Extradition à la Russie : nouvelle teneur des garanties internationales

Le risque de traitements inhumains et dégradants peut être pallié par la fourniture de garanties internationales par l’État requérant préalablement à l’extradition. L’évolution de la situation des droits humains en Russie, en particulier à la suite de réformes législatives déclarant l’ordre constitutionnel russe supérieur aux décisions internationales, impose une reconsidération de la fiabilité des garanties fournies par cet État. Dans le cadre de cet examen, une attention particulière est portée à la situation concrète de la personne requise, l’intérêt de la Russie à se conformer à ses obligations vis-à-vis de la Suisse et la possibilité de mesures complémentaires permettant d’assurer un suivi concret de la mise en œuvre des garanties fournies.

L’affaire en question prend sa source dans une demande d’extradition de A présentée à la Suisse par la Russie en 2016 en vue d’une poursuite pénale pour fraude à grande échelle et blanchiment d’argent. Point suffisamment rare pour mériter d’être mentionné : alors même que la détention extraditionnelle est la règle, appliquée quasiment sans exception, pendant toute la durée de la procédure, A a été libéré en 2018 moyennant le dépôt de ses documents d’identité et le versement d’une caution de CHF 2’000’000.-.

Après plusieurs échanges entre l’OFJ et l’État requérant, les garanties internationales requises portant sur le respect des droits fondamentaux ont été fournies et l’extradition a été accordée en 2019. La décision a été contestée devant le TPF (arrêt RR.2020.4 du 11.8.2020), qui a enjoint à l’OFJ d’obtenir des garanties complémentaires, correspondant à celles généralement requises de la Russie. Appelé à s’exprimer, le TF (arrêt 1C_444/2020 du 23.12.2020) a considéré que la situation en Russie s’était dégradée durant les dernières années et renvoyé la cause au TPF pour qu’il détermine si les garanties données étaient encore adéquates pour prévenir les risques de torture, de peines ou traitements cruels inhumains ou dégradants.

Le TPF est ainsi amené, d’une part, à expliquer pourquoi les garanties sont suffisantes encore aujourd’hui pour prévenir les risques de traitements inhumains et dégradants en Russie et, d’autre part, à se déterminer sur les critiques existant contre le système russe et la raison pour laquelle elles peuvent être écartées dans le cas d’espèce. Pour ce faire, le TPF prend en considération quatre critères (c. 4) :

  1. la situation du recourant ;
  2. l’issue de la procédure d’asile engagée en parallèle ;
  3. l’éventuel intérêt de l’État requérant à se conformer à ses obligations vis-à-vis de la Suisse malgré l’orientation prise ces dernières années par diverses révisions législatives concernant le respect des arrêts rendus par la CourEDH ; et
  4. l’examen de la possibilité de mesures complémentaires afin d’assurer un suivi concret si l’extradition devait être accordée.

Renvoi est fait à l’appréciation de la CourEDH relative aux assurances diplomatiques, d’après laquelle ces dernières ne constituent pas en elles-mêmes une protection satisfaisante contre le risque de mauvais traitements : il y a lieu de vérifier que leur application pratique garantit de manière suffisante que l’intéressé sera protégé contre ce risque. Pour la première fois, le TPF analyse en détails onze facteurs développés en 2012 déjà par la CourEDH (arrêt Othman [Abu Qatada] c. Royaume-Uni du 17.1.2012, § 189). Parmi ceux-ci, nous relevons en particulier la durée et la force des relations bilatérales entre les deux États, la possibilité de vérifier objectivement le respect des assurances, notamment par des mécanismes diplomatiques et l’examen par les juridictions internes des deux États de la fiabilité des assurances.

