I. En fait
Le 13 novembre 2020, les Commissions de gestion du Conseil national et du Conseil des États déposent plainte pénale contre inconnu devant le Ministère public de la Confédération (MPC) pour violation du secret de fonction en relation avec la diffusion d’un projet de rapport confidentiel sur l’affaire Crypto AG. Au cours de l’enquête impliquant l’alors chef de la communication du Département fédéral de l’Intérieur (DFI), Peter Lauener, la copie de ses boîtes e-mails professionnelles et privées est versée au dossier. Des découvertes fortuites révèlent des soupçons selon lesquels le prénommé transmettrait des informations confidentielles sur la gestion de la pandémie Covid-19 par le Conseil fédéral, avant leur annonce officielle, au CEO de Ringier AG Marc Walder. L’instruction est alors étendue aux Corona leaks.
Le 17 mai 2022, des perquisitions sont menées aux domiciles et lieux de travail de Peter Lauener et Marc Walder, ainsi qu’au siège de Ringier AG, aboutissant à la saisie de plusieurs appareils électroniques et supports de données, dont des téléphones, ordinateurs et clés USB, immédiatement placés sous scellés à la demande des intéressés. Le 31 mai 2022, le MPC demande au Tribunal des mesures de contrainte du canton de Berne la levée des scellés sur les appareils et données saisis, en particulier les communications entre Marc Walder et Alain Berset, alors Conseiller fédéral et chef du DFI, ainsi que d’autres fonctionnaires de son département.
Le 29 mars 2023, l’instruction concernant Peter Lauener et d’autres personnes en relation avec l’affaire Crypto AG est classée. En décembre de la même année, le MPC réitère sa demande de levée des scellés en la reformulant.
Par jugement du 31 mai 2024, le Tribunal des mesures de contrainte rejette la demande du MPC de levée des scellés.
Le MPC forme un recours en matière pénale devant le Tribunal fédéral.
II. En droit
Le Tribunal fédéral commence par exposer les motivations du MPC qui voit dans les agissements de Peter Lauener non seulement une violation du secret de fonction, mais aussi la poursuite de l’objectif plus large de faire pression sur le collège gouvernemental par la voie des médias, afin d’influencer ses décisions (c. 2.1 1er par.). Il dresse ensuite un état des lieux normatif et jurisprudentiel de la protection des sources des professionnels des médias en droit suisse (c. 3).
La matière est régie par les art. 264 al. 1 let. c cum 172 CPP. Le premier consacre des restrictions au séquestre en précisant en particulier que ne peuvent être séquestré les objets et les documents concernant des contacts entre le prévenu et une personne qui a le droit de refuser de témoigner en vertu des art. 170 à 173 CPP si cette personne n’a pas le statut de prévenu dans la même affaire. Le second réglemente spécifiquement la protection des sources des professionnels des médias. L’art. 172 al. 1 CPP prévoit que les personnes qui, à titre professionnel, participent à la publication d’informations dans la partie rédactionnelle d’un média à caractère périodique et leurs auxiliaires peuvent refuser de témoigner sur l’identité de l’auteur ainsi que sur le contenu et la source de leurs informations (al. 1). L’art. 172 al. 2 CPP dispose que ces personnes doivent en revanche témoigner lorsque cela est nécessaire pour porter secours à une personne dont l’intégrité physique ou la vie est directement menacée (al. 2 let. a) ou pour élucider une des infractions prévues dans le catalogue légal (let. b) (c. 3.1).
Sur le plan des droits fondamentaux, la Constitution fédérale garantit le secret de la rédaction au titre de la liberté des médias (art. 17 al. 3 Cst.) et l’art. 10 § 1 CEDH confère une protection équivalente aux sources journalistiques (ATF 143 IV 214). Ces garanties assurent le flux d’informations nécessaire au débat démocratique. L’absence d’une telle protection compliquerait l’accès des professionnels des médias aux informations requises pour l’exercice de leur « Wächterfunktion » (« fonction de garde-fou ») indispensable dans une société démocratique. Les médias doivent en effet pouvoir révéler librement les dysfonctionnements de l’État et de la société. Si un informateur peut être certain que son identité sera confidentielle, il sera alors plus enclin à transmettre des informations aux médias que s’il doit s’attendre à une divulgation de son identité, ce qui pourrait entraîner des conséquences négatives sur les plans juridique, professionnel et social (c. 3.2).
