De l’extradition accordée à la Russie et des garanties diplomatiques données

Les garanties diplomatiques ont pour but de parer au danger que la personne à extrader soit exposée à des mauvais traitements dans l’État requérant. Lorsqu’il s’agit de déterminer si les garanties fournies par l’État requérant sont suffisantes, l’on doit tenir compte de onze facteurs émanant de la jurisprudence de CourEDH. Dans le cas d’un banquier russe recherché par la Russie, les garanties diplomatiques fournies sont aptes à sauvegarder les droits fondamentaux du recourant, en particulier la connaissance du lieu de détention préalablement à l’extradition et sa localisation en une certaine région, ainsi que le monitoring mis en place. De surcroît, il ne s'agit ni d'une personne exposée politiquement ni d'un membre d’une communauté victime de persécution politique ou de discrimination.

I. En fait

L’Office fédéral de la justice (OFJ) a accordé par décision du 29 novembre 2019 l’extradition vers la Russie de A, banquier, pour des faits de fraude à grande échelle et blanchiment d’argent. La Cour des plaintes du TPF a rejeté le recours formé par ce dernier et a complété les garanties diplomatiques demandées à la Fédération de Russie ajoutant ainsi le droit de la personne extradée de communiquer de façon illimitée avec son avocat ou son défenseur d’office ainsi que de recevoir des visites de sa famille en prison (arrêt TPF RR.2020.4 du 11.8.2020). A a porté son cas par-devant le TF qui a annulé l’arrêt du TPF s’agissant de la confirmation de l’extradition moyennant l’octroi de garanties diplomatiques et a renvoyé la cause à la Cour des plaintes pour qu’elle détermine si ces assurances étaient suffisantes dans le cas d’espèce eu égard notamment à la situation prévalant dans l’État requérant (TF 1C_444/2020 du 23.12.2020). Le renvoi à la Cour des plaintes a donné lieu à un arrêt confirmant l’extradition moyennant des garanties supplémentaires par la Russie (arrêt TPF RR.2021.2, commenté par Maria Ludwiczak Glassey/Francesca Bonzanigo sur crimen.ch). A recourt contre cette décision devant le Tribunal fédéral.

II. En droit

Le TF commence par rappeler qu’un recours en matière de droit public à l’encontre d’un arrêt de la Cour des plaintes du TPF portant sur une extradition n’est recevable que s’il s’agit d’un cas particulièrement important (art. 84 al. 1 in fine LTF). Cela est par exemple le cas lorsqu’il existe des raisons de supposer que la procédure à l’étranger ou en Suisse viole des principes fondamentaux ou comporte d’autres vices graves (art. 84 al. 2 LTF ; ATF 145 IV 99, c. 1). En matière d’extradition, l’existence d’un tel cas n’est admise que de manière exceptionnelle (ATF 134 IV 156, c. 1.3.4) et la condition de recevabilité de l’art. 84 al. 2 LTF n’est donnée que lorsque le recourant démontre l’existence d’une violation importante, suffisamment détaillée et crédible des droits fondamentaux de procédure (ATF 145 IV 99, c. 1.4 s.). Le TF peut également entrer en matière lorsqu’il s’agit de trancher une question juridique de principe (c. 2.1).

Après avoir écarté les deux premiers moyens de droit soulevés par le recourant (c. 2.2 et 2.3), le TF se penche sur la question de la violation du principe de l’autorité de l’arrêt de renvoi soulevée par le recourant. Ce dernier considérait que les circonstances ayant permis l’entrée en matière dans la cause TF 1C_444/2020 du 23.12.2020, soit le défaut d’assurance de bénéficier d’un traitement conforme aux droits de l’homme ou à la CEDH, étaient toujours réalisées. Notre Haute Cour rappelle que, dans la cause précitée, elle avait admis l’existence d’une question juridique de principe et avait renvoyé l’affaire à l’autorité précédente afin qu’elle examine si les garanties diplomatiques – comparables à celles ordonnées en 2007 (ATF 134 IV 156) – permettaient la sauvegarde des droits fondamentaux du recourant. Dans ce cadre, le TF n’avait dès lors pas traité de la problématique soulevée au fond, ce qui justifie qu’il entre à nouveau en matière sur cette question (c. 2.4).

