sont réalisées : une infraction grave au moins a été commise préalablement et des délits ou crimes graves doivent menacer d’être commis (1), la sécurité d’autrui doit être gravement et directement menacée (2) et il y a lieu de sérieusement craindre un risque de récidive, selon un pronostic défavorable (3) (ATF 146 IV 136, c. 2.2 ; ATF 143 IV 9, c. 2.5) (c. 3.1).
A critique pour l’essentiel les éléments ayant conduit à retenir contre lui un pronostic défavorable, en particulier le rapport d’expertise médico-légale et psychologique rendu le 5 juin 2024. Il soutient que ce rapport aurait été requis trop tardivement et sans que son droit d’être entendu ait pu être exercé (c. 3.3).
L’instance précédente soutient quant à elle que le rapport du 5 juin 2024 ne serait délibérément pas une « expertise psychiatrique », mais uniquement une « évaluation provisoire du risque avec recommandations d’intervention ». Ces documents auraient en outre été requis dès le 22 avril 2024 en vue d’examiner le risque de récidive de A d’ici au 6 juin 2024. Vu la détention en cours, cette « évaluation » devait être obtenue à court terme. L’instance précédente poursuit en précisant que la requête du ministère public au service médical concerné ne visait pas à conduire une « expertise ». La défense a en outre été pleinement informée du processus en cours, puisqu’elle a reçu copie de l’autorisation de visite délivrée au médecin-psychiatre pour s’entretenir avec A en prison, entretien d’ailleurs refusé par A sur conseil de son défenseur. La défense aurait donc dans tous les cas pu faire valoir ses droits à cette occasion déjà, ce qu’elle a refusé de faire. Aucune violation du droit d’être entendu ne saurait être retenue dans ces circonstances (c. 3.4).
Notre Haute Cour expose la procédure formelle qui régit la mise en œuvre d’une expertise selon les art. 182 ss CPP. Elle relève également que de manière générale, les procédures pénales ne peuvent être menées et achevées que dans les formes prévues par la loi (art. 2 al. 2 CPP) (c. 3.5.1 s). Les rapports d’expertise doivent être distingués des rapports et informations qui peuvent être transmis en application de l’art. 195 al. 1 CPP et qui échappent aux art. 182 ss CPP. Dans ce sens, il a déjà été jugé que l’art 195 al. 1 CPP ne peut être utilisé si une expertise est nécessaire (TF 6B_235/2020 du 1.2.2021, c. 2.5.2). Certains auteurs soutiennent d’ailleurs que les art. 182 ss CPP devraient être appliqués lorsque les informations obtenues par le biais de l’art. 195 al. 1 CPP équivalent à une véritable expertise, sous peine de contourner le droit d’être entendu des parties (c. 3.5.3).
Le Tribunal fédéral ne s’est pas encore prononcé sur le fondement juridique sur lequel repose un « rapport médico-légal d’évaluation » tel que celui établi le 5 juin 2024 dans le cas d’espèce. Il a toutefois déjà pu relever que le principe de célérité, renforcé en cas de détention, pouvait conduire à demander à l’expert mandaté une expertise « sommaire » ou « préalable » sur la seule question de la récidive (ATF 143 IV 9, c. 2.8 ; TF 1B_631/2021 du 15.12.2021, c. 2.4). Dans l’arrêt TF 1B_196/2015 du 17.5.2016, c. 4.4.4, il a toutefois jugé que les experts requis pour établir un rapport d’expertise sommaire restaient soumis aux prescriptions des art. 182 ss CPP, lorsqu’ils sont chargés d’élaborer ultérieurement une expertise plus approfondie sur les mêmes faits. Le Tribunal fédéral s’est saisi de plusieurs autres affaires similaires au présent cas d’espèce, mais sans que la question du processus d’élaboration de ces « expertises sommaires » ait été discutée (c. 3.6).
L’instance inférieure n’invoque aucune base légale sur laquelle se baserait le rapport du 5 juin 2024. Elle se limite à dire qu’il ne s’agit pas d’une expertise au sens des art. 182 ss CPP. Dans ses déterminations, le Ministère public zurichois n’expose pas non plus une quelconque disposition qui serait applicable pour obtenir un tel rapport d’un spécialiste en psychiatrie médico-légale (c. 3.7).