Dans la procédure pénale, la protection des sources pour les professionnels des médias et ses limites sont définies et concrétisées aux art. 28a CP et 172 CPP. Revenant sur l’historique du premier, les Juges fédéraux relèvent que le Conseil fédéral voulait initialement laisser le soin aux autorités judiciaires de fixer ces limites au cas par cas dans le cadre d’une pesée des intérêts (FF 1996 IV 533, 562 ss). Le législateur a cependant privilégié une solution garantissant une sécurité du droit accrue avec l’art. 27bis aCP devenu aujourd’hui l’art. 28a CP. Selon ce dernier, le droit des médias de refuser de témoigner prime en principe l’intérêt à la poursuite pénale, sauf si un crime expressément mentionné dans une liste d’infractions ne peut être élucidé sans le témoignage d’un de ses professionnels (c. 3.3.1 1er par.).
Dans ce contexte, un catalogue d’exceptions peut créer une sécurité juridique et le Tribunal fédéral souligne que les professionnels des médias doivent en effet pouvoir garantir à leurs sources une discrétion absolue avant la publication. Cela n’est naturellement pas possible si la protection contre la divulgation de l’identité d’un informateur dépend de l’issue incertaine d’une pesée des intérêts par une autorité judiciaire (c. 3.3.1 2e par.).
Dès lors que l’élucidation des crimes graves revêt incontestablement une importance essentielle dans un État de droit, la protection des sources ne peut pas toujours prévaloir. Ainsi, l’art. 28a al. 2 CPP prévoit des exceptions avec une liste d’infractions identiques à celle de l’art. 172 al. 2 CPP qui permettent de restreindre le secret de rédaction après un examen au cas par cas de la proportionnalité (c. 3.3.1 2e par.). L’art. 172 al. 2 CPP constitue une base légale suffisante au sens de l’art. 36 al. 1 Cst. pour restreindre la protection des sources. En outre, la liste des infractions est limitative. La protection des sources assurée aux professionnels des médias est donc absolue, en ce sens qu’aucune pesée des intérêts ne doit être opérée lorsque l’infraction à élucider ne figure pas dans le catalogue de cette disposition (c. 3.3.1 3e par.).
Considérants 3.3.2 à 3.3.4
Le Tribunal fédéral précise que la notion de « publication d’informations » au sens de l’art. 28a CP (respectivement de l’art. 172 CPP) doit être interprétée largement en raison de l’importance de la liberté des médias et du secret de rédaction dans une société démocratique. À cet effet, les informations ne se limitent pas aux messages dits sérieux ; la transmission d’informations anodines ou sans importance peut également en faire partie, car leur exactitude et leur sérieux ne sont pas déterminants. De même, il importe peu que l’information soit d’intérêt général et public. Cette approche est confirmée par la structure de l’art. 28a al. 2 CP (respectivement de l’art. 172 al. 2 CPP), car la levée de la protection des sources est restreinte aux infractions graves. Il est donc cohérent que prévale une conception large de l’information en matière de protection des sources, ce qui contribue également à la sécurité du droit. Le fait qu’un média puisse invoquer la protection des sources en vertu de l’art. 28a al. 1 CP (respectivement de l’art. 172 al. 1 CPP) n’implique pas qu’il doive effectivement en faire usage. Il est libre de révéler les informations obtenues auprès d’un informateur et, dans cette mesure, de renoncer au secret de rédaction. Enfin, une interprétation large de la notion d’information ne favorise pas l’abus de droit selon les Juges de Mon Repos. L’informateur peut certes cibler une personne spécifique, mais il ne peut tirer une protection directe du secret de rédaction et n’a donc aucune garantie que le média invoquera effectivement la protection des sources (c. 3.3.2).
La protection des informateurs et des sources a pour objectif de garantir que les professionnels des médias puissent taire l’origine de leurs informations et ne puissent être contraints de les révéler par des sanctions ou des mesures de contrainte. Elle préserve ainsi également la relation de confiance entre les professionnels des médias et leurs informateurs. Si l’anonymat n’est pas suffisamment protégé, cela pourrait dissuader d’éventuels informateurs de coopérer avec les médias. Les journalistes doivent pouvoir compter sur la confidentialité de leurs échanges avec leurs sources (c. 3.3.3).
Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, étant donné l’importance de la protection des sources journalistiques pour la liberté de la presse dans une société démocratique, ainsi que l’effet potentiellement dissuasif que la divulgation de sources peut avoir sur cette liberté, une atteinte à la protection des sources au sens de l’art. 10 § 1 CEDH n’est admissible que si elle est justifiée par un intérêt public prépondérant. La CourEDH souligne que le comportement de la source ne peut à lui seul être déterminant pour ordonner une divulgation, mais constitue uniquement – bien que de manière importante – l’un des nombreux facteurs à prendre en compte dans l’évaluation d’un équilibre équitable des intérêts au sens de l’art. 10 § 2 CEDH (c. 3.3.4).