Le TF examine ensuite au fond la question de la violation du principe de l’autorité de l’arrêt de renvoi, le recourant ayant fait valoir que la Cour des plaintes n’avait pas procédé aux mesures d’instructions requises par le TF dans son arrêt TF 1C_444/2020 du 23.12.2020. Il rappelle qu’afin de déterminer dans quelle mesure l’instance précédente est liée par la décision de l’autorité supérieure, il faut se référer à la motivation de l’arrêt de renvoi qui fixe tant le cadre du nouvel état de fait que celui de la nouvelle motivation juridique (ATF 135 III 334, c. 2) (c. 3 et 3.1). Le TF constate que son arrêt de renvoi n’ordonnait aucun acte d’instruction en particulier et n’indiquait que de manière exemplative les démarches que la Cour des plaintes aurait pu engager afin de s’assurer que les garanties ordonnées étaient suffisantes pour préserver les droits fondamentaux du recourant en cas d’extradition. Selon notre Haute Cour, la Cour des plaintes s’est cette fois attelée à démontrer, conformément à ce que prévoyait l’arrêt de renvoi, l’adéquation des garanties formulées à la sauvegarde des droits fondamentaux du recourant. Pour procéder à cette appréciation, elle a notamment invité les parties à se déterminer, puis a soumis les différentes pièces produites par l’OFJ dans ce cadre au recourant. Le TF arrive donc à la conclusion que la Cour des plaintes a procédé conformément à ce qui était attendu d’elle dans l’arrêt de renvoi (c. 3.2 et 3.3).

Cela établi, notre Haute Cour s’interroge sur la question de savoir si, dans le cas d’espèce, les garanties diplomatiques requises auprès de la Fédération de Russie sont suffisantes pour assurer la protection du recourant de manière conforme à la CEDH en cas d’extradition (c. 4). Après avoir rappelé la teneur desdites garanties diplomatiques (c. 4.1), le TF souligne qu’elles ont pour but de parer au danger que la personne poursuivie soit exposée à des mauvais traitements dans l’État requérant. Elles ne suffisent toutefois pas en elles-mêmes pour garantir une protection suffisante contre le risque de mauvais traitement et il est également nécessaire de s’assurer qu’elles prévoient, dans leur application pratique, une garantie suffisante que la personne sera protégée contre le risque de mauvais traitement. Lorsqu’il s’agit de déterminer si les garanties fournies par l’État requérant sont suffisantes, il est nécessaire de tenir compte de onze facteurs (arrêt Othman [Abu Qatada] c. Royaume-Uni du 17.1.2012, § 189) qui sont : i. communication des termes des assurances ; ii. caractère précis ou général et vague des assurances ; iii. auteur des assurances ainsi que sa capacité à engager l’État requérant ; iv. probabilités que les autorités locales respectent les assurances données par une autorité centrale ; v. caractère légal ou illégal des traitements au sujet desquels les assurances ont été données ; vi. garanties émanant ou pas d’un État partie à la CEDH ; vii. durée et force des relations bilatérales entre l’État requis et celui requérant, y compris l’attitude passée de ce dernier face à des assurances analogues ; viii. possibilité ou pas de vérifier objectivement le respect des assurances données par des mécanismes diplomatiques ou d’autres moyens de contrôle, y compris la possibilité illimitée de rencontrer les avocats de la personne concernée ; ix. existence ou pas d’un vrai système de protection contre la torture dans l’État requérant et la volonté de celui-ci de coopérer avec les mécanismes internationaux de contrôle – dont les Organisations non-gouvernementales de défense des droits de l’homme –, d’enquêter sur les allégations de torture et de sanctionner les auteurs de tels actes ; x. antécédent ou pas de mauvais traitement de la personne en cause dans l’État requérant ; xi. examen ou pas par les juridictions internes de l’État requis et de l’État contractant de la fiabilité des assurances (c.  4.4).

En lien avec l’appréciation de ces onze critères, le recourant se plaint d’une constatation manifestement inexacte des faits prétendant que l’autorité précédente n’avait pas pris en compte un avis de la Direction du droit international public (DDIP). Le Tribunal fédéral relève toutefois que la Cour des plaintes a expressément suivi l’une des recommandations émises par la DDIP, soit la localisation du lieu de détention à l’ouest de l’Oural. Elle a également expliqué – en s’appuyant sur des indications fournies par l’OFJ – les raisons pour lesquelles elle s’abstenait d’ordonner la seconde proposition soumise par la DDIP (nombre minimal de visites par an, à l’improviste et sans surveillance). De plus, notre Haute Cour met en exergue le fait que, selon la DDIP, A n’est ni exposée politiquement ni un membre d’une communauté victime de persécution politique ou de discrimination. Dès lors, le risque de traitement contraires aux droits de l’homme peut manifestement être réduit par des garanties diplomatiques (c. 4.6).

