I. En fait
Le Ministère public du canton de Bâle-Ville a ouvert une procédure pénale à l’encontre de plusieurs protagonistes pour des faits de contrainte, d’émeute, de violation de domicile, de dommages à la propriété et d’entrave à l’action de la police suite au blocus d’un bâtiment bancaire à Bâle durant lequel des slogans ont été inscrits au charbon autour de l’immeuble, des caméras de surveillances masquées et les entrées dudit bâtiment bloquées. Ces actions se sont déroulées dans le cadre des « Climate Action Days ». Suite à l’arrestation provisoire des différents protagonistes – dont le recourant – ayant refusé de quitter les lieux après que la police leur en ait donné l’ordre, le ministère public a ordonné le prélèvement des empreintes digitales et d’échantillons ADN ainsi que l’établissement des profils ADN.
Le Tribunal d’appel du canton de Bâle-Ville a confirmé toutes les mesures de contrainte prononcées à l’encontre du recourant. Ce dernier porte l’affaire par-devant le Tribunal fédéral.
II. En droit
Le Tribunal fédéral commence par rappeler que le prélèvement d’un échantillon d’ADN et l’établissement d’un profil ADN sont autorisés non seulement dans le but d’élucider des infractions déjà commises et connues des autorités de poursuite pénale et pour lesquelles le prévenu est soupçonné, mais également lorsqu’il s’agit d’identifier l’auteur d’infractions passées ou futures, dont les autorités n’ont pas encore connaissance (art. 255 al. 1 let. a et 259 CPP en relation avec l’art. 1 al. 2 let. a Loi sur les profils ADN). Le Tribunal fédéral ajoute toutefois que l’art. 255 CPP n’autorise pas le prélèvement d’échantillons d’ADN ainsi que leur analyse de manière routinière ou systématique (ATF 145 IV 263, c. 3.4 et réf. citées). Il en est de même en ce qui concerne le prélèvement des données signalétiques (TF 1B_336/2019 du 3.12.2019, c. 3.3 ; ATF 141 IV 87, c. 1.3) (c. 2.1).
Le Tribunal fédéral rappelle ensuite sa jurisprudence de 2002 constatant que l’établissement d’un profil ADN ne constitue qu’une ingérence légère au droit à l’autodétermination en matière de données personnelles ancré à l’art. 13 al. 2 Cst. (ATF 128 II 259, c. 3.3). Toutefois et compte tenu du fait que les possibilités d’utilisation des analyses d’ADN se sont considérablement élargies depuis 2002, ainsi que des critiques exprimées par la doctrine en lien avec sa décision, notre Haute Cour considère qu’un examen approfondi est nécessaire. Il fait état en détail des opinions émises par la doctrine qui considère notamment que le prélèvement d’un échantillon d’ADN et son analyse constituent une ingérence grave au droit fondamental de la protection des données (c. 2.3, 2.3.1 et 2.3.2).
Il renonce cependant à prendre position puisque l’ingérence – qui pourrait éventuellement être qualifiée de grave dans le cas d’espèce (« allenfalls als schwer zu bezeichnende Eingriff ») – au droit à l’autodétermination en matière de données personnelles est prévue par une loi au sens formel. Toutefois, il considère que les critiques formulées par la doctrine doivent mener à un examen différencié des autres conditions permettant la restriction d’un droit fondamental, soit outre l’exigence d’une base légale (art. 36 al. 1 Cst.), la justification par un intérêt public (art. 36 al. 2 Cst.) et la proportionnalité au but visé (art. 36 al. 3 Cst.). L’art. 197 al. 1 CPP concrétise les conditions de l’art. 36 Cst. dans le contexte des mesures de contrainte. Ainsi, des mesures de contrainte ne peuvent être prises que si elles sont prévues par la loi (let. a), que des soupçons suffisants laissent présumer une infraction (let. b), que les buts poursuivis ne peuvent pas être atteints par des mesures moins sévères (let. c), qu’elles apparaissent justifiées au regard de la gravité de l’infraction (let. d) (c. 2.3.3).
Si notre Haute Cour admet l’aptitude de l’établissement d’un profil ADN à l’élucidation d’infractions passées ou futures lorsqu’il est possible de prélever des traces d’ADN ou des empreintes digitales à partir desquelles l’auteur de l’infraction pourrait être identifié, elle rappelle qu’il convient également de se poser la question de la proportionnalité qui exige que les mesures de contrainte ne soient pas seulement propres à atteindre un objectif d’intérêt public ou privé, mais également qu’elles soient nécessaires et qu’il existe une relation raisonnable entre la fin et les moyens (ATF 146 I 70, c. 6.4). Dans le cas où l’établissement d’un profil ADN a pour vocation l’élucidation d’infractions futures, ladite mesure de contrainte est proportionnée uniquement lorsqu’il existe des indices sérieux et concrets que le prévenu pourrait être impliqué dans d’autres infractions d’une certaine gravité (ATF 145 IV 263, c. 3.4) (c. 4.2).
