Preuve d’envoi d’un acte en temps utile : une photo accompagnée de ses métadonnées ne suffit pas

Une photographie accompagnée de ses métadonnées, sur laquelle apparaissent l’enveloppe avec indication du destinataire du pli et la boîte postale en arrière-plan ne permet pas d’apporter la preuve d’expédition d’un acte de procédure en temps utile, à la différence d'une vidéo qui peut être apte à établir que le pli contenant le recours a bien été fermé et glissé dans la boîte postale à la date et à l'heure indiquées.

I. En fait 

Par jugement du 27 avril 2022, A est condamné à une peine privative de liberté par le Tribunal correctionnel de l’arrondissement de Lausanne pour actes d’ordre sexuel avec des enfants et contrainte sexuelle. 

A forme un recours contre cette décision auprès de la Cour d’appel pénale du Tribunal cantonal vaudois. Par jugement du 19 décembre 2022, notifié au recourant le 16 mars 2023, l’autorité d’appel rejette le recours de A. Ce dernier, représenté par son avocat, Me B, porte sa cause devant le Tribunal fédéral (TF) selon acte de recours daté du 1er mai 2023. Dans son acte de recours, A indique qu’une photographie attestant de la date du dépôt serait produite le lendemain, ce qu’il fait par courrier du 1er mai 2023, posté le 2 mai 2023 (sceau postal).  

II. En droit

Le présent arrêt porte sur la preuve de l’expédition d’un acte de procédure en temps utile. 

Après avoir rappelé que le recours contre une décision doit être déposé dans les 30 jours qui suivent la notification de l’acte (art. 100 al. 1 LTF et art. 44 al. 1 LTF), le TF reprend l’art. 48 al. 1 LTF selon lequel le délai est observé si le mémoire est remis à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse le dernier jour du délai. En pratique, l’expédition postale est donc la règle. Le TF précise d’ailleurs qu’il importe peu que ce soit à un guichet postal, dans une boîte aux lettres postale ou dans un automate « MyPost 24 » (ATF 142 V 389, c 2.2), tant que l’acte est remis le dernier jour du délai à minuit (ATF 147 IV 526, c. 3.1). Il incombe toutefois à la partie, respectivement à son avocat, d’apporter la preuve de la date d’expédition (ATF 147 IV 526, c. 3.1; 142 V 389, c. 2.2).

Le TF s’épanche ensuite sur sa jurisprudence en lien avec la preuve de l’expédition d’un acte de procédure en temps utile (ATF 147 IV 526). En principe, le sceau postal fait foi de la date d’expédition (présomption). En revanche, la date indiquée par une machine d’affranchissement privée ou le code-barres avec justificatif de distribution ne prouve pas la remise de l’envoi à la poste (TF 4A_466/2022 du 10.2.2023, c. 2).

La preuve d’envoi peut donc résulter des éléments suivants : 

  • le sceau postal,
  • le récépissé de l’envoi posté en recommandé,
  • l’accusé de réception obtenu au guichet postal, 
  • la quittance imprimée par l’automate MyPost 24.

Les juges fédéraux rappellent ensuite que l’avocat qui dépose son pli dans une boîte postale après la fermeture du guichet doit s’attendre à ce que le courrier soit enregistré à une date ultérieure. Dans ce cas et pour renverser la présomption d’un recours tardif qui résultera du sceau postal apposé, le recourant doit produire spontanément à l’autorité de recours et avant l’échéance du délai de recours, ses moyens de preuve, ou du moins il doit les désigner dans l’acte de recours, ses annexes ou sur l’enveloppe qui le contient (ATF 147 IV 526, c. 3.1).

Dans ce cas, la présomption peut être renversée par tous les moyens appropriés, tels que :

  • le témoignage d’une ou de plusieurs personnes (dont les noms et adresses doivent être inscrits sur l’enveloppe contenant le recours), 
  • une séquence audiovisuelle filmant le dépôt du pli dans la boîte postale (c. 1.1).

En l’espèce, le délai de 30 jours est arrivé à échéance le 1er mai 2023, compte tenu des féries judiciaires de Pâques (art. 46 al. 1 let. a LTF) et du fait que le dernier jour du délai tombait sur le dimanche 30 avril 2023 (art. 45 al. 1 LTF). 

L’enveloppe contenant le recours a été affranchie en courrier A par le biais d’une machine d’affranchissement privée, porte la date du 1er mai 2023 et a été reçue le 3 mai 2023 par le TF. L’indication  » déposé dans la boîte de la Poste suisse le 1er mai 2023 à 23:56 à U  » a été apposée sur le verso de l’enveloppe. Toutefois, celle-ci ne porte aucun sceau postal. Dans ces conditions et conformément à la jurisprudence précitée, il incombe au recourant d’apporter la preuve de la date et de l’heure d’envoi. A cet égard, le recourant, par Me B, a produit une photographie sur laquelle on voit le coin supérieur droit de l’enveloppe où il est indiqué le destinataire du pli, soit le Tribunal fédéral et, en arrière-plan, la boîte postale de La Poste Suisse. Le recourant a joint également les métadonnées de la photographie qui indiquent que celle-ci a été prise le 1er mai 2023 à 23h56. Pour le TF, ces éléments ne suffisent pas. Les juges fédéraux sont d’avis qu’à la différence d’une vidéo, les métadonnées d’une photographie ne permettent pas d’établir que l’enveloppe contenant le recours a bien été glissée dans la boîte postale à la date et à l’heure indiquées et que le pli était déjà fermé au moment de la prise du cliché. Le recourant n’a pas non plus apporté d’autres éléments probatoires comme des témoins.

