I. En fait
Le 4 août 2014, A, président et administrateur de la société B SA avec signature individuelle, demande à l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (ci-après : FINMA) de confirmer que son affiliation à un organisme d’autorégulation n’est pas nécessaire pour ses activités de gestion de fonds.
En réponse, la FINMA impartit par le biais de plusieurs courriers à B SA un délai pour remplir des questionnaires relatifs à la LBA et à la LFINMA, en rappelant l’obligation légale de fournir des renseignements conformes à la vérité (art. 29, 44 et 45 LFINMA).
En l’absence de réponse de la part de B SA, la FINMA lui adresse un nouveau courrier, en soulignant son obligation de collaborer au sens des art. 3 et 29 LFINMA et en précisant qu’à défaut de réponse, elle statuera sur la base des documents en sa possession et sera en droit de considérer le refus de collaborer comme un indice défavorable lors de l’appréciation des preuves. En outre, elle se réserve le droit de désigner un chargé d’enquête aux frais de la société et, le cas échéant, d’inscrire B SA sur la liste des établissements non autorisés (liste négative).
Le 10 octobre 2014, B SA renvoie finalement les formulaires requis, signés par A.
Le 31 août 2019, la FINMA dénonce les responsables de B SA, dont A, au Département fédéral des finances (ci-après : DFF) pour soupçons d’activité d’intermédiaire financier exercée sans autorisation (art. 44 LFINMA et 14 LBA). Le 9 janvier 2017, le DFF ouvre une procédure pénale administrative contre les responsables de B SA, qu’il étend ensuite à A pour des soupçons d’activité d’intermédiaire financier exercée sans autorisation.
Le 31 janvier 2019, le DFF rend un prononcé pénal par lequel A est reconnu coupable d’exercice sans autorisation de l’activité d’intermédiaire financier (art. 44 LFINMA cum 14 LBA). A demande à être jugé par un tribunal (art. 72 DPA). Le DFF transmet alors l’affaire au Ministère public de la Confédération à l’attention de la Cour des affaires pénales du Tribunal pénal fédéral (ci-après : TPF).
Par jugement du 17 juin 2020, la Cour des affaires pénales du TPF confirme le prononcé pénal du DFF.
Le 24 mars 2022, la Cour d’appel du TPF rejette l’appel formé par A.
A forme recours en matière pénale au Tribunal fédéral et conclut à la réforme de l’arrêt attaqué, subsidiairement à son annulation et au renvoi de la cause à l’instance précédente pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
II. En droit
Dans son recours, A invoque une violation de l’art. 6 CEDH en lien avec le droit de ne pas s’auto-incriminer (nemo tenetur se ipsum accusare) : il soutient que, dans ses courriers, la FINMA n’a pas donné à la société B SA la possibilité de décider si elle souhaitait collaborer à la procédure n. En effet, au vu de la teneur des courriers, un hypothétique refus de remplir et de transmettre les formulaires requis exposait la société et ses organes à des conséquences graves sur le plan professionnel, financier, personnel et réputationnel (c. 2.1).
Le Tribunal fédéral commence par rappeler que, selon sa jurisprudence, les sanctions que la FINMA peut prononcer en cas refus de collaborer d’un assujetti (art. 29 LFINMA) n’ont pas de caractère pénal (ATF 147 I 57). Cependant, un assujetti tenu de fournir des renseignements et documents nécessaires à la FINMA dispose du droit de refuser de collaborer s’il encourt une poursuite pénale ou si sa position – dans une procédure pendante ou à venir – pourrait s’en trouver aggravée (TF 1B_92/2023 du 11.05.2023, c. 5.4). Par conséquent, lorsque la FINMA requiert la coopération d’un assujetti pour obtenir certaines informations, elle doit l’informer qu’il peut refuser de collaborer s’il risque de faire l’objet de poursuites pénales, tout en l’informant des conséquences d’un refus (c. 2.4).
Le devoir d’information de la FINMA est primordial puisque l’assujetti qui collabore avec l’autorité administrative ne s’attend pas à ce que les preuves transmises soient totalement exploitables dans une procédure pénale, alors même que dans le cadre de cette dernière, il aurait pu se prévaloir de son droit de se taire. Admettre l’inverse reviendrait à permettre aux autorités de violer le principe nemo tenetur, ce qui est contraire au but de l’art. 38 LFINMA (c. 2.4).
En l’espèce, la FINMA a exigé de la société B SA de remplir des formulaires LBA et LFINMA sans l’informer de son droit au silence, alors même que les informations sollicitées pouvaient entraîner une procédure pénale (art. 44 ss LFINMA). Or, ces questionnaires ont par la suite fondé le prononcé pénal du DFF. Par conséquent, l’absence d’information sur le droit de ne pas s’auto-incriminer viole le droit à un procès équitable du recourant et les formulaires qu’il a remplis le 10 octobre 2014 sont inexploitables (c. 2.4).
Au vu de ce qui précède, le recours est admis. L’arrêt attaqué est annulé et la cause renvoyée à l’autorité précédente pour nouveau jugement dans le sens des considérants (c. 2.5).
III. Commentaire
Cet arrêt revêt une importance particulière en ce qu’il consacre, pour la première fois, une obligation pour la FINMA d’informer de manière proactive tant les personnes physiques que morales de leur droit de ne pas s’auto-incriminer, sous peine d’inexploitabilité des preuves dans le cadre de la procédure pénale ultérieure. Eu égard à sa portée, l’on peut d’ailleurs s’étonner qu’il n’ait pas fait l’objet d’une publication.
La décision illustre une double imbrication, qui témoigne des tensions structurelles propres au système actuel :
- Entre personne physique et personne morale : alors que le Tribunal fédéral avait, antérieurement, considéré que les personnes morales ne pouvaient pas se prévaloir du principe nemo tenetur se ipsum accusare dans la même mesure que les personnes physiques (TF 1B_92/2023 du 11.05.2023 ; voir également sur le sujet Hadrien Monod, Le droit de se taire face à l’obligation de collaborer – mise en perspective à la lumière de la LFINMA, Thèse Lausanne, Berne 2024), il semble désormais souhaiter garantir la même protection aux personnes morales et physiques. Le Tribunal fédéral prend ainsi en considération le fait que dans le domaine de la surveillance bancaire, si les personnes morales sont au centre de la procédure, ce sont bien souvent leurs organes ou collaborateurs qui se trouvent exposés à une incrimination effective sur le plan pénal. Par conséquent, garantir le principe nemo tenetur se ipsum accusare de manière complète à l’un mais pas à l’autre présenterait une grande complexité, rendant sa mise en pratique difficile.
- Entre procédure administrative et procédure pénale : l’arrêt traduit également la prise en considération par le Tribunal fédéral de l’imbrication de plus en plus importante entre surveillance administrative et procédure pénale. En imposant à une autorité administrative le respect de garanties procédurales consacrées par le CPP (en particulier art. 113 et 158 al. 1 let. b CPP), le Tribunal fédéral témoigne de la volonté de trouver un compromis. Ce faisant, il introduit, dans un contexte administratif, des garanties traditionnellement réservées à la procédure pénale et s’évite tout reproche quant à une potentielle violation de l’art. 6 CEDH.