Procédant à l’examen de la nécessité des mesures de contrainte à la sauvegarde de l’intérêt public à la répression et la prévention des infractions pénales d’une certaine gravité, le Tribunal fédéral relève que l’évaluation du seuil de gravité requis ne peut se fonder uniquement sur la peine menace de l’infraction. Il est également nécessaire de prendre en compte le bien juridique concerné et d’évaluer le contexte concret dans lequel les faits se sont déroulés. Dans le cas d’espèce, bien que l’infraction d’émeute (art. 260 CP) soit reprochée au recourant, rien n’indique que la police ait dû intervenir pour des faits de violence lors de la manifestation. Il est dès lors, d’après le Tribunal fédéral, difficile de soutenir que l’action de protestation ait constitué une menace sérieuse pour la sécurité et l’ordre public. Notre Haute Cour doute par conséquent que les infractions reprochées au recourant ou d’éventuelles infractions passées ou futures atteignent le degré de gravité requis (c. 4.3.1).
Si le Tribunal fédéral admet que le casier judiciaire du prévenu peut être pris en compte lorsqu’il s’agit de déterminer de l’éventuelle commission d’infractions futures, il relève toutefois que l’existence d’une condamnation antérieure ne suffit pas encore pour qualifier de nécessaire et proportionné l’établissement d’un profil ADN. L’existence d’une condamnation antérieure constitue l’un des critères – parmi d’autres – qui doit être pris en compte lors de l’appréciation globale des circonstances (ATF 145 IV 263, c. 3.4). En l’espèce le recourant a été condamné par le passé à une peine pécuniaire avec sursis suite à la participation à une manifestation non autorisée durant laquelle il n’a commis aucun acte de violence, ce qui ne constitue pas un indice suffisant justifiant le prononcé des mesures de contrainte contestées (c. 4.3.2).
Le Tribunal fédéral relève également que les mesures de contrainte prononcées ne sont, pour plusieurs motifs, pas proportionnées. En premier lieu, il souligne que la manifestation est protégée par les art. 22 et 16 Cst. puisqu’elle était pacifique et qu’elle s’est déroulée sans qu’il ne soit fait état d’acte de violence. Les dommages prétendument commis lors de la manifestation ne lui ôtent pas son caractère pacifique, mais doivent plutôt être considérés comme un effet secondaire négatif. Ainsi, l’action litigieuse ne peut être comparée à un rassemblement violent. S’il peut apparaître, dans certaines circonstances, comme nécessaire et proportionné d’ordonner des mesures de contrainte telles que celles qui sont contestées pour des manifestations violentes, tel n’est pas le cas lorsque les actions de protestation sont pacifiques (c. 4.4.1).
Le Tribunal fédéral souligne aussi que le prononcé des mesures de contrainte contestées peut avoir un effet dissuasif. Ledit effet, et par conséquent la crainte éprouvée par les manifestants de devoir faire face à des conséquences négatives, ne doit toutefois pas aboutir à ce que ces derniers soient empêchés de s’exprimer ou de participer à des actions pacifiques. Le Tribunal fédéral conclut ainsi que l’enregistrement systématique et l’intimidation des personnes politiquement actives qui usent de leurs droits à la liberté d’expression et de réunion n’est pas dans un rapport raisonnable avec les objectifs poursuivis par la création de profils ADN et la saisie des données signalétiques (c. 4.4.2).
Le Tribunal fédéral arrive donc à la conclusion que l’intérêt privé du recourant à la protection de son droit à l’autodétermination en matière de données personnelles est plus important que l’intérêt public à la répression et à la prévention des infractions pénales telles que celles en l’espèce concernées qui n’affectent que dans une faible mesure – voire aucunement – la sécurité publique. Les mesures de contrainte s’avérant ainsi disproportionnées au regard de l’ensemble des circonstances concrètes, le Tribunal fédéral admet le recours (c. 4.5).
III. Commentaire
Nous ne pouvons que saluer cette décision du Tribunal fédéral qui a le mérite de cadrer et restreindre les possibilités des autorités pénales de faire usage de mesures de contrainte telles que le prélèvement de données signalétiques ou d’un échantillon d’ADN ainsi que l’établissement d’un profil ADN. Lorsque la personne contre laquelle elles sont prononcées a participé à une manifestation pacifique durant laquelle il n’a été fait preuve d’aucun acte de violence, de telles mesures ne sont pas nécessaires à la sauvegarde de l’intérêt public à la recherche et la prévention d’infractions et doivent être qualifiées de disproportionnées d’autant plus quand il n’existe aucun indice sérieux et concret que cette personne aurait déjà commis d’autres infractions d’une certaine gravité ou qu’elle en commettra dans le futur. Ainsi, la mise en œuvre desdites mesures dans ces circonstances ne respecte pas les conditions des art. 36 Cst. et 197 CPP. Même si, dans le cas d’espèce, le Tribunal fédéral semble qualifier à demi-mot, les mesures de contrainte prononcées d’ingérence grave au droit à l’autodétermination en matière de données personnelles (« weitreichenden Eingriff »), nous regrettons toutefois qu’il n’ait pas saisi l’occasion de se positionner clairement sur sa jurisprudence de 2002 (ATF 128 II 259) critiquée de longue date par la doctrine (Sandra Charvet, Les conditions de mise en œuvre d’un prélèvement d’ADN lors d’enquêtes de grande envergure et recours contre cette décision [art. 256 CPP], Jusletter du 21.09.2015, N 30 et réf. citées ; Marco Fay, Commentaire de l’arrêt 1P.648/2001 du 29.5.2002, digma 2002, 146 s., 147). Précisons pour finir que les recours déposés par les autres protagonistes afin de s’opposer aux mêmes mesures de contrainte prononcées à leur encontre ont également été admis par le Tribunal fédéral (TF 1B_286/2020 du 22.4.2021 ; TF 1B_287/2020 du 22.4.2021).