I. En fait
Dans les années 1990, A a été condamné dans le canton de Zurich à une peine privative de liberté de 20 ans pour deux homicides. Parvenu au terme de sa peine, il est maintenu en détention pour des motifs de sûreté, suite à une demande de révision du 24 novembre 2009 formée par le Ministère public zurichois tendant au prononcé d’un internement ultérieur (art. 65 al. 2 CP). Après que le Tribunal fédéral (ci-après : TF) a reconnu l’existence de faits nouveaux rendant vraisemblable le bien-fondé de l’internement (TF 6B_404/2011 du 12.3.2012), le Tribunal de district de Zurich prononce cette mesure sur la base de l’art. 65 al. 2 en lien avec l’art. 64 al. 1 let. b CP le 15 août 2013. Appelé à statuer sur cette décision, l’Obergericht zurichois puis le TF rejettent le recours de A (TC ZH SB130395 du 16.07.2014 ; TF 6B_896/2014 du 16.12.2015).
A saisit la Cour européenne des droits de l’homme. Il conclut entre autres à une réparation du tort moral pour sa détention injustifiée, évaluée à CHF 100’000.- par an depuis le 18 octobre 2010, date à laquelle il aurait dû être libéré. Constatant une violation des art. 5 § 1, 7 § 1 et 4 Protocole n° 7 de la CEDH, la Cour a en substance considéré qu’en ordonnant un internement ultérieur dans le cadre d’une procédure de révision au cours de laquelle aucun élément nouveau concernant la nature de l’infraction ou l’étendue de la culpabilité du prévenu n’avait été établi, les tribunaux suisses avaient puni A deux fois pour les mêmes faits (CourEDH W.A. c. Suisse du 2.11.2021, résumé in : crimen.ch/53/). Le requérant n’ayant pas non plus été admis dans un établissement approprié pour traiter ses troubles mentaux, sa détention était irrégulière. A titre de satisfaction équitable (art. 41 CEDH), la Cour condamne la Suisse à lui verser une indemnité pour préjudice moral de € 40’000.- et rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
A dépose une demande de révision de l’arrêt TF 6B_896/2014 auprès du TF, qui l’admet (TF 6F_5/2022 du 02.03 2022) et renvoie la cause à l’Obergericht zurichois pour nouvelle décision. Ce dernier renonce, par jugement du 17 novembre 2022 (TC ZH SB220151 du 17.11.2022), à prononcer un internement ultérieur. Il rejette cependant les conclusions en indemnité pour tort moral et dommages-intérêts du recourant.
A interjette recours en matière pénale à l’encontre de ce jugement auprès du TF. Il réclame une indemnisation équitable pour tort moral pour sa détention injustifiée du 17 octobre 2010 au 14 mars 2022, d’un montant de CHF 100’000.- par an mais d’au minimum CHF 500’000.-, subsidiairement une indemnisation d’un montant établi par expertise, qui tienne compte du dommage économique engendré par la perte de gain, en particulier au niveau de sa prévoyance (AVS, LPP, 3ème pilier).
II. En droit
Après être entré en matière sur le recours (c. 1), le TF rappelle qu’en vertu de l’art. 41 CEDH, la Cour européenne des droits de l’homme alloue à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable lorsqu’elle déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation. Un Etat partie peut, s’il l’estime adéquat, accorder une indemnité supplémentaire, sous une forme pécuniaire ou une autre forme, telle une réduction de peine. Cette indemnité supplémentaire dépend donc du droit national (CourEDH Baybasin c. Pays-Bas du 6.7.2006, §§ 75-76) (c. 2.2).
Les juges fédéraux sont ainsi amenés à examiner si une telle disposition figure en droit interne suisse. Selon l’art. 122 LTF, la révision d’un arrêt du TF pour violation de la CEDH peut être demandée si trois conditions cumulatives sont remplies : outre (let. a) le constat, par la CourEDH dans un arrêt définitif (art. 44 CEDH), d’une violation de la Convention ou de ses protocoles, ou le règlement amiable du cas (art. 39 CEDH), il faut (let. b) qu’une indemnité ne soit pas de nature à remédier aux effets de la violation et que (let. c) la révision apparaisse nécessaire pour remédier aux effets de la violation. Lorsque le TF admet l’existence d’un motif de révision, annule l’arrêt contraire à la Convention et statue à nouveau dans une affaire pénale, l’art. 415 CPP est applicable par analogie (art. 128 al. 1 et 3 LTF). L’art. 415 al. 2 CPP renvoie à l’art. 436 al. 4 CPP, lequel prévoit que le prévenu qui, après révision, est acquitté ou condamné à une peine moins sévère, a droit à une juste indemnité pour les dépenses occasionnées par la procédure de révision. S’il a subi une peine ou une mesure privative de liberté, il a également droit à une réparation du tort moral et à une indemnité dans la mesure où la privation de liberté ne peut être imputée sur des sanctions prononcées à raison d’autres infractions (c. 2.4 – 2.4.1).
Selon la jurisprudence relative à l’art. 122 let. b LTF, la révision d’un arrêt ne se justifie pas lorsque la CourEDH a accordé une satisfaction équitable (art. 41 CEDH) qui permet de compenser les conséquences de la violation de la CEDH. La révision demeure possible uniquement dans la mesure où elle est nécessaire pour éliminer un préjudice immatériel – à l’exclusion des aspects financiers – survenu dans la procédure antérieure qui se révèle finalement contraire à la CEDH (ATF 147 I 494, c. 2.2). En d’autres termes, la révision d’un arrêt contraire à la CEDH ne sert qu’à éliminer des conséquences non pécuniaires (art. 122 let. b a contrario LTF) (c. 2.4.2).