Ensuite, le Tribunal fédéral s’attache aux cercles des bénéficiaires de la protection des sources. Il relève que les personnes concernées dans la publication d’informations au sens des art. 28a CP et 172 al. 1 CPP ne se limitent pas aux journalistes au sens strict, soit les rédacteurs et les reporters (y compris les photographes). En effet, restreindre la protection aux seuls journalistes ne tiendrait pas compte des réalités du monde des médias et la protection des sources pourrait facilement être contournée en interrogeant d’autres personnes impliquées dans la production médiatique. Dans le domaine des médias écrits ou imprimés, outre les rédacteurs, les typographes, les maquettistes et les imprimeurs exercent des fonctions spécifiques et autonomes. Toutefois, la qualification de « befasste Person » (« personne concernée ») n’est pas décisive, dès lors que les auxiliaires sont également couverts par le champ d’application de la norme1. Parmi ces auxiliaires, figurent généralement le personnel du secrétariat et de la correction, mais également cela englobe des personnes exerçant d’autres fonctions contribuant de manière indirecte à la publication d’informations. Est ainsi protégée toute personne participant à la préparation, à la production et à la diffusion de produits médiatiques, dans la mesure où son activité lui permet de prendre connaissance d’éléments couverts par le secret de rédaction. Le secret de rédaction couvre ainsi également les éditeurs, les membres de la direction et les propriétaires d’une entreprise de médias (c. 3.4).
Enfin, les Juges fédéraux soulignent que le lieu où se trouvent les objets et documents couverts par la protection des sources au sens de l’art. 172 CPP est sans importance conformément au texte clair de l’art. 264 al. 1 CPP (« quels que soient l’endroit »). L’interdiction du séquestre ne concerne donc pas uniquement les objets et documents se trouvant chez un journaliste, mais également ceux en possession du prévenu ou de tiers. Le terme « Verkehr » (« contact ») figurant à l’art. 264 al. 1 let. c CPP (ainsi qu’aux let. a et d) renforce cette interprétation. Il indique en effet que l’interdiction ne se limite pas aux objets et documents envoyés par le prévenu au journaliste, mais s’étend également à ceux envoyés par le journaliste au prévenu et qui se trouvent ainsi en sa possession. Si l’informateur devait s’attendre à ce que le contenu de ses communications avec les journalistes puisse être saisi, il serait contraint d’effacer immédiatement ses e-mails. Même dans ce cas, il devrait craindre que les autorités de poursuite pénale ne puissent éventuellement les restaurer. La simple perspective que ses échanges avec un journaliste puissent être séquestrés risquerait donc de le dissuader de transmettre une information. De plus, l’informateur ne peut jamais être totalement certain que le journaliste ne transmettra pas à un tiers des documents permettant d’identifier la source de l’information. Si l’informateur devait s’attendre à ce que ces documents puissent être saisis auprès de ce tiers, cela pourrait tout autant l’empêcher de transmettre l’information au journaliste, ce qui porterait atteinte au rôle de garde-fou des médias (c. 3.5).
Abordant à présent la résolution du cas d’espèce, le Tribunal fédéral indique d’emblée que les griefs soulevés par le MPC ne sont pas convaincants (c. 4).
Premièrement, notre Haute Cour revient sur la question de savoir si Marc Walder et Ringier AG bénéficient du droit de refuser de témoigner selon l’art. 172 CPP (c. 4.1). À cet égard, les Juges fédéraux relèvent que les personnes concernées par l’art. 172 CPP ne sont pas uniquement les journalistes au sens propre du terme, mais toutes celles participant de quelque manière que ce soit, ce même indirectement, à la production médiatique. La notion d’« auxiliaire » doit ainsi être interprétée largement et il importe peu qu’un auxiliaire n’ait qu’une fonction subalterne ou qu’il s’agisse d’un professionnel des médias au sens strict. C’est bien plutôt la participation à la production, à la publication ou à la diffusion d’informations qui compte dans ce contexte. Autrement dit, la position hiérarchique est sans importance. Les employés du secrétariat occupant un poste subalterne peuvent être considérés comme des auxiliaires au même titre que les membres de la direction ou les éditeurs occupant une fonction élevée. Comme l’a retenu l’instance inférieure, les cadres dirigeants qui ne participent pas directement à un reportage, mais contribuent de manière générale (à titre de soutien) à la publication d’un produit médiatique, peuvent également être qualifiés d’auxiliaires (c. 4.1.1 1er par.).
