I. En fait
Arrivé en Suisse en 2010, A est consommateur d’héroïne. Il fait l’objet d’une interdiction d’entrée sur le territoire suisse courant du 24 décembre 2015 au 15 avril 2020, ainsi que d’une interdiction de périmètre délimitée au centre-ville de Genève allant du 22 mars 2018 au 22 mars 2019. Cette dernière précise néanmoins que l’accès au local d’injection pour personnes toxico-dépendantes est « autorisé ». Par jugement du 4 mai 2018, son expulsion judiciaire est prononcée pour une durée de cinq ans.
Le 11 décembre 2018, A est interpellé dans les environs du local précité. Il est ainsi reconnu coupable de rupture de ban (art. 291 CP) et de non-respect d’une interdiction de pénétrer dans une région déterminée (art. 119 LEI) par le Tribunal de police du canton de Genève. Son jugement est confirmé par la Cour de justice par arrêt du 7 février 2020. A recourt au Tribunal fédéral en contestant sa condamnation pour les deux infractions, au motif que leur bien juridiquement protégé serait le même et qu’il s’impose de retenir un concours imparfait.
II. En droit
Le Tribunal fédéral commence par examiner le grief d’arbitraire invoqué par le recourant qui allègue son droit à accéder au local d’injection et à l’absence d’élément au dossier permettant de retenir qu’il se trouvait aux alentours de celui-ci pour une autre raison que pour s’y rendre. Or l’intéressé perd de vue le fait qu’il a lui-même déclaré s’être rendu dans ce périmètre pour acheter des stupéfiants (c. 1.3), si bien que sa critique tombe à faux (c. 1.4).
Dans un second temps, les juges de Mon Repos précisent la relation entre l’art. 291 CP et l’art. 119 LEI en examinant le bien juridique qu’ils protègent (c. 2).
L’art. 291 CP réprime la violation d’« une décision d’expulsion du territoire de la Confédération ou d’un canton prononcée par une autorité compétente ». Il constitue un délit contre l’autorité publique, en comptant parmi ses éléments constitutifs objectifs une décision d’expulsion judiciaire ou administrative. Son objectif est précisément d’assurer l’exécution ou l’efficacité de cette décision en particulier (TF 6B_1398/2020 du 10.3.2021*, c. 1.6) (c. 2.2.1 1er et 2e par.).
L’art. 119 LEI sanctionne la violation de l’assignation d’un lieu résidence ou l’interdiction de pénétrer dans une région déterminée prévue par l’art. 74 LEI. Cette mesure envisage plusieurs hypothèses, soit l’étranger :
- qui n’est pas titulaire d’une quelconque autorisation « et trouble ou menace la sécurité et l’ordre publics ; cette mesure vise notamment à lutter contre le trafic illégal de stupéfiants » (let. a) ;
- qui « est frappé d’une décision de renvoi ou d’expulsion […] » et au sujet duquel « des éléments concrets font redouter qu’il ne quittera pas la Suisse […] » (let. b) ; ou
- pour lequel « l’exécution du renvoi ou de l’expulsion a été reportée » (let. c).
Pour le Tribunal fédéral, la mesure fondée sur l’art. 74 al. 1 let. a LEI est donc prononcée « en raison du comportement de l’intéressé troublant ou menaçant la sécurité et l’ordre publics », alors qu’elle vise « la mise en œuvre du renvoi » lorsqu’elle repose sur les lettres b et c de la même disposition. Ce n’est donc que la violation de l’art. 119 cum 74 al. 1 let. b ou c LEI qui « s’apparente à la transgression d’une décision d’expulsion au sens de l’art. 291 CP » (c. 2.2.2 3e par.).
En revanche, le bien juridiquement protégé par l’art. 119 cum 74 al. 1 let. a LEI est la protection « en priorité [de] la sécurité et [de] l’ordre publics, en particulier en matière de stupéfiants ». Il se distingue donc de celui de l’art. 291 CP. Partant, la rupture de ban entre en concours parfait au sens de l’art. 49 CP avec l’interdiction de pénétrer dans une région déterminée prononcée en raison du comportement de l’intéressé troublant ou menaçant la sécurité et l’ordre publics (c. 2.2.3 1er par.).
