Le principe de l’interdiction de la reformatio in pejus s’applique à l’indemnité allouée à l’avocat d’office

En l’absence d’appel principal interjeté par le ministère public sur l’indemnité allouée à l’avocat d’office, l’autorité de recours viole le principe de l’interdiction de la reformatio in pejus en octroyant à ce dernier une indemnité inférieure à celle accordée en première instance.

I. En fait

En 2018, le Ministère public cantonal vaudois Strada désigne l’avocat A en tant que défenseur d’office de B après l’ouverture d’une instruction pénale contre ce dernier principalement pour vol et violation de domicile. Le Tribunal de police condamne B pour vol (art. 139 ch. 1 CP) à une peine privative de liberté de 6 mois, avec sursis pendant 3 ans ainsi qu’à une amende de CHF 400.- et alloue une indemnité de CHF 5’327.90 à A.

La Cour d’appel pénale du Tribunal cantonal vaudois a, d’une part, partiellement admis l’appel de B, réduisant sa peine privative de liberté à 3 mois et confirmant le sursis ainsi que l’amende, et d’autre part, rejeté le recours de A portant sur son indemnité obtenue en première instance. Elle a en outre réduit cette dernière à CHF 4’954.75.

A interjette recours auprès du Tribunal pénal fédéral, concluant principalement à ce que son indemnité de défenseur d’office soit « fondée sur le total d’heures facturées selon liste produite en première instance », subsidiairement à l’annulation du jugement attaqué et au renvoi de la cause à l’autorité précédente pour nouvelle décision, et plus subsidiairement à ce que son indemnité de défenseur d’office soit fixée à CHF 5’325.90, TVA et débours compris. Le Tribunal pénal fédéral étant incompétent, il transmet l’affaire au Tribunal fédéral.

II. En droit

Après avoir admis sa compétence (c. 1), le Tribunal fédéral examine les conclusions de A. Bien que sa conclusion principale ne soit pas chiffrée de manière précise, les juges fédéraux estiment qu’il n’est pas nécessaire d’examiner en détail la recevabilité du recours sous l’angle de l’art. 107 al. 2 LTF car ils jugeront ses griefs infondés dans la suite de leur raisonnement (cf. c. 3). Sa conclusion subsidiaire, chiffrée, étant suffisamment précise, il pourra être entré en matière sur ce point (cf. c. 4) (c. 2).

Notre Haute Cour commence tout de même par se pencher sur le grief principal de A en lien avec la somme obtenue à titre de défenseur d’office. Elle rappelle que cette rémunération est fixée, selon l’art. 135 al. 1 CPP, conformément au tarif des avocats de la Confédération ou du canton du for du procès et que l’autorité cantonale dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans ce cadre. Le Tribunal fédéral n’intervient qu’en cas d’arbitraire (c. 3.1.1).

Les juges fédéraux écartent tout d’abord la violation du droit d’être entendu dont A se plaint en raison du refus de la cour cantonale de faire examiner sa liste des opérations par un expert ou un arbitre, ce dernier ne démontrant notamment pas en quoi la cour ne disposerait pas des capacités nécessaires pour déterminer le montant de son indemnité. La liste des opérations fournie par A n’étant pas suffisamment détaillée, la cour cantonale ne tombe pas dans l’arbitraire en fixant l’indemnité équitablement sur la base d’une estimation des opérations nécessaires à la conduite du procès (cf. art. 3 al. 2 RAJ/VD) (c. 3.2).

Le Tribunal fédéral écarte ensuite le grief de A arguant que toutes les opérations indiquées dans sa liste étaient nécessaires et donc que la cour cantonale n’aurait pas dû réduire de près de la moitié le montant alloué. Il souligne également que les arguments de A sont de nature appellatoire, celui-ci se limitant à critiquer la manière dont la cour cantonale a déterminé le montant de son indemnité, et ainsi irrecevables dans un recours en matière pénale. Par conséquent, puisque A ne parvient pas à démontrer en quoi son indemnité aurait été fixée de manière arbitraire par la cour cantonale, les juges fédéraux rejettent sa conclusion principale (c. 3.3).

A invoque finalement une violation de l’interdiction de la reformatio in pejus en raison de la réduction de son indemnité d’office par la cour cantonale de CHF 373.15 par rapport au montant que lui avait accordé le tribunal de police. À ce propos, le Tribunal fédéral analyse l’applicabilité de ce principe à l’indemnité du défenseur d’office (c. 4). 

Les juges fédéraux commencent par rappeler que ce principe, dont le fondement est que le prévenu puisse exercer son droit de recours sans craindre une réformation du jugement en sa défaveur (voir not. ATF 142 IV 89, c. 2.1), est concrétisé en procédure pénale à l’art. 391 al. 2 CPP. Selon la première phrase de cette disposition, si le recours a été interjeté uniquement en faveur du prévenu ou du condamné, l’autorité de recours ne peut pas modifier le jugement au détriment de celui-ci. Ce principe s’applique également aux prétentions civiles de la partie plaignante selon l’art. 391 al. 3 CPP (c. 4.1.1).

Le Tribunal fédéral souligne ensuite que le recours de l’avocat d’office, qui accomplit une tâche étatique lui conférant une prétention de droit public à être rémunéré (voir not. ATF 141 IV 344, c. 3.2), contre le montant de sa rémunération découle de l’art. 135 al. 3 CPP. Il s’agit alors d’une voie de recours au sens des art. 393 ss CPP, que l’art. 391 CPP ne régit pas spécifiquement (c. 4.1.2 et 4.1.3). 

Notre Haute Cour se prononce en faveur de l’application du principe de l’interdiction de la reformatio in pejus au recours de l’avocat d’office pour trois raisons. Premièrement, eu égard au caractère uniquement patrimonial de ce recours, il convient de le faire bénéficier de ce principe de la même manière qu’il s’applique à la partie plaignante à l’art. 391 al. 3 CPP. Deuxièmement, la possibilité de l’appel du ministère public contre la rémunération de l’avocat d’office (voir not. ATF 139 IV 199, c. 2 et 4) permettant de réduire le montant justifie l’application de ce principe. Troisièmement, le fait que, selon la jurisprudence, l’interdiction de la reformatio in pejus est violée si l’autorité de recours réduit le montant arrêté aux frais de défense privée du prévenu  (TF 6B_478/2015 du 16.2.2016, c. 1.4 ; 6B_1046/2013 du 14.5.2014, c. 2.3) commande qu’il en soit de même pour l’indemnité du défenseur d’office (c. 4.1.4). Par conséquent, l’autorité de recours pourra allouer à l’avocat d’office une indemnité inférieure à celle accordée en première instance sans violer le principe de l’interdiction de la reformatio in pejus uniquement en cas d’appel principal du ministère public sur ce point (c. 4.1.5).

Dans le cas d’espèce, la cour cantonale ayant réduit le montant de l’indemnité d’office de A de CHF 373.15 sans appel principal formé par le ministère public, le Tribunal fédéral estime qu’elle a violé le principe de la prohibition de la reformatio in pejus (c. 4.2). Elle admet donc le recours sur ce point et arrête l’indemnité allouée à A en première instance à CHF 5’327.90. Il renvoie toutefois la cause à l’autorité cantonale pour une nouvelle décision quant aux frais et dépens cantonaux (c. 5).

Proposition de citation : Mathilde Boyer, Le principe de l’interdiction de la reformatio in pejus s’applique à l’indemnité allouée à l’avocat d’office, in : https://www.crimen.ch/168/ du 16 février 2023