Le droit du ministère public de recourir contre les décisions relatives à des mesures de substitution à la détention avant jugement

Le ministère public est habilité à recourir non seulement contre les décisions du tribunal des mesures de contrainte relatives à la détention avant jugement mais également contre son refus d’ordonner, de prolonger ou de révoquer des mesures de substitution à la détention. Le Tribunal fédéral poursuit ainsi son œuvre créatrice en étendant son interprétation contra legem de l’art. 222 CPP aux mesures de substitution.

Dans le cadre d’une procédure pénale dirigée contre l’auteur présumé de violences domestiques, le Ministère public du canton d’Appenzell Rhodes-Intérieures demande au Tribunal des mesures de contrainte d’ordonner une série de mesures de substitution en lieu et place de la détention provisoire de l’accusé. Seules certaines d’entre elles étant ordonnées, le MP recourt contre le refus d’ordonner les mesures de substitution concernées. Le recours est toutefois déclaré irrecevable par la juridiction cantonale qui nie la qualité pour recourir du MP. Ce dernier porte l’affaire devant le Tribunal fédéral qui doit dès lors se prononcer sur la légitimation du MP à recourir contre des décisions relatives aux mesures de substitution.

Le Tribunal fédéral rappelle en premier lieu que, si la loi habilite une personne détenue à recourir contre les décisions du TMC relatives à sa détention provisoire (art. 391 al. 1 let. c et art. 20 al. 1 let. c cum art. 220 CPP), elle ne reconnaît en revanche pas un tel droit au bénéfice du MP. Toutefois, le Tribunal fédéral lui ouvre cette voie de recours dans un arrêt de principe (ATF 137 IV 22), par la suite confirmé à diverses reprises (not. : ATF 139 IV 314 = JdT 2014 IV 195, c. 2.2 ; TF 1B_486/2018 du 22.11.2018, c. 2.1). Tout en offrant donc l’occasion d’un rappel d’une jurisprudence antérieure, le présent arrêt permet au Tribunal fédéral d’en étendre l’application pour les mesures de substitution. Selon la Haute Cour, cet élargissement s’impose premièrement au regard de l’art. 237 al. 4 CPP, selon lequel les dispositions sur la détention avant jugement – parmi lesquelles figure l’art. 222 CPP – s’appliquent mutatis mutandis au prononcé des mesures de substitution et au recours contre celles-ci.

Une telle solution est également commandée par le souci de respecter, d’une part, une égalité de traitement entre la personne prévenue et le MP et, d’autre part, le principe de l’unité de la procédure (art. 111 LTF). À ce dernier égard, il s’agit d’éviter une situation où le prévenu conteste les mesures de substitution devant l’autorité cantonale de recours, pendant que le MP recourt contre le refus d’ordonner des mesures de substitution supplémentaires devant le Tribunal fédéral, faute de pouvoir l’attaquer devant une juridiction cantonale, emportant le risque de décisions contradictoires. Jusqu’ici, le Tribunal fédéral restitue essentiellement les arguments qu’il avait mobilisés pour asseoir sa décision d’ouvrir une voie de recours au MP contre les décisions relatives aux mesures de substitution.

Au-delà de cela, le Tribunal fédéral juge qu’il serait injustifié de concéder un droit de recours au MP en cas de détention provisoire, mais pas pour des mesures de substitution, alors même que ces dernières peuvent s’avérer aussi radicales que la première. De surcroît, le MP a les mêmes intérêts dans l’hypothèse d’un refus d’ordonner, prolonger ou révoquer des mesures de substitution qu’en cas de détention, à savoir pallier les risques de fuite, de collusion ou de réitération susceptibles d’entraver la poursuite de l’enquête pénale (art. 221 CPP). Pour toutes ces raisons, il s’impose en conclusion de reconnaître un droit de recours du MP contre les décisions du TMC relatives tant à la détention provisoire qu’aux mesures de substitution.

Dans cet arrêt, le TF poursuit son œuvre créatrice, en comblant lui-même une lacune qu’il considère être un oubli du pouvoir législatif et non un silence qualifié (TF 1B_486/2018 du 22.11.2018, c. 2.1). Si l’on comprend l’extension du champ d’application de cette jurisprudence antérieure – et ainsi de cette interprétation manifestement contra legem de l’art. 222 CPP – aux décisions relatives à des mesures de substitution pour les raisons évoquées par le TF, on peut toutefois déplorer que celui-ci fasse l’économie de toute précision quant aux implications procédurales de l’ouverture de cette voie de recours, ce d’autant plus que celles-ci ont fait l’objet de vives critiques en doctrine1. Et pour cause, la reconnaissance d’un droit de recours du MP contre les décisions relatives à la détention provisoire pose une question de compatibilité avec le droit supérieur, en particulier les art. 31, al. 3 et 4 Cst. et 5 par. 3 CEDH, dans la mesure où le Tribunal fédéral confère un effet suspensif au recours et une nature superprovisionnelle à la décision de l’autorité de recours. La Haute Cour considère en effet que l’exercice efficace du droit de recours du MP suppose que la personne concernée demeure en détention jusqu’à la décision de l’autorité de recours, et ce à titre superprovisoire (ATF 137 IV 237 = JdT 2012 IV 151, c. 2.4).

