Mesures techniques de surveillance secrètes : les preuves récoltées entre l’échéance de la durée de la mesure et la demande de prolongation tardive du ministère public sont absolument inexploitables

Une demande de prolongation d’une mesure technique de surveillance déposée un jour après l’échéance de la durée précédemment accordée ne peut couvrir la période qui sépare l’échéance précédente de celle-ci. Les preuves récoltées durant ce laps de temps sont absolument inexploitables, nonobstant une autorisation rétroactive du Tribunal des mesures de contrainte. Ce dernier doit se limiter à accorder la prolongation au jour de la réception de la demande du ministère public. 

I. En fait

En automne 2017, la police judiciaire genevoise informe le Ministère public genevois de soupçons d’infractions de traite d’êtres humains (art. 182 CP) et infractions qualifiées à la LEI à l’encontre d’une famille qui exploiterait du personnel de maison dans des conditions indécentes. Elle propose au procureur la mise en œuvre de mesures techniques de surveillance, notamment l’installation de caméras autour de la maison concernée.

Le Ministère public ordonne la mise en place de caméras à l’extérieur de la villa, que le TMC autorise par ordonnance du 17 novembre 2017 jusqu’au 20 février 2018 à 23h59. 

Le Ministère public dépose, le 21 février 2018, une demande de prolongation de la mesure pour trois mois supplémentaires, respectivement la mise en œuvre d’une telle surveillance, si sa demande devait être considérée comme tardive. Par ordonnance du 22 février 2018, le TMC autorise la prolongation pour trois mois, avec effet au 21 février 2018, à 00h01. La mesure est ensuite étendue à d’autres infractions, et prolongée jusqu’au 14 novembre 2018. 

Le 22 décembre 2021, le Ministère public genevois communique l’existence de la mesure aux prévenus. Une demande de mise sous scellés est déposée concernant le résultat de la surveillance. Les prévenus interjettent également recours contre celle-ci.

La Chambre pénale de recours genevoise annule les ordonnances de prolongation du TMC des 27 avril, 18 mai et 14 août 2018, constate l’illicéité de la surveillance opérée au domicile de la famille entre le 13 avril et le 14 novembre 2018, et ordonne la destruction immédiate des supports images portant sur cette période.

Contre cette décision, les prévenus interjettent recours au Tribunal fédéral, en concluant à l’annulation des ordonnances du TMC des 17 novembre 2017 et 22 février 2018, avec les conséquences qui s’y rattachent (illicéité et destruction des preuves obtenues durant cette période).

II. En droit

Vu la destruction immédiate obligatoire des moyens de preuve obtenus par une mesure technique de surveillance secrète illicite, la décision attaquée cause aux recourants un préjudice irréparable au sens de l’art. 93 LTF (c. 1).

Après avoir écarté un grief de violation du droit d’être entendu en lien avec la non-divulgation de la « source confidentielle » à disposition de la police en début d’enquête (c. 3.1 à 3.4), le Tribunal fédéral se penche sur la réalisation des conditions légales de l’art. 280 CPP, et rappelle les exigences en la matière, au regard du renvoi de l’art. 281 al. 4 CPP à l’art. 269 CPP (c. 4.2). 

Constatant que les conditions matérielles des art. 280 ss CPP. Les résultats des premières 24 heures de surveillance peuvent aussi fonder les graves soupçons, ainsi que d’éventuelles décisions judiciaires antérieures (c. 4.2).

En l’espèce, aucun élément ne permet de douter de la légalité de la source anonyme qui ressort du premier rapport de police, dans la mesure où ces indices sont notamment cohérents avec la précédente condamnation prononcée en 2007 pour des faits similaires contre les prévenus. Par ailleurs, le potentiel risque de représailles ne pouvait être exclu d’emblée, vu la situation de faiblesse dans laquelle se trouvaient les victimes, de sorte que la non-divulgation de l’identité de la source anonyme était fondée. Enfin, les recourants n’ont apporté aucun élément permettant de penser que la police n’aurait pas respecté ses obligations durant ses investigations. Au surplus, les principes de subsidiarité et proportionnalité ont été respectés. Par conséquent, la mesure autorisée le 17 novembre 2017 par le TMC était parfaitement légale (c. 4.3).