Le TF relève que l’examen réalisé par la Cour des plaintes des garanties diplomatiques à l’aune des onze critères mentionnés ci-dessus ne prête pas le flanc à la critique. Même si la DDIP a évoqué l’existence de problèmes en matière des droits de l’homme en Russie, cela ne suffit pas pour considérer que les critères du respect des garanties par les autorités locales (iv), de la durée et la force des relations entre l’État requérant et la Suisse (vii), ainsi que de l’existence d’un système de protection contre la torture et la volonté de coopération de l’État requérant (ix) ne sont pas remplis. Il s’agit en effet également de tenir compte de la situation particulière du recourant, pour lequel un mécanisme de contrôle est mis en œuvre. Notre Haute Cour arrive ainsi à la conclusion que l’appréciation de l’autorité précédente quant à la possibilité d’extrader le recourant moyennant l’obtention de garanties diplomatiques n’était pas arbitraire (c. 4.7 et 4.8). 

Finalement, le TF revient sur les critiques formulées par le recourant en lien avec l’insuffisance du mécanisme de contrôle (« monitoring », critère viii) pour assurer le respect des garanties données. Il relève qu’un « monitoring » a été demandé et qu’une éventuelle violation des garanties fournies par l’État requérant serait dès lors constatée par les autorités suisses auprès desquelles la personne extradée est en droit de se plaindre (c. 4.9.1). L’aide-mémoire déposé par l’OFJ contient des informations sur la mise en œuvre concrète du mécanisme de contrôle, dont l’activation ne dépend pas d’une plainte de la personne extradée ou de la connaissance par les autorités suisses d’une éventuelle violation des obligations de l’État requérant. Certaines tâches incombant à l’Ambassade sont énumérées dans l’aide-mémoire et les informations qui y sont contenues se veulent générales afin de permettre tant une pratique uniforme du mécanisme de surveillance que de laisser une certaine flexibilité aux autorités chargée de sa mise en œuvre, ce qui permet de prendre en compte les spécificités du cas d’espèce. Notre Haute Cour souligne également que la nouvelle garantie demandée à l’État requérant (qui doit encore être vérifiée par la procédure de l’art. 80p EIMP), soit la connaissance du lieu de détention préalablement à l’extradition et sa localisation à l’ouest de l’Oural, paraît apte à faciliter la mise en œuvre du « monitoring » (c. 4.9.2). Le TF arrive ainsi à la conclusion que les critiques du recourant sont infondées et rejette le recours (c. 4.10).

III. Commentaire

Le Tribunal fédéral ayant rejeté le recours de A déposé contre l’arrêt de la Cour des plaintes (arrêt TPF RR.2021.2 du 8.6.2021) qui a déjà fait l’objet d’un commentaire par Maria Ludwiczak Glassey/Francesca Bonzanigo sur crimen.ch, nous renvoyons nos lecteurs à la lecture de celui-ci. Relevons toutefois que depuis la publication de l’arrêt du TF, un ordre d’arrestation immédiate ainsi qu’un mandat d’arrêt en vue d’extradition ont été délivrés à l’encontre du recourant qui a été interpelé le même jour à son domicile. Il a par la suite été hospitalisé puis placé en détention. Ce dernier a interjeté recours contre le mandat d’arrêt extraditionnel auprès de la Cour des plaintes du TPF, laquelle a partiellement admis le recours et renvoyé le dossier à l’OFJ pour un examen détaillé de la situation concrète du recourant (arrêt TPF RH.2021.13 du 14.10.21). L’OFJ a par la suite levé la mesure et ordonné la mise en liberté provisoire immédiate sous caution de A. Ce dernier a en marge sollicité auprès de l’OFJ un réexamen de la décision d’extradition du 29 novembre 2019, demande rejetée par ledit office. Un recours a été interjeté auprès de la Cour des plaintes qui a constaté une violation du droit d’être entendu en lien avec la motivation de la décision et a renvoyé la cause à l’OFJ (arrêt TPF RR.2021.207 du 9.11.2021).

Proposition de citation : Laura Ces, De l’extradition accordée à la Russie et des garanties diplomatiques données, in : https://www.crimen.ch/66/ du 7 janvier 2022