Tel est précisément le cas de Marc Walder en l’occurrence. Le fait qu’il puisse se prévaloir de la protection des sources des professionnels des médias en tant que CEO de Ringier AG doit d’autant plus s’imposer que Peter Lauener lui a directement transmis des informations en tant que représentant de l’entreprise des médias et qu’il aurait ensuite transmis les informations aux journalistes travaillant pour Ringier AG. De même, Ringier AG doit pouvoir invoquer la protection des sources des professionnels des médias, car en tant qu’entreprise des médias elle garantit que ses journalistes puissent en fin de compte publier les informations (c. 4.1.1 1er par.).
Deuxièmement, le Tribunal fédéral examine la question de savoir si le recours à la protection des sources des professionnels des médias est abusif dès lors qu’il ne se serait pas agi ici de révéler des irrégularités selon le MPC, mais d’instrumentaliser les médias pour influencer ou entraver le fonctionnement du Conseil fédéral. Pour ce faire, notre Haute Cour rappelle tout d’abord que la jurisprudence a déjà reconnu le droit de refuser de témoigner au nom de la protection des sources à un journaliste ayant publié des extraits de documents faisant état de divergences entre Conseillers fédéraux ou leurs départements respectifs concernant des propositions soumises à l’ensemble du collège gouvernemental (ATF 123 IV 236, c. 7). Elle poursuit en soulignant une nouvelle fois que le mobile de l’informateur et son potentiel comportement « trompeur » ne sont pas déterminants pour déroger à la protection des sources et la lever (cf. 3.3.4). Le législateur accorde en principe plus de poids à la relation de confiance – générale – entre un informateur et un professionnel des médias qu’au besoin de la procédure pénale d’établir les faits. Les professionnels des médias ne sont tenus de témoigner et ainsi divulguer leur source que si les exigences légales et constitutionnelles sont réunies (c. 4.1.2 1er par.).
Dès lors que la violation du secret de fonction ne figure pas au titre des exceptions visées par l’art. 172 al. 2 CPP, la protection des sources des professionnels des médias existe sans restriction aucune dans les procédures relatives à l’art. 320 CP. Dans ce contexte, il n’y a « grundsätzlich » (« en principe ») pas de place pour un abus de droit, à défaut de quoi l’informateur courrait toujours le risque de voir les objectifs qu’il poursuit non protégés sous cet angle et donc d’être dépourvu de la protection des sources dont il bénéficie (c. 4.1.2 1er par.). Il en irait d’ailleurs ainsi même si la transmission d’informations par Peter Lauener à Marc Walder n’avait pas toujours eu pour but (principal) de faire passer ces informations dans les médias (c. 4.1.2 2e par.).
Le Tribunal fédéral en vient enfin aux scellés se rapportant à Peter Lauener, dès lors que la recourante fait grief à l’autorité inférieure d’avoir examiné la protection des sources (c. 4.2). Il constate que les contacts entre un prévenu et des professionnels des médias qui ne sont pas eux-mêmes poursuivis sont en principe protégés par le secret des sources des professionnels des médias prévu par l’art. 172 CPP. De tels contacts (échange de communications et de données avec des professionnels des médias) peuvent aussi être soumis au secret de rédaction même s’ils sont conservés sur des appareils appartenant au prévenu. L’interdiction du séquestre en découlant s’étend ainsi à tous les documents faisant référence à l’auteur, au contenu ou à la source d’une information (cf. concernant la correspondance entre un prévenu et son défenseur TF 6B_158/2023, c. 4.1 résumé in : crimen.ch/291/ ; contra : SK StPO3–Heimgartner, Art. 264 N 16e, lequel entend limiter la protection des sources à la sphère des médias). Ainsi, les appareils saisis chez Peter Lauener contenant des données en relation avec des professionnels des médias bénéficiant du droit de refuser de témoigner ne peuvent pas être séquestrés (c. 4.2.4 2e par.).
Compte tenu de ce qui précède, c’est à juste titre que l’autorité inférieure a refusé de lever les scellés. Partant, le recours est rejeté (c. 5).
III. Commentaire
En tant qu’il renforce la protection des sources et avec elle la liberté des médias, cet arrêt doit être approuvé dans son principe et son résultat, étant rappelé que la presse a un rôle fondamental en tant que quatrième pouvoir de l’État de droit démocratique.
