I. En fait
Le 18 mai 2021, le Tribunal de police de l’arrondissement de la Sarine acquitte A du chef de prévention de dommages à la propriété. En effet, il a retenu que l’enregistrement du 6 février 2020 de la caméra de vidéosurveillance d’un magasin était illicite au sens de la LPD et donc inexploitable. Partant, en l’absence de cet élément de preuve, rien au dossier ne permettait de retenir que A avait participé entre le 5 et le 6 février 2020 à la commission de 26 cas de dommages à la propriété qui consistaient à placarder des affiches signées « Extinction Rebellion » et qui appelaient à participer à une perturbation d’entreprises privées. Le Ministère public a formé appel contre ce jugement.
Par arrêt du 27 avril 2022, la Cour d’appel pénal du Tribunal cantonal fribourgeois admet partiellement l’appel du Ministère public. Elle acquitte ainsi A du chef de prévention de dommages à la propriété pour 16 des 26 cas de dommages à la propriété mais l’a reconnu coupable pour les 9 cas restants et l’a condamné à une peine pécuniaire de dix jours-amende à CHF 30.- le jour avec sursis pendant deux ans ainsi qu’à une amende de CHF 100.-.
A forme recours en matière pénale devant le Tribunal fédéral (TF).
II. En droit
Le recourant conteste l’exploitabilité de l’enregistrement du 6 février 2020 de la caméra de vidéosurveillance puisque ce dernier n’est pas conforme à la LPD selon lui (c. 1.1).
Le TF rappelle tout d’abord que l’art. 141 CPP règle la question de l’exploitation des moyens de preuve obtenus illégalement. Au sens de l’art. 141 al. 2 CPP, les preuves qui ont été administrées d’une manière illicite ou en violation de règles de validité par les autorités pénales ne sont pas exploitables, à moins que leur exploitation soit indispensable pour élucider des infractions graves. En outre, le CPP ne réglemente pas explicitement l’exploitabilité des preuves illicites recueillies par un particulier. Selon la jurisprudence constante du TF à cet égard, de telles preuves ne sont exploitables que si elles pouvaient être recueillies licitement par des autorités de poursuite pénale et qu’une pesée des intérêts plaide en faveur de leur utilisation dans la procédure (not. ATF 147 IV 16, c. 1.1) (c. 1.1).
Ensuite, le TF souligne que l’utilisation par des particuliers de caméras vidéo à des fins de protection des personnes ou de prévention d’actes de vandalisme tombe sous la LPD lorsque les images tournées montrent des individus qui peuvent être identifiés. Ainsi, le traitement de données doit être effectué conformément aux principes de la bonne foi et de la proportionnalité (art. 4 al. 2 LPD). La collecte de données personnelles et en particulier les finalités du traitement doivent être reconnaissables pour la personne concernée (art. 4 al. 4 LPD), sans quoi, la violation de ces principes constitue une atteinte à la personnalité (art. 12 al. 2 let. a LPD). Cette dernière est illicite s’il n’existe pas de motif justificatif, à savoir le consentement de la victime ou un intérêt prépondérant privé ou public (art. 13 al. 1 LPD) (c. 1.2).
En principe, les particuliers ne peuvent installer des systèmes de vidéosurveillance que pour surveiller les biens-fonds dont ils sont propriétaires. De ce fait, un système de vidéosurveillance privé filmant l’espace public sera généralement jugé disproportionné et donc illicite. En effet, la tâche d’assurer la sécurité et l’ordre publics relève de la compétence des autorités et non des particuliers. Cependant, et pour des raisons de praticabilité, le préposé fédéral à la protection des données a considéré que les particuliers peuvent étendre leur surveillance à une portion du domaine public lorsque celle-ci est petite et que la surveillance du terrain privé ne peut se faire autrement (c. 1.3 et 1.4).
En l’espèce, A fait valoir qu’il est impossible d’affirmer que la caméra qui se trouve à l’intérieur du magasin est visible par les piétons depuis l’extérieur. En effet, selon le recourant, l’angle de vue de la caméra est si vaste que toutes les personnes potentiellement filmées doivent savoir qu’elles le sont pour que son installation soit jugée licite. Les autocollants ne seraient en outre pas identifiables en raison de la distance comprise dans le champ de la caméra. Sur ce point, le TF relève qu’en l’absence dans le dossier de tout élément relatif à la grandeur des autocollants et au champ de la caméra, la Cour d’appel ne pouvait pas déterminer si les personnes pouvaient voir la caméra de surveillance avant qu’elles n’entrent dans son champ, et donc si, conformément à l’art. 4 al. 4 LPD, la collecte de données était reconnaissable. De ce fait, les faits nécessaires à l’application de la LPD n’ont pas été correctement constatés et l’arrêt attaqué viole le droit fédéral. Le recours est donc admis sur ce point et la cause renvoyée à l’instance inférieure pour qu’elle détermine si la signalisation était bien visible depuis l’extérieur pour toute personne qui pénétrait dans le champ de la caméra (c. 1.6.1).
Le recourant soutient également que les enregistrements de la caméra ne sont pas proportionnés (art. 4 al. 2 LPD). Le TF rappelle à ce sujet que pour que le principe de proportionnalité soit respecté, il faut que la mesure envisagée soit apte à produire les résultats escomptés (règle de l’aptitude), que le but visé ne puisse pas être atteint par une mesure moins incisive (règle de la nécessité), et enfin, que le principe de la proportionnalité au sens étroit soit respecté. La vidéosurveillance doit donc être pratiquée que si d’autres mesures moins attentatoires à la vie privée, comme un verrouillage supplémentaire, le renforcement des portes d’entrée ou un système d’alarme s’avèrent insuffisantes ou impraticables. Or, dans le cas d’espèce, l’arrêt de la Cour d’appel ne donne aucune information sur la valeur des marchandises vendues ou sur le commerçant du magasin dans lequel se trouvait la caméra. Il n’est donc pas possible de fonder une pesée des intérêts en présence sans ces informations. Par ailleurs, le TF relève que la Cour cantonale n’a pas analysé si d’autres mesures de protection moins incisives, telles qu’un système d’alarme ou une porte renforcée, auraient été éventuellement envisageables. Au vu de ce qui précède, le TF estime que l’arrêt attaqué est insuffisant en raison de son état de fait lacunaire et de l’absence de motivation (c. 1.6.2).
Partant, le TF admet le recours de A et renvoie la cause à la Cour cantonale pour nouvelle instruction et nouveau jugement (c. 2).