I. Remarques générales
Récemment, le Tribunal fédéral a eu l’occasion de rendre une série d’arrêts1 en lien avec l’évacuation de la colline du Mormont, occupée par des activistes s’opposant à un projet de carrière.
Dans ce cadre, les juges fédéraux ont été appelés à rendre des décisions sur la nullité de plusieurs ordonnances pénales, respectivement sur la validité de plusieurs oppositions à des ordonnances pénales. Quatre arrêts portent sur la nullité d’une ordonnance pénale, treize concernent les oppositions formées contre des ordonnances pénales.
Les dix-sept décisions rendues étant relativement identiques, nous n’établirons qu’un seul résumé de jurisprudence. Nous séparerons toutefois les questions relatives à la nullité d’une ordonnance pénale de celles consacrées à la validité des oppositions aux ordonnances pénales. Dans tous les cas, malgré quelques spécificités propres à chaque décision, plusieurs enseignements généraux peuvent être dégagés de ces arrêts.
II. En fait
Le 30 mars 2023, des unités de police sont intervenues sur la colline du Mormont (VD) afin d’y déloger et d’évacuer les activistes établis depuis plusieurs semaines en guise de protestation pacifiste contre un projet de carrière. Ayant refusé de se soumettre à l’ordre d’évacuation prononcé par la Présidente du Tribunal civil de l’arrondissement de la Côte, ainsi qu’aux injonctions de la police de quitter les lieux, les activistes ont été condamnés par ordonnances pénales rendues soit le 31 mars soit le 1er avril 2023. Sommairement, les infractions reprochées portaient sur la violation de domicile (art. 186 CP), l’empêchement d’accomplir un acte officiel (art. 286 CP) et l’insoumission à une décision d’une autorité (art. 292 CP).
Une partie des personnes prévenues s’est opposée aux ordonnances pénales par le biais de leurs avocats.
Plusieurs oppositions et procurations ont ensuite été considérées comme viciées et irrecevables par le tribunal de première instance. De manière générale, les personnes prévenues avaient refusé de décliner leur identité et se présentaient sous différents alias, voire étaient décrites de façon générique.
III. En droit – nullité de certaines ordonnances pénales (a)
Dans quatre procédures2, la chambre des recours pénale a estimé que les ordonnances pénales rendues étaient nulles et que les oppositions, formées par les mandataires des prévenus, étaient ainsi sans objet. Le Tribunal fédéral a ensuite été saisi en raison des recours formés par le Procureur général du canton de Vaud.
Dans le cadre du premier volet de décisions rendues à l’égard de certains activistes, le Tribunal fédéral examine la nullité des ordonnances pénales constatée par la cour cantonale. À cet égard, il se réfère à un arrêt récent (ATF 149 IV 9, commenté : ici) dans lequel sont exposés les principes relatifs à la nullité d’une décision, notamment s’agissant de la désignation des personnes prévenues. Il rappelle que l’absence de données nominatives complètes ne conduit pas nécessairement à la nullité d’une décision dès lors que la personne prévenue peut être distinguée, à l’exclusion de toute autre, par exemple grâce à des données signalétiques. Le but est essentiellement d’éviter tout risque de confusion et de s’assurer que la personne désignée par l’ordonnance pénale est bien la personne faisant l’objet de la procédure pénale.
Appliquant les principes développés dans cet arrêt, le Tribunal fédéral considère qu’en l’espèce, les données génériques et les informations recueillies auprès des prévenus suffisaient à les identifier.
En conséquence, les recours formés par le Procureur général du canton de Vaud sont admis et les causes sont renvoyées à l’autorité précédente.
IV. En droit – validité des oppositions (b)
Dans les autres procédures3, la question concernait le fait de savoir si les oppositions aux ordonnances pénales formées par les prévenus étaient valables dès lors que ni elles ni les procurations en faveur de leurs mandataires ne faisaient état de leur identité.
D’emblée, le Tribunal fédéral relève qu’il est constant que les procurations établies en faveur des défenseurs ne sont pas « formellement » conformes aux exigences requises. Néanmoins, il choisit de poursuivre l’analyse des griefs des recourants compte tenu des particularités de l’affaire, soulignant que « la situation procédurale inédite qui singularise la présente cause se trouve en réalité liée au refus [du prévenu] de décliner son identité ». Ce refus est ainsi à la fois à l’origine du libellé de l’ordonnance pénale mais aussi du motif d’irrecevabilité à l’encontre de l’opposition formée.
Dans un premier grief, les recourants considèrent que le principe nemo tenetur leur permettait de refuser de décliner leur identité et de signer une procuration en bonne et due forme. À cet égard, le Tribunal fédéral renvoie à nouveau à son arrêt de principe précité (ATF 149 IV 9, commenté : ici), lequel exposait qu’un droit à l’anonymat ne saurait être déduit du droit de se taire (art. 113 CPP) et qu’on ne saurait invoquer ce dernier pour refuser de décliner son identité. Le grief tombe ainsi à faux.