Pour ce qui est de la demande de prolongation du 21 février 2018, déposée un jour après l’échéance de la durée précédemment accordée (20 février 2018), le Tribunal fédéral rappelle tout d’abord sa jurisprudence selon laquelle le délai de 24 heures de l’art. 274 al. 1 CPP n’est qu’un “délai d’ordre”, dont la violation peu importante ne conduit pas à l’irrecevabilité de la demande. Les mêmes principes valent concernant le délai de cinq jours imparti au TMC pour statuer. Une partie de la doctrine critique cette jurisprudence, et propose d’accorder les mêmes conséquences qu’en matière de détention provisoire lorsque les délais impartis au ministère public et au TMC ne sont pas respectés (c. 5.1.1). S’agissant d’une prolongation d’une mesure de surveillance secrète, le ministère public doit saisir le TMC avant l’expiration de la durée antérieure. Sur ce point, certains auteurs proposent, là aussi, de s’aligner avec ce qui prévaut en matière de détention provisoire, et soutiennent que toute demande de prolongation devrait être déposée au moins cinq jours avant l’expiration de la durée, afin de permettre au TMC de rendre sa décision avant celle-ci (c. 5.1.2). 

En l’espèce, la demande de prolongation du 21 février 2018 a été déposée un jour après l’expiration de la première mesure technique de surveillance. L’ordonnance du TMC du 22 novembre 2018 a toutefois confirmé la réalisation des conditions matérielles de la surveillance à prolonger. Selon le Tribunal fédéral, un retard d’un jour ne saurait rendre illicite et absolument inexploitable l’entier de la surveillance déployée après cette date. Une telle solution s’impose, notamment du fait que le vice procédural n’apparaît pas comme particulièrement grave. Le TMC a par ailleurs rendu sa décision immédiatement après la réception de la demande de prolongation du ministère public. Toutefois, en pareille situation, l’ordonnance du TMC ne saurait couvrir la surveillance opérée entre le terme précédent (20 février 2018) et le jour de réception de la demande (22 février 2018). Par conséquent, seule la surveillance menée le 21 février 2018 doit être déclarée illicite et absolument inexploitable, et les moyens de preuve qui en découlent doivent être immédiatement détruits (c. 5.2).

Le recours est partiellement admis, et l’arrêt attaqué annulé. Les moyens de preuve récoltés le 21 février 2018 doivent être immédiatement détruits (c. 6).

III. Commentaire

Le Tribunal fédéral rend une décision conforme à sa jurisprudence antérieure et aux avis doctrinaux majoritaires. Si la décision du TMC rétroagit au jour de la demande (de prolongation) du ministère public, elle ne peut déployer des effets au-delà. 

Cette précision est bienvenue. Cet arrêt est cependant rendu dans un cas où seul un jour de retard était à déplorer. Dans d’autres hypothèses, la nature de « délai d’ordre » des différentes échéances à respecter en matière de mesures de surveillance secrètes peut aboutir à des situations choquantes, à plus forte raison encore dans le cadre de mesures incisives (surveillance de la correspondance par poste et télécommunication, mesures techniques de surveillance ou encore investigation secrète). 

Dans le prolongement de l’avis de Jeanneret/Kuhn, nous préconisons d’au moins retenir que le délai de 24 heures accordé au ministère public pour demander l’autorisation de sa mesure de surveillance secrète auprès du TMC soit une condition de validité de la mesure au sens de l’art. 141 al. 2 CPP. Cette exigence aurait l’avantage de mettre une plus forte pression en matière de respect des délais sur le ministère public, tout en préservant la possibilité, dans certaines circonstances, d’exploiter les résultats de la mesure si l’intérêt à la découverte de la vérité l’emporte. Ceci, pour autant que le TMC reconnaisse rétroactivement la réalisation des conditions matérielles de la mesure en question. En revanche, en matière de prolongation, tant que la demande du ministère public parvient au TMC avant l’expiration de la durée de la mesure à prolonger, même moins de cinq jours avant l’échéance, l’autorisation doit pouvoir rétroagir jusqu’à la date de dépôt de la demande. Cette solution est effectivement conforme à la volonté du législateur et au régime légal, qui prévoit expressément un effet rétroactif à la décision du TMC (cf. not. art. 274 al. 2 et art. 289 al. 3 CPP). 

Enfin, s’agissant de la licéité des fameuses « sources confidentielles » à disposition de la police pour fonder la mise en œuvre de mesures de surveillance secrètes, le Tribunal fédéral n’a pas saisi l’occasion de se pencher plus avant sur cette question épineuse. S’il est vrai que l’activité de la police est en principe strictement cadrée, il est difficile d’exclure certaines largesses ou excès durant les enquêtes policières, en particulier lorsque le ministère public n’est pas encore saisi. A notre avis, en particulier au regard du droit d’être entendu du prévenu, certaines cautèles devraient être posées sur cet aspect, afin qu’une information minimale sur de telles sources anonymes soit transmise par la police.

Proposition de citation : Ryan Gauderon, Mesures techniques de surveillance secrètes : les preuves récoltées entre l’échéance de la durée de la mesure et la demande de prolongation tardive du ministère public sont absolument inexploitables, in : https://www.crimen.ch/163/ du 23 janvier 2023