Qualité pour recourir contre la décision fixant l’indemnité pour les frais du défenseur privé (art. 429 al. 3 CPP)

L’art. 429 al. 3 CPP offre au défenseur privé un droit de recours supplémentaire à celui du prévenu pour contester la décision fixant l’indemnité conformément à l’art. 429 al. 1 let. a CPP. Ce droit s’exerce en usant des voies de droit autorisées pour attaquer la décision finale.

I. En fait

Par ordonnance pénale du 20 septembre 2022, A est reconnu coupable d’infraction à l’art. 83 al. 1 let. k LEp en lien avec l’art. 8 al. 1 et 3 de l’ordonnance COVID-19 transport international de voyageurs, dans sa version du 20 décembre 2021, et est condamné à une amende. Représenté par son avocat, il a formé opposition contre cette ordonnance le 8 décembre 2023.

Le 16 janvier 2024, à la suite de l’annonce de la clôture de l’instruction, A a demandé une indemnité pour ses frais de défense s’élevant à CHF 298.–. Par décision du 5 février 2024, l’enquête pénale a été classée. Les frais ont été pris en charge par l’État, mais aucune indemnité n’a été accordée. Le 3 mai 2024, la Cour suprême du canton de Zurich a déclaré le recours de A contre le refus d’indemnisation irrecevable, faute de qualité pour recourir de ce dernier. 

A forme un recours en matière pénale à l’encontre de ce jugement, concluant principalement à son annulation, à l’entrée en matière sur son recours, ainsi qu’à l’octroi d’une « indemnité raisonnable (au moins CHF 298.–) ». À titre subsidiaire, il conclut à ce que la cause soit renvoyée à l’instance précédente pour nouvelle décision. 

II. En droit

Après avoir admis la recevabilité du recours (c. 1), le Tribunal fédéral explique que l’instance précédente a refusé d’entrer en matière sur le recours de A, parce qu’il avait été déposé en son nom, bien qu’il ait été rédigé par son avocat. Selon la Cour cantonale, lorsque le prévenu mandate un défenseur privé, « seul l’avocat choisi a un droit matériel à une indemnisation et, en ce qui concerne la décision fixant l’indemnité, seul l’avocat a qualité pour former recours ». Le défenseur privé aurait donc dû déposer le recours contre la décision fixant l’indemnité en son propre nom. A n’avait pas la qualité pour recourir contre celle-ci (c. 2.1).

Dans sa version en vigueur depuis janvier 2024, l’art. 429 al. 1 let. a CPP donne le droit au prévenu acquitté totalement ou en partie ou au bénéfice d’une ordonnance de classement à une indemnité fixée conformément au tarif des avocats, pour les dépenses occasionnées par l’exercice raisonnable de ses droits de procédure, sans distinction entre l’indemnité allouée et les honoraires dus en cas de défense privée. Le nouvel al. 3 prévoit que lorsque le prévenu a chargé un défenseur privé de sa défense, celui-ci a un droit exclusif à l’indemnité prévue à l’al. 1, let. a, sous réserve de règlement de compte avec son client. Le défenseur peut contester la décision fixant l’indemnité en usant des voies de droit autorisées pour attaquer la décision finale. Il ressort de l’interprétation historique de cette disposition qu’elle a été ajoutée lors du processus législatif, n’étant pas initialement prévue dans le projet du Conseil fédéral (FF 2019 6437). Elle vise à clarifier que les indemnités pour les honoraires d’avocats doivent être versées directement aux avocats, codifiant ainsi une pratique existante mais appliquée de manière inégale. En accordant désormais un droit direct et exclusif à l’avocat, il est garanti que l’indemnité lui revienne effectivement et ne soit pas utilisée autrement – notamment compensée avec des créances envers l’accusé, comme c’était encore possible sous l’ancien droit (voir notamment TF 1B_34/2023 du 13.02.2023, c. 5.3 ; 6B_111/2017du 17.10.2017, c. 3.3.1). Cela évite que la décision fixant l’indemnité reste incontestée contre la volonté de l’avocat, en particulier après la fin de son mandat (c. 2.2).

Notre Haute Cour considère que le raisonnement de l’instance précédente selon lequel la qualité pour recourir du défenseur privé aurait remplacé celle du prévenu ne trouve aucun fondement dans les travaux préparatoires et ne correspond pas non plus au but visé par la nouvelle disposition. Au contraire, le prévenu acquitté a un intérêt indépendant à faire examiner la décision fixant l’indemnité. En effet, selon la jurisprudence, les autorités pénales ne sont pas liées par une convention d’honoraires conclue entre le prévenu et son défenseur lors de la fixation de l’indemnité. Par conséquent, le prévenu acquitté peut être tenu de payer à l’avocat de son choix la différence entre l’indemnité allouée en application de l’art. 429 al. 1 let. a CPP et les honoraires convenus contractuellement (voir notamment ATF 142 IV 163, c. 3.1.2 et références citées ; TF 7B_35/2022 du 22.02.2024, c. 5.2.2 ; 7B_16/2022 du 06.11.2023, c. 4.1.2). La situation n’est donc pas comparable à celle de la défense d’office, dans laquelle le prévenu n’a pas d’intérêt juridiquement protégé à l’augmentation de l’indemnité (voir ATF 148 IV 275, c. 1.4 et références citées) (c. 2.3). 

Au vu de ce qui précède, l’art. 429 al. 3 CPP doit être interprété comme un droit supplémentaire pour le défenseur privé de contester la décision concernant son indemnisation selon l’art. 429 al. 1 let. a CPP. Les juges de Mon-Repos estiment que cela vaut indépendamment du fait que l’indemnité soit attribuée directement au défenseur privé. Le fait que le recourant demande, dans le cas d’espèce, que l’indemnité lui soit attribuée est donc sans importance et refuser d’entrer en matière sur le recours pour ce motif serait excessivement formaliste au vu du libellé de l’al. 1 de la même disposition (c. 2.3). 

En conclusion, le Tribunal fédéral admet le recours de A, annule la décision de l’instance précédente et lui renvoie l’affaire pour nouvelle décision (c. 3).

Proposition de citation : Kiana Ilyin, Qualité pour recourir contre la décision fixant l’indemnité pour les frais du défenseur privé (art. 429 al. 3 CPP), in : https://www.crimen.ch/297/ du 24 octobre 2024