Sur le fond, notre Haute Cour retient à juste titre que la question de savoir si un informateur poursuit un objectif louable ou opportun ne doit jouer aucun rôle dans l’appréciation du droit de refuser de témoigner d’un professionnel des médias (art. 172 al. 1 CPP) et dans la possibilité pour l’autorité de poursuite de faire lever des scellés (art. 264 al. 1 let. c CPP). Retenir la nécessité de prendre en considération les mobiles d’un informateur reviendrait à affaiblir la protection des sources en introduisant un élément subjectif dans l’appréciation qui serait non seulement difficilement démontrable, mais ouvrirait surtout la porte à des interprétations divergentes (dans le même sens : Saxer, in : SRF. Corona-Indiskretionen werden wohl nie aufgeklärt, 14.2.2025). Or l’essence même de la protection des sources repose sur la certitude que toute personne en possession d’une information peut s’adresser à un professionnel des médias sans craindre de représailles ultérieures de par la relation de confiance tissée avec le professionnel en question. En cela, cet arrêt constitue une contribution bienvenue à la sécurité du droit, en consolidant le cadre légal de façon prévisible pour les professionnels des médias et leurs sources et participe au renforcement de la presse et à son rôle démocratique.
Cela étant dit, soulignons que l’argumentation du MPC n’était pas dénuée de pertinence. En suggérant que la protection des sources pourrait être écartée lorsque l’informateur instrumentalise la presse non pour révéler des dysfonctionnements, mais pour influencer directement les décisions dans un État de droit, le MPC pose une question sensible : jusqu’où la protection des sources doit-elle aller lorsqu’un informateur ou même un journaliste ou un média devient un acteur politique à part entière susceptible de servir des intérêts particuliers au détriment du processus démocratique ?
Si le Tribunal fédéral a tranché en faveur d’une approche stricte et prévisible, son arrêt n’épuise pas la réflexion. On peut se demander si, dans des situations extraordinaires (par exemple lorsqu’un média collabore activement avec un informateur d’un État étranger au renversement du gouvernement), la protection des sources pourrait être invoquée de manière abusive. La question revêt une importance singulière à l’heure où l’information est au cœur des débats avec la prolifération des fake news et des stratégies de désinformation à grande échelle (cf. Lubishtani/Flattet, La démocratie directe face à la manipulation de l’information par des particuliers, in : PJA 2019/7, 710 ss), conduisant même récemment à l’annulation en Roumanie du premier tour de l’élection présidentielle (Décision 32, Cour constitutionnelle de Roumanie, 6.12.2024, cf. pour un résumé : Selejan-Gutan, The Second Round that Wasn’t. Why The Romanian Constitutional Court Annulled the Presidential Elections, in : Verfassungsblog, 7.12.2024).
Dans ce contexte, le Tribunal fédéral ne semble pas nécessairement fermer la porte à un abus de droit en ayant recours à la locution « en principe » (« grundsätzlich ») (c. 4.1.2 1er par.), quand bien même celle-ci pourrait signifier l’exact contraire. Cela étant dit, un abus de droit ne pourrait entrer en jeu qu’en présence de circonstances exceptionnelles avec un seuil extrêmement élevé. Tel pourrait peut-être être le cas lorsque s’appliquerait l’art. 17 CEDH disposant qu’« aucune des dispositions de la présente Convention ne peut être interprétée comme impliquant pour un État, un groupement ou un individu, un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la présente Convention ou à des limitations plus amples de ces droits et libertés que celles prévues à ladite Convention ». Précisons néanmoins que les contours de cette disposition ne correspondent pas à ceux de l’art. 275 CP se rapportant aux « atteintes à l’ordre constitutionnel » dont semble aussi être prévenu Peter Lauener ici. C’est pourquoi son application ne signifierait pas automatiquement qu’il existe un abus de droit.
Pour conclure, c’est à juste titre également que le Tribunal fédéral réitère que les restrictions au séquestre prévues par l’art. 264 CPP sont indépendantes du lieu où se trouvent les documents ou objets. Le texte de la loi est non seulement clair, mais correspond de surcroît à la volonté du législateur comme la jurisprudence l’a déjà relevé après examen des travaux préparatoires de la disposition dans un arrêt impliquant un autre Conseiller fédéral (décidément), mais directement, à savoir Christophe Blocher (ATF 140 IV 108 = JdT 2015 IV 13, c. 6.3 ss). Par voie de conséquence, la lettre et l’esprit (art. 1 al. 1 CC) concordent. La proposition citée d’Heimgartner visant à limiter la protection à la sphère des médias compte tenu de la raison d’être de la protection des sources (critique également à ce sujet : BSK StPO3–Bommer/Goldschmid, Art. 264 N 5), laquelle fait du reste écho à celle des autorités zurichoises balayées dans l’ATF 140 IV 108 (JdT 2015 IV 13), ne peut qu’être qualifiée de contra legem en définitive.
- Le Tribunal fédéral n’indique pas à laquelle des normes précitées il est fait référence.↩︎