Sans doute le problème se pose-t-il avec moins d’acuité dans le cadre de mesures de substitution, la personne accusée étant généralement en liberté, tel que ceci était d’ailleurs le cas dans la situation d’espèce. Si cela peut alors expliquer que le Tribunal fédéral se garde d’aborder la dimension procédurale de la problématique dans l’arrêt ici résumé, on ne saurait toutefois méconnaître le fait qu’il est des mesures de substitution particulièrement incisives, à commencer par l’assignation à résidence (art. 79b CP) que le TF lui-même assimile à une forme de détention (ATF 141 IV 190, c. 3.3, où la Haute Cour souligne que « les mesures de substitution ne sauraient sans autre être considérées comme des atteintes bénignes aux droits fondamentaux du prévenu »). Aussi, dans l’hypothèse où la pose d’un bracelet électronique avec assignation à résidence est effectuée avant l’envoi de la requête au TMC, qu’il s’en suit un refus de ce dernier d’ordonner une telle mesure de substitution et que le MP forme un recours contre cette décision, l’effet suspensif a pour conséquence que la personne prévenue demeure assignée à résidence durant le temps de la procédure de recours.

Étant donc admis que certaines mesures de substitution consacrent une atteinte considérable à la liberté personnelle de la personne accusée, allant parfois jusqu’à la soumettre à une forme de détention, on ose regretter que le Tribunal fédéral fasse ici abstraction des enjeux sous-tendant la procédure de recours du MP contre des décisions relatives à ces mesures. Alors que le présent arrêt lui offrait l’occasion de préciser la conformité de la procédure qu’il a esquissée au droit supérieur, il se contente d’entériner sa jurisprudence antérieure, et ce essentiellement au prétexte que le Conseil fédéral propose de l’ancrer dans la loi à l’occasion de la future modification du CPP. Il sied de relever en effet que le Message y relatif projette l’ajout d’un second alinéa à l’art. 222 CPP, lequel prévoirait alors spécifiquement le droit de recours du MP contre des décisions du TMC relatives à la mise en détention avant jugement (FF 2019 6351, 6396 s.). Mais lorsque l’on sait que le Conseil fédéral se dit lui-même incertain que la procédure de recours au bénéfice du MP respecte la Convention européenne des droits de l’homme (FF 2019 6351, 6399), un éclairage jurisprudentiel sur la question (et plus particulièrement sur celle des délais) n’aurait certainement pas été superfétatoire.

  1. Cf. not. Ruedi Beeler, Praktische Aspekte des formellen Untersuchungshaftrechts nach Schweizerischer Srafprozessordnung, Berne 2016, 160 ss ; Andreas Donatsch/Eliane Hiestand, Wortlaut des Gesetzes oder allgemeine Rechtsprinzipien bei der Auslegung von Normen der StPO, RPS 2014, 1 ss ; Catherine Hohl-Chirazi, La privation de liberté en procédure pénale suisse : buts et limites, Zurich/Bâle/Genève 2016, 350 ss ; Marcel Alexander Niggli, Wittgenstein und das Beschwerderecht der Staatsanwaltschaft, ContraLegem 2018, 47 s ; Derya Tokay-Sahin, Gesetzliche Verankerung des Beschwerderechts der Staatsanwaltschaft gegen Haftentlassungsentscheide, PJA 2018, 1212 ss ; Contra : BSK StPO II-Forster, art. 222N 6 ; Markus Hug/Alexandra Scheidegger, art. 222 N 8, in : Andreas Donatsch/Thomas Hansjakob/Viktor Lieber (éds), Kommentar zur Schweizerischen Strafprozessordnung (StPO), 2e éd., Zurich/Bâle/Genève 2014.↩︎

Proposition de citation : Camille Montavon, Le droit du ministère public de recourir contre les décisions relatives à des mesures de substitution à la détention avant jugement, in : https://www.crimen.ch/2/ du 1 juin 2021