Le raisonnement de l’autorité précédente n’est pas convaincant. Le rapport du 5 juin 2024 dépasse manifestement le but et la portée d’un rapport officiel tel qu’entendu par l’art. 195 al. 1 CPP. En effet, cette disposition n’est en principe applicable qu’en cas d’obtention de renseignements sur l’état d’un traitement psychothérapeutique en cours ou d’informations auprès du médecin-traitant de la partie concernée, en lieu et place d’un témoignage oral. Par conséquent, dès lors que l’objet d’un tel rapport est une évaluation actuelle des risques de récidive qui a servi de base pour décider de maintenir ou non le prévenu en détention, confiée à un spécialiste disposant de connaissances spécifiques sur cette question, il a été apprécié par les instances inférieures comme une véritable expertise (c. 3.8.1). Le contenu dudit rapport correspond au demeurant à une expertise psychiatrique médico-légale, même si l’analyse est brève et provisoire, et qu’elle sera complétée par un examen plus détaillé sur l’ensemble des points nécessaires au jugement au fond de l’affaire (diagnostic, sanction appropriée, nécessité d’un traitement, capacité thérapeutique, etc.) (c. 3.8.2). En outre, l’organisation d’un entretien entre le médecin-psychiatre mandaté et A correspond à ce qui est usuellement fait dans le cadre d’une expertise médico-psychiatrique (art. 185 CPP), étant encore relevé que le médecin a eu un accès intégral au dossier de la cause, comme le permet l’art. 184 al. 4 CPP (c. 3.8.3).
Vu les éléments qui précèdent, et au regard de la portée et de l’importance que peut avoir un pronostic de risque de récidive, les art. 182 ss CPP s’appliquent à ce type de rapport succinct et provisoire. En particulier, le prévenu doit pouvoir faire valoir des motifs de récusation contre l’expert et user de son droit d’être entendu (c. 3.8.4).
Le rapport d’expertise du 5 juin 2024 aurait dû être requis en application des art. 182 ss CPP. Le fait que la procédure de détention, respectivement l’examen d’une demande de libération, implique une clarification rapide du risque de récidive ne s’oppose pas à l’application de ces dispositions. Le principe de célérité peut être suffisamment respecté par des délais courts pour formuler des prises de position et des questions complémentaires (TF 1B_595/2022 du 23.12.2022, c. 2.6). D’ailleurs, dans la mesure où A est en détention depuis le 2 octobre 2023, rien n’empêchait le ministère public de requérir cette évaluation du risque plus tôt dans la procédure, dans le respect des droits des parties (c. 3.8.5).
S’agissant du caractère exploitable du rapport du 5 juin 2024, le Tribunal fédéral rappelle que les violations du droit d’être entendu peuvent être réparées, notamment lorsque la partie concernée a ultérieurement eu la possibilité de s’exprimer sur les résultats d’une expertise (ATF 148 IV 22, c. 5.5.2). C’est précisément le cas en l’espèce, dès lors que la défense a été informée de l’identité de l’expert. L’entretien qui devait se tenir le 22 mai 2024 aurait pu permettre à A de s’exprimer directement auprès de l’expert. La défense a en outre reçu copie du rapport et s’est déterminée sur son contenu le 18 juin 2024. La violation de son droit d’être entendu peut ainsi être considérée comme exceptionnellement réparée (c. 3.9.2 et 3.9.3).
Le recours est par conséquent rejeté (c. 5).
III. Commentaire
Cette jurisprudence doit être saluée. Elle correspond en réalité à une expression du principe de la légalité en procédure pénale, qui semble être parfois appliqué avec une certaine « souplesse » dans certains cantons, au nom du principe de célérité.
Les ministères publics sont désormais rendus attentifs au fait qu’il leur appartiendra d’anticiper l’obtention de brèves expertises sur le risque de récidive s’ils ont l’intention de requérir une prolongation de la détention provisoire, respectivement de s’opposer à une demande de mise en liberté, en particulier lorsque seul ce motif est invoqué pour le maintien en détention (art. 221 al. 1 let. c CPP). Dans le cas contraire, la défense pourra valablement invoquer, à l’issue de la durée de l’autorisation de mise en détention, que le motif de récidive n’est pas suffisamment prouvé en l’absence d’une expertise sur des éléments d’ordre médical.
Précisons également que sans même que les autorités zurichoises ne l’aient invoqué en l’espèce, notre Haute Cour a profité du présent arrêt pour éviter toute discussion sur l’éventuelle application de l’art. 195 al. 1 CPP en faveur du ministère public, qui ne s’applique manifestement pas pour obtenir ce type d’expertise « à la sauvette » durant la procédure de détention.
L’on relèvera enfin que le Tribunal fédéral applique à notre avis généreusement le principe de la « guérison » de la violation du droit d’être entendu. À tel point que l’on peut se demander si sa nature exceptionnelle l’est toujours, vu le nombre de griefs de violation du droit d’être entendu niés en procédure de recours en application de ce principe. Le rejet du recours ainsi prononcé n’est pas non plus sans conséquence pour les parties sur les frais et indemnités. Finalement, une « victoire » au goût quelque peu amer.