Dans ces conditions, le recourant échoue à apporter la preuve stricte du respect du délai de recours. Le recours doit donc être déclaré irrecevable (c. 1.2).

Les frais judiciaires, en dérogation à la règle générale posée à l’art. 66 al. 1 LTF, sont mis à la charge de Me B, mandataire du recourant (c. 2), à hauteur de CHF 1200.- (ch. 3 du Dispositif). 

III. Commentaire

Le présent arrêt a le mérite de clarifier les règles strictes qui encadrent la preuve du respect du délai de recours. Si une photo, même accompagnée de ses métadonnées, ne suffit pas, une vidéo qui remplit certaines conditions (à savoir : la mention expresse dans l’acte de recours du moyen de preuve offert, la transmission spontanée de la vidéo par exemple sous la forme d’une clé USB et l’indication dans la séquence des éléments permettant d’établir le dépôt en temps utile, soit : date et heure du dépôt, identification du pli contenant le recours) est apte à apporter cette preuve. Le TF a par exemple jugé que le recourant qui se contente d’indiquer qu’un enregistrement vidéo est tenu à la disposition du TF n’est pas admissible (ATF 147 IV 526, c. 3.1 et c. 3.5). Il faut souligner aussi que dans un obiter dictum d’un arrêt du 30 juin 2020, le TF a élevé des doutes quant à la fiabilité d’un enregistrement vidéo (TF 4A_317/2019 du 30.6.2020, c. 1.2). Postérieurement à cet obiter dictum, les juges fédéraux ont finalement retenu que sous réserve d’indices permettant de soupçonner que l’enregistrement vidéo a été trafiqué, il ne se justifie pas de douter, sur le principe, de la force probante de la vidéo produite par un avocat (ATF 147 IV 526, c. 3.5). 

A lire les réflexions du TF, il nous paraît essentiel de rester prudent sur la production d’un enregistrement vidéo dans ce contexte. Notre Haute Cour n’a pas vocation à entreprendre des investigations complexes sur la problématique du respect des délais, qui exige des principes clairs et des solutions simples (TF 4A_317/2019 du 30.6.2020, c. 1.2). Il nous semble dès lors être également dans l’intérêt du praticien de s’en tenir à la production d’un moyen de preuve clair et simple lorsqu’il s’agit de renverser la présomption qui résulte du sceau postal.

Cela est d’autant plus vrai que même lorsque ces autres moyens de preuve sont admis, leur administration – qui ne sert qu’à renverser la présomption d’un envoi tardif – peut engendrer des frais judiciaires supplémentaires, tels que des frais d’audition de témoins ou de visionnage d’une vidéo, qui seront mis à la charge de la partie qui les cause voire à l’avocat qui a procédé de manière à fonder une présomption de tardiveté du recours (ATF 147 IV 526, c. 4; TF 6B_157/2020 du 7.2.2020, c. 2.5). 

Finalement, le présent arrêt paraît de prime abord sévère au regard de la confiance qui devrait être placée en l’avocat lorsque celui-ci mentionne expressément dans son acte de recours la preuve dont il se prévaut et qu’il adresse immédiatement cette preuve, à savoir une photo immortalisant son envoi, accompagnée des métadonnées. Toutefois, il faut tenir compte des risques qui pourraient découler d’un régime moins sévère relatif au degré de la preuve au regard de l’égalité de traitement de tous les justiciables quant au respect strict – lui aussi – des délais légaux. D’ailleurs la jurisprudence fédérale prévoit d’autres procédés, comme la preuve par des témoins, qui peuvent être en mesure d’attester du dépôt au moment indiqué (ATF 142 V 389, c. 2.2 ; ATF 124 V 372, c. 3b ; TF 6B_157/2020 du 7.2.2020, c. 2.3). Ce moyen ne présente pas les écueils techniques ou les éventuels soupçons de fraude d’une vidéo et peut être apporté de manière complète avant l’échéance du délai de recours, directement sur l’enveloppe postée à temps. Dans tous les cas, ces procédés doivent rester, dans la mesure du possible, exceptionnels, également compte tenu du risque financier qu’ils représentent pour l’avocat, même si le moyen de preuve est finalement admis.

Proposition de citation : Mona Rhouma, Preuve d’envoi d’un acte en temps utile : une photo accompagnée de ses métadonnées ne suffit pas, in : https://www.crimen.ch/209/ du 22 août 2023