Dans un deuxième grief, les recourants estiment que l’art. 353 al. 1 let. b CPP a été méconnu dans la mesure où, précisément, les identités des prévenus ne figuraient pas dans l’ordonnance pénale. Sur ce point également, le Tribunal fédéral renvoie à son arrêt de principe (ATF 149 IV 9, commenté : ici) pour écarter le reproche des recourants, rappelant ainsi que le but de la disposition vise essentiellement à éviter la confusion et à « être certain que la personne qui fait l’objet de la procédure est bien celle que désigne l’ordonnance pénale ».
En dernier lieu, les recourants soutiennent qu’en déclarant leurs recours irrecevables, la cour cantonale s’est rendue coupable d’une violation du droit d’accès au juge et de la prohibition du formalisme excessif. Une fois encore, les juges fédéraux se réfèrent aux raisonnements adoptés dans l’arrêt de principe précité (ATF 149 IV 9, commenté : ici) s’agissant de l’importance de la garantie de l’accès au juge dans la procédure de l’ordonnance pénale et du formalisme excessif. Estimant que les circonstances de cet arrêt sont parfaitement analogues à celles qui se rapportent aux recours des activistes du Mormont, le Tribunal fédéral choisit d’adopter la même réflexion. En ce sens, il rappelle qu’il existe un formalisme excessif dans le fait de déclarer irrecevable l’opposition, puis le recours, en raison d’une application stricte des exigences de formes, alors que l’ordonnance pénale à l’origine de la procédure et désignant le prévenu de façon générique est considérée comme valable. Cette façon de procéder constitue un cas de formalisme excessif et viole la garantie d’accès au juge.
En définitive, notre Haute Cour parvient à la conclusion que si, au regard de l’art. 353 al. 1 let. b CPP, on admet la validité de l’ordonnance pénale qui désigne un prévenu de façon à le distinguer, mais sans l’identifier personnellement, alors il convient d’appréhender les procurations transmises de façon similaire. En d’autres termes, le Tribunal fédéral met en évidence l’absence de parallélisme dans le traitement des actes des parties par les autorités vaudoises. En effet, il est problématique de considérer que la désignation d’un prévenu est suffisante, dans la mesure où cette personne est identifiable et qu’aucune confusion n’est possible – rendant ainsi l’ordonnance pénale valable –, tout en opposant à cette même personne des vices de forme alors que celle-ci procède en employant la désignation retenue par les autorités. D’après les juges fédéraux, cela vaut d’autant plus que, en l’espèce, des peines fermes avaient été requises. Ainsi, et même si des difficultés procédurales ont été provoquées par les refus de décliner leurs identités, le rapport entre les exigences de forme et la garantie d’accès au juge doit toujours être raisonnable, en dépit de quoi l’équité du procès est compromise.
Au vu de l’admission de ce dernier grief, les recours sont partiellement admis et les causes sont renvoyées devant la cour cantonale.
- Nullité de l’ordonnance pénale : TF, 6B_1194/2022 du 23.8.23 ; TF, 6B_931/2022 du 23.8.23 ; TF, 6B_916/2022 du 23.8.23 ; TF, 6B_915/2022 du 23.8.23. Opposition à ordonnance pénale : TF, 6B_442/2022 du 23.8.23 ; TF, 6B_440/2022 du 23.8.23 ; TF, 6B_437/2022 du 23.8.23 ; TF, 6B_434/2022 du 23.8.23 ; TF, 6B_432/2022 du 23.8.23 ; TF, 6B_430/2022 du 23.8.23 ; TF, 6B_429/2022 du 23.8.23 ; TF, 6B_1341/2021 du 23.8.23 ; TF, 6B_1340/2021 du 23.8.23 ; TF, 6B_1333/2021 du 23.8.23 ;TF, 6B_1329/2021 du 23.8.23 ; TF, 6B_1328/2021 du 23.8.23 ; TF, 6B_1326/2021 du 23.8.23.↩︎
- TF, 6B_1194/2022 du 23.8.23 ; TF, 6B_931/2022 du 23.8.23 ; TF, 6B_916/2022 du 23.8.23 ; TF, 6B_915/2022 du 23.8.23.↩︎
- TF, 6B_442/2022 du 23.8.23 ; TF, 6B_440/2022 du 23.8.23 ; TF, 6B_437/2022 du 23.8.23 ; TF, 6B_434/2022 du 23.8.23 ; TF, 6B_432/2022 du 23.8.23 ; TF, 6B_430/2022 du 23.8.23 ; TF, 6B_429/2022 du 23.8.23 ; TF, 6B_1341/2021 du 23.8.23 ; TF, 6B_1340/2021 du 23.8.23 ; TF, 6B_1333/2021 du 23.8.23 ;TF, 6B_1329/2021 du 23.8.23 ; TF, 6B_1328/2021 du 23.8.23 ; TF, 6B_1326/2021 du 23.8.23.↩︎