Certes, la décision d’annulation de l’arrêt objet de la demande de révision (le rescindant), qui met fin à la procédure de révision proprement dite et entraîne la réouverture de la procédure antérieure, est assortie d’un effet ex tunc, de sorte que le TF et les parties sont replacés dans la situation où ils se trouvaient au moment où l’arrêt annulé a été rendu (ATF 147 I 494, c. 1.2 ; TF 9F_9/2023 du 17.10.2023, c. 1). Toutefois, la procédure cantonale subséquente doit être menée sur la base de l’arrêt du TF objet de la révision, de sorte que la procédure cantonale n’est pas étendue à des aspects financiers d’ores et déjà tranchés par la CourEDH. L’objet du litige lors de la réouverture de la procédure cantonale est ainsi déterminé par le dispositif de l’arrêt du TF à annuler et les conclusions des parties prises dans cette procédure (ATF 147 I 494, c. 1.3 ; TF 6F_5/2022 du 2.3.2022, c. 1.3). Compte tenu de ce qui précède, notre Haute Cour retient que l’art. 415 CPP (auquel renvoie l’art. 128 al. 3 LTF) ne s’applique qu’à ce qui constitue l’objet de la procédure de révision qu’elle a à connaître. Les prétentions sur lesquelles la CourEDH a déjà statué n’en font pas partie. Aucune disposition du droit suisse n’est dès lors susceptible de s’appliquer pour octroyer une indemnité supplémentaire à celle déjà reconnue par la CourEDH pour compenser la privation de liberté injustifiée. Partant, c’est à juste titre que l’Obergericht zurichois a retenu que l’indemnisation du recourant ne faisait plus partie de l’objet du litige. Le TF rejette ainsi le recours (c. 2.4.2).
III. Commentaire
Cet arrêt confirme la jurisprudence du TF selon laquelle l’octroi, le refus ou l’absence de demande d’indemnité devant la CourEDH excluent toute prétention en ce sens lors d’une procédure de révision subséquente devant le TF (ATF 144 I 214 c. 4.2, 142 I 42 c. 2.2.2 ; Denys, Commentaire de la LTF, 3e éd. 2022, art. 122 LTF no 14). Cette solution s’inscrit dans la lignée de la volonté du législateur qui souhaitait, à l’adoption de l’art. 122 LTF, mettre un terme aux « étranges parties de ping-pong entre Berne et Strasbourg » induites par l’art. 139 aOJ jusqu’alors en vigueur (FF 2001 4000, p. 4149 s).
Ce résultat nous apparaît toutefois insatisfaisant au vu des montants relativement faibles reconnus à titre de dédommagement par la Cour, à l’image des € 40’000.- alloués en l’espèce pour une détention injustifiée qui a duré plus de onze années (TF 6F_5/2022 du 2.3.2022, c. 2.3.3 ; Karpenstein/Mayer, Kommentar EMRK, 3e éd. 2022, art. 6 CEDH no 41). Par ailleurs, il convient de souligner que la ratio legis de l’art. 122 al. 1 let. b LTF n’est pas d’exclure l’octroi d’une indemnité dans la procédure de révision lorsque les juges de Strasbourg ont refusé toute indemnité sans examiner le bien-fondé de la prétention (dans ce sens : ATF 142 I 42, c. 2.2.4, 137 I 86, c. 7.1 ; BSK BGG-Escher, 3e éd. 2018, art. 122 LTF no 6). Dès lors, il est crucial de formuler des prétentions en réparation du dommage de manière exhaustive devant la CourEDH ; cela vaut également devant les instances nationales, compte tenu du fait que l’objet du litige dans la procédure de révision est fixé par les prétentions prises devant le TF avant la saisine de la CourEDH (cf. c. 2.4.2). Or, en l’espèce, le requérant n’a formulé qu’une prétention en réparation du tort moral devant la CourEDH, à l’exclusion d’une indemnité en réparation du dommage matériel (cf. CourEDH W.A. c. Suisse du 2.11.2021, §76). Selon nous, c’est avant tout cette omission, davantage que l’absence d’une base légale en droit suisse – compte tenu de l’application de l’art. 436 al. 4 CPP –, qui a empêché l’intéressé de faire valoir de plus amples prétentions dans la procédure de révision.
Cela étant exposé, même si les juges de Strasbourg ou de Mont repos avaient examiné au fond la prétention du recourant pour la perte de gain subie, celle-ci aurait vraisemblablement été rejetée, faute de lien de causalité entre ledit dommage et la violation de la CEDH. En effet, dès lors que le requérant purgeait une peine de prison depuis une vingtaine d’années avant sa détention injustifiée, cette dernière n’a pas eu pour effet de porter atteinte à une source de revenu existante, en entraînant par exemple la perte de son emploi ou un dommage à sa carrière (dans ce sens : CourEDH Schummer c. Allemagne du 13.1.2011, § 91 ; ATF 142 IV 237, c. 1.3.4 a contrario ; TF 6B_1418/2019 du 5.2.2020, c. 3.2 et 4, 6B_1342/2016 du 12.7.2017, c. 1 et 2 ; BSK StPO-Wehrenberg/Frank, 2e éd. 2014, art. 429 CPP no 23).