I. En fait
Par jugement du 3 juin 2022, le Juge unique du Tribunal régional d’Emmental-Haute Argovie (Berne), notamment, reconnaît A coupable de plusieurs infractions (vol, dommages à la propriété, violation de domicile, voies fait, injures, menaces, etc.) et le condamne à une peine privative de liberté de 23 mois avec sursis, à une peine pécuniaire de 100 jours-amende avec sursis, à une amende de CHF 1’000.-, ainsi qu’à une expulsion pour une durée de six ans. Il ordonne également son inscription dans le système d’information Schengen.
Par arrêt du 27 septembre 2023, la 2e Chambre pénale de la Cour suprême du Canton de Berne rejette le recours de A.
Devant le Tribunal fédéral, A conclut notamment à l’annulation de l’arrêt de la juridiction d’appel.
II. En droit
Le recourant fait grief à l’autorité inférieure d’une violation de l’art. 19 al. 2 let. b CPP dès lors que c’est un juge unique, et non pas dans une formation composée de plusieurs juges, qui a prononcé une peine privative de liberté de 23 mois cumulée à une peine pécuniaire de 100 jours-amende (c. 1.2 2e par.).
Après avoir présenté la motivation de l’autorité inférieure (c. 2.2), le Tribunal fédéral rappelle la teneur de l’art. 19 al. 2 let. b CPP prévoyant qu’un juge unique peut statuer en première instance sur « les crimes et les délits, à l’exception de ceux pour lesquels le ministère public requiert une peine privative de liberté supérieure à deux ans […] ou une privation de liberté de plus de deux ans lors de la révocation d’un sursis » (c. 2.3.2).
Notre Haute Cour revient ensuite sur la genèse de cette disposition. L’avant-projet du Code de procédure pénale prévoyant que la compétence du juge unique pouvait s’étendre au prononcé d’une peine privative de liberté de 3 ans a suscité la critique dans le cadre de la procédure de consultation. Le Conseil fédéral en a tenu compte et, s’inspirant de l’art. 42 al. 2 CP relatif au sursis, a fixé cette limite à 2 ans dans le projet soumis à l’Assemblée fédérale. Les propositions visant à limiter la compétence du juge unique à des peines n’allant pas au-delà de 1 an, respectivement 6 mois, ont été rejetées au profit du projet gouvernemental. Ensuite, les juges fédéraux mettent en exergue les disparités entre les cantons et la Confédération dans l’usage et l’épuisement de la compétence qui leur est conférée par l’art. 19 al. 2 CPP. Ils en concluent que la compétence du juge unique est encore majoritairement considérée comme étant trop large. La doctrine se montre également critique à cet égard par rapport aux exigences de l’État de droit (c. 2.3.3).
Le Tribunal fédéral précise que l’ATF 147 IV 329 (rés. in crimen.ch/17), dans son considérant 2.8, se limite à indiquer qu’au regard de l’art. 19 al. 2 let. b CPP est déterminante la privation de liberté que la personne concernée doit subir dans son ensemble sur le fondement du jugement du juge unique (c. 2.4.3). Même si la jurisprudence n’a pas encore tranché la question de savoir si une peine pécuniaire doit être prise en compte dans le contexte de l’art. 19 al. 2 let. b CPP, les Juges fédéraux reviennent sur cet arrêt pour rappeler que cette disposition doit être appliquée de manière restrictive (c. 2.5.1).
Ensuite, le Tribunal fédérale constate que le texte (Wortlaut) de l’art. 19 al. 2 let. b CPP laisse entendre que la quotité de la peine privative de liberté est déterminante, à l’exclusion d’une éventuelle peine pécuniaire. Ce constat repose sur la différence de libellé entre cette disposition et la réglementation relative à l’ordonnance pénale avec l’art. 352 CPP. L’alinéa 3 de cette dernière disposition prévoit un possible cumul entre la peine pécuniaire et la peine privative de liberté notamment. Cela tend à démontrer que le législateur était conscient des questions de compétence se posant en cas du cumul de peines de genres différents. Sans parvenir à une conclusion définitive, les Juges fédéraux considèrent, au vu du libellé de l’art. 19 al. 2 let. b CPP, qu’il est possible de présumer qu’un tel cumul de peines de genres différents est autorisé sans qu’il ne soit nécessaire de prendre en considération les sanctions dans leur ensemble puisque seule la quotité de la peine privative de liberté entre en ligne de compte (c. 2.5.2).