De surcroît, la définition légale de l’art. 291 CP ne renferme pas tous les éléments constitutifs de l’autre infraction ici discutée. En effet, un individu peut être expulsé, sans être interdit de périmètre et vice-versa. En définitive, l’art. 291 CP ne constitue pas une disposition spéciale ou absorbante par rapport à l’art. 119 cum 74 al. 1 let. a LEI (c. 2.2.3 2e par.).
Revenant à l’espèce, le Tribunal fédéral souligne que le recourant a fait l’objet d’une interdiction d’entrée dans la région du centre-ville prononcée à raison de son comportement troublant ou menaçant la sécurité ou l’ordre publics dans le canton de Genève (c. 2.4). Ayant violé cette mesure et la décision d’expulsion le visant, sa condamnation pour l’art. 291 CP et l’art. 119 LEI ne prête donc pas le flanc à la critique et son recours doit être rejeté (c. 3).
III. Commentaire
Cet arrêt clarifie la relation entre l’art. 291 CP et l’art. 119 LEI. À cet égard, c’est à juste titre que le Tribunal fédéral retient une solution différenciée selon que l’art. 119 LEI sanctionne le non-respect de la mesure prévue à l’art. 74 LEI en fonction du but concret poursuivi par la mesure. En effet, celui-ci peut diverger, quand bien même le fondement juridique est identique. C’est pourquoi la nature du concours diffère et qu’il y a donc lieu de s’écarter d’une solution uniforme (cf. HK StGB-Wohlers, Art. 291 N 4 et CR CP II-Bichovsky, art. 291 N 27 qui ne font aucune distinction et retiennent que l’art. 119 LEI s’applique seul). Même si le présent arrêt porte sur une interdiction de pénétrer dans une région déterminée, la solution retenue vaut tout aussi bien selon nous pour la violation d’une assignation d’un lieu de résidence qui aurait été prononcée sur le fondement de l’art. 74 al. 1 let. a LEI.
Ainsi, la violation d’une assignation d’un lieu de résidence ou d’une interdiction de pénétrer dans une région déterminée fondée sur l’art. 74 al. 1 let. a LEI est sanctionnée au titre de l’art. 119 LEI uniquement (Luzia Vetterli/Gabriella D’Addario Di Paolo, Bundesgesetz über die Ausländerinnen und Ausländer [AuG], Berne 2010, Art. 119N 9). Son bien juridiquement protégé est donc la sécurité et l’ordre publics. Ainsi, cette infraction peut être commise aux côtés d’une rupture de ban (art. 291 CP), dont le bien juridique est l’autorité publique (BSK StGB-Freytag, Art. 291 N 13 ; CR CP II-Bichovsky, art. 291 N 2). Par conséquent, le concours entre ces deux infractions est parfait et une aggravation de la peine est donc possible (art. 49 CP). En revanche, lorsque la mesure est fondée sur l’art. 74 al. 1 let. b ou c LEI, le Tribunal fédéral expose que sa violation « s’apparente » à la rupture de ban. Dans ce cas de figure, c’est un concours imparfait qu’il y a lieu de retenir et l’art. 119 cum 74 al. 1 let. b ou c LEI s’applique en tant que lex specialis.
Notons enfin que le Tribunal fédéral a également précisé dans cet arrêt que l’art. 291 CP est une lex specialis par rapport à l’art. 292 CP (Insoumission à une décision de l’autorité) qui vise à faire respecter toute décision de l’autorité (c. 2.2.1 1er et 2e par.) et qu’il prime également l’art. 115 al. 1 let. a et b LEI (Entrée et séjour illégaux) en cas d’expulsion, car cette dernière disposition est subsidiaire (c. 2.2.1 3e par.). Il y a donc pour ces deux infractions précitées un concours imparfait avec l’art. 291 CP qui s’applique seul et qui ne justifie pas d’aggravation de la peine.