Après une analyse approfondie, le TPF constate que les facteurs sont tous remplis (c. 5.1). D’autre part, il est relevé que l’extradable n’est pas une personne politiquement exposée en Russie, sa situation n’étant en rien assimilable à celle, par exemple, d’Alexeï Navalny, et que sa demande d’asile en Suisse a été rejetée, ce dont il faut déduire que sa situation personnelle ne suscite pas de crainte particulière en Russie. Pour ce qui est de l’intérêt de l’État requérant à se conformer à ses obligations vis-à-vis de la Suisse, le TPF renvoie au principe de la bonne foi, tout en précisant que la Russie s’est montrée particulièrement collaborative dans le cas d’espèce et a un intérêt à poursuivre sa collaboration avec nos autorités dans le futur.

S’agissant des critiques émises par la doctrine et certaines ONG à propos de la pratique des garanties, un système de monitoring permettant aux extradés de dénoncer d’éventuelles violations des garanties à la représentation diplomatique suisse dans l’État requérant a été mis en place. D’après le TPF, le mécanisme a d’ores et déjà fait ses preuves et constitue ainsi un moyen suffisant pour vérifier le respect des assurances données. 

Le TPF complète toutefois la liste des garanties qui doivent être obtenues de la part de la Russie en ajoutant que le lieu précis de détention de A devra être « indiqué par les autorités russes avant l’extradition de celui-ci, et se situer à tout le moins à l’ouest de l’Oural ».

L’arrêt du TPF appelle les remarques suivantes. En substance, la question qui s’est posée est celle de savoir si la Russie doit être maintenue dans le deuxième cercle d’États, soit ceux auxquels la Suisse accorde l’extradition moyennant la fourniture préalable de garanties internationales permettant de pallier le risque de violations des droits fondamentaux (Antonin Charrière, Extradition et garanties diplomatiques : examen de la pratique suisse, en particulier lorsque l’extradable a été jugé par défaut dans l’État requérant, PJA 2016, 879 ss ; Maria Ludwiczak Glassey, Extradition vers les États « à tradition démocratique », quo vadis ?, Jusletter du 30.11.2020 ; Stefan Wehrenberg/Irene Bernhard, Auslieferung trotz kritischer Menschenrechtslage – Einhaltung von Menschenrechten durch diplomatische Garantien ?, Jusletter du 21.4.2008) ou si cet État doit être reclassé dans le troisième cercle, soit ceux auxquels l’extradition n’est pas accordée. Or, comme le relève l’OFJ, procéder à un tel reclassement reviendrait à se défaire de l’obligation contractée dans la Convention européenne d’extradition, à laquelle la Suisse et la Russie sont parties. Une telle issue nous semble problématique, à moins qu’il ne s’agisse d’un reclassement passager, lié à une situation particulière, comme cela avait été le cas s’agissant de la Turquie entre 2016 et 2019 (ATF 133 IV 76, c. 4 ; arrêt TPF RR.2019.120 du 21.8.2019, c. 4.3) après la tentative de coup d’État. S’agissant de la restriction quant au lieu de détention, elle fait partie des garanties requises en général des États connaissant une situation de conflit interne, telle l’Ukraine pour laquelle la détention doit avoir lieu au maximum à 200 kilomètres à l’est de Kiev (arrêt TPF RR.2014.283 du 26.1.2015). Concernant la Russie, le lieu de détention devra se situer « à l’Ouest de l’Oural », sans qu’il n’y ait de véritable explication à cela, à part que le TPF semble reprendre la position de l’OFJ d’après lequel cela « faciliterait les contrôles ; dans ce cadre, la représentation diplomatique suisse sur place pourrait aussi déléguer la tâche de visiter l’intéressé au cours de la procédure pénale russe à une personne tierce spécialement mandatée à cet effet, comme par exemple un avocat de confiance » (c. 4.5.3). L’on peut se demander si une telle délégation n’amoindrirait pas la nécessaire indépendance du monitoring.

Proposition de citation : Maria Ludwiczak Glassey/Francesca Bonzanigo, Extradition à la Russie : nouvelle teneur des garanties internationales, in : https://www.crimen.ch/18/ du 15 juillet 2021