Sur le plan de l’interprétation historique, le Tribunal fédéral souligne que l’avant-projet de l’art. 19 al. 2 let. b CPP (art. 24 AP-CPP) faisait expressément référence à la peine pécuniaire et que cette mention a disparu, sans être à même de déterminer les raisons de cette modification (c. 2.5.3). Les avis doctrinaux sur la question apparaissent très hétérogènes (c. 2.5.4 1er par.). Notre Haute Cour finit par mettre en exergue un arrêt de l’Obergericht zurichois dont il ressort que les principes se dégageant de l’ATF 147 IV 329 (rés. in crimen.ch/17) devraient être respectés par le droit cantonal même s’il n’épuisait pas l’étendue de la compétence fédérale pouvant être conférée au juge unique. Dans le cas du droit cantonal zurichois prévoyant la compétence du juge unique pour une peine privative liberté de 12 mois au plus, les magistrats zurichois ont tenu pour incompétent le juge unique dans une affaire où le ministère public a requis cette peine et, en sus, une amende CHF 6’000.- convertible en une peine privative de liberté de 60 jours en cas de non-paiement fautif, car le justiciable s’expose in fine à la prison pour 14 mois en tout et pour tout (c. 2.5.4 2e par.).
En résumé, le Tribunal fédéral retient que le respect de la limite maximale de 2 ans prévue à l’art. 19 al. 2 let. b CPP n’est pas fonction de l’ensemble des sanctions, mais dépend uniquement de la peine privative de liberté requise par le ministère public ou prononcée par le juge unique, indépendamment de la peine pécuniaire éventuellement requise ou prononcée en sus. Il y a toutefois lieu dans ce contexte de tenir compte de l’éventuelle peine privative de liberté avec sursis ou de la libération conditionnelle à révoquer. L’absence de prise en compte de la peine pécuniaire ne s’explique pas seulement du fait qu’elle n’a pas de caractère directement privatif de liberté (unmittelbar freiheitsentziehenden), mais aussi parce que le législateur a sciemment calqué la limite de 2 ans de cette disposition sur l’art. 42 al. 1 CP. Il s’ensuit que la compétence du juge unique est orientée sur la peine privative de liberté immédiate pouvant abstraitement être prononcée avec sursis. Cela a pour conséquence qu’il ne peut pas prononcer une peine qui, dans l’abstrait, a toujours et obligatoirement un effet privatif de liberté ; tel est le cas des peines supérieures à 2 ans et des mesures privatives de liberté. La compétence du juge unique est donc établie s’il peut, in abstracto, ordonner une peine avec sursis même si cela n’est pas possible dans le cas concret (c. 2.6).
Au vu de ce qui précède, l’autorité inférieure n’a pas violé le droit fédéral en considérant que le juge unique avait la compétence matérielle de prononcer une peine pécuniaire de 100 jours-amende en plus de la peine privative de liberté de 23 mois. Le recours doit donc être rejeté (c. 2.6).
Enfin, le recourant fait également valoir que le juge unique ne serait pas compétent pour prononcer une expulsion d’une durée de 6 ans. Le texte de l’art. 19 al. 2 let. b CPP est clair et la compétence du juge unique s’étend aussi au prononcé des mesures, à l’exception de l’internement (art. 64) et de la mesure thérapeutique institutionnelle (art. 59 CP). Par conséquent, cela comprend aussi l’expulsion dès lors qu’elle ne s’analyse pas au premier plan comme une peine (Straf-), mais comme une mesure de sûreté (sichernde Massnahme) même si elle est comparable, du point de vue de son intensité, à une peine privative de liberté d’un an. À cela s’ajoute que le législateur a uniquement adapté les art. 130 let. b, 220 al. 2 et 352 al. 2 CPP lors de la mise en œuvre de l’initiative sur le renvoi des étrangers criminels. Comme l’art. 19 al. 2 let. b CPP n’a pas été modifié dans ce contexte, cela signifie qu’il est donc conforme à la volonté du législateur que le juge unique puisse également prononcer une expulsion (c. 2.7).
Partant, le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable (c. 3).