I. En fait
Par jugement du Tribunal de district de Meilen du 27 avril 2021, A est reconnu coupable de meurtre (art. 112 CP), de tentative de meurtre (art. 112 cum 22 al. 1 CP), ainsi que de tentative d’escroquerie (art. 146 al. 1 cum 22 al. 1 CP). Il est condamné à une peine privative de liberté à vie ainsi qu’aux frais de la procédure. En outre, il est reconnu débiteur envers les parties plaignantes d’une indemnité de CHF 24’300.- chacune pour trois d’entre elles, puis de CHF 8’500.- pour une autre (art. 433 CPP).
Par annonce d’appel du 4 mai 2021, A conteste le jugement de première instance.
Le jugement de première instance motivé est notifié au conseil de A le 9 décembre 2021.
A décède en détention le 27 décembre 2021. Son conseil d’office dépose une déclaration d’appel motivée le 29 décembre 2021, en concluant au classement de la procédure.
Par jugement du 28 novembre 2022, la Cour d’appel du canton de Zurich classe la procédure pénale et constate que le jugement rendu en première instance est devenu sans objet. Les parties plaignantes sont renvoyées à agir par la voie civile pour faire valoir leurs prétentions à l’encontre de A. Les frais judiciaires de la procédure d’appel, les frais de la procédure préliminaire et ceux de la procédure de première instance sont laissés à charge de l’État, tout comme les dépens des quatre parties plaignantes pour l’ensemble de la procédure pénale.
Le Ministère public interjette recours au Tribunal fédéral contre ce jugement.
II. En droit
Le Parquet soutient que l’autorité précédente aurait dû refuser d’entrer en matière sur l’appel en raison, d’une part, de l’existence d’un empêchement de procéder du fait du décès du prévenu et, d’autre part, de l’irrecevabilité de la déclaration d’appel, déposée par le défenseur de A alors qu’il ne disposait plus de pouvoirs de représentation en raison du décès de son mandant. Le Ministère public fait valoir que l’instance précédente aurait par conséquent dû refuser d’entrer en matière sur l’appel, en application de l’art. 403 al. 1 lit. a et c CPP (c. 2.1).
Notre Haute Cour indique d’abord que, conformément à l’art. 399 al. 2 CPP, l’autorité d’appel est « saisie » de l’affaire (i.e devient direction de la procédure) dès réception du jugement motivé de première instance, accompagné du dossier de la cause. Se référant ensuite à sa jurisprudence constante, elle rappelle que le décès du prévenu pendant la procédure d’appel entraîne le classement de la procédure (not. TF 6B_975/2021 du 7.9.2022, c. 1.1 avec renvoi aux art. 319 al. 1 let. d et 403 al. 1 let. c CPP). En effet, conformément à l’art. 329 al. 4 CPP, applicable par renvoi à la procédure d’appel, lorsqu’un jugement ne peut définitivement pas être rendu, il existe un empêchement de procéder qui doit conduire le tribunal à classer la procédure. Il doit cependant donner l’occasion à toutes les parties et aux éventuels tiers concernés de se déterminer avant de se prononcer. Ainsi, si comme dans le cas d’espèce, le décès du prévenu intervient alors que l’autorité d’appel est saisie de la cause, la procédure doit être classée (c. 2.2).
Selon le Tribunal fédéral, vu les considérations qui précèdent, point n’est besoin d’examiner la recevabilité de la déclaration d’appel déposée par le défenseur de A, le seul élément pertinent étant de savoir si le jugement de première instance est, ou non, entré en force avant le décès de A. Sur ce point, la doctrine relève que si le prévenu décède avant l’expiration du délai de recours (Rechtsmittelfrist) ou après avoir déposé son appel, le jugement de première instance n’est pas encore entré en force. Le décès du prévenu ne peut effectivement pas être considéré comme une renonciation à faire appel ou un retrait de l’appel. De même, il ne peut lui être reproché d’avoir laissé expirer le délai d’appel sans l’utiliser ou de ne pas avoir déposé une déclaration d’appel en bonne et due forme. Au contraire, son décès pendant cette phase de la procédure pénale empêche définitivement l’entrée en vigueur du jugement de première instance. Seul un classement entre alors en ligne de compte. Ainsi, la doctrine ajoute que même dans l’hypothèse où la déclaration d’appel serait irrecevable et que l’instance d’appel devait refuser d’entrer en matière sur celle-ci en raison d’un empêchement de procéder (art. 403 al. 1 let. c CPP), le jugement de première instance ne pourrait pas entrer en force selon l’art. 437 al. 1 let. c CPP dès lors que le prévenu est décédé. Seul un classement au sens de l’art. 329 al. 4 CPP pourrait être prononcé (<span style= »font-variant: small-caps; »>Lieber</span>, in : Kommentar zur Schweizerischen Strafprozessordnung [StPO], Donatsch/Lieber/Summers/Wohlers [édit.], 3e éd. 2020, art. 382 n 21 StPO avec références, notamment OGer BE BK 2020 444 du 11.1.2021, c. 6.1) (c. 2.3)
Au vu des éléments qui précèdent, c’est à juste titre que l’instance inférieure a classé la procédure pénale sur la base de l’art. 329 al. 4 CPP, applicable par renvoi. Le Tribunal fédéral souligne également que dans la mesure où la recevabilité de la déclaration d’appel n’a pas eu d’incidence sur le classement de la procédure, le fait que l’autorité précédente n’a pas répondu au grief relatif au pouvoir de représentation du défenseur au moment de déposer la déclaration d’appel ne constitue pas une violation du droit d’être entendu (c. 2.4).
Le recours du Ministère public est par conséquent rejeté (c. 3).
III. Commentaire
Cette jurisprudence doit être approuvée, dans la mesure où elle réaffirme le principe selon lequel le décès du prévenu pendant le délai d’appel ou au cours de la procédure d’appel impose un classement de la procédure. Il apparaît effectivement justifié qu’un jugement ne puisse pas entrer en force tant qu’il est contesté. Outre cette justification, le principe in dubio pro reo, émanation de la présomption d’innocence, certes non évoquée par le Tribunal fédéral, impose selon nous également cette conclusion.
Les conséquences du décès d’un prévenu dépendent ainsi du moment auquel il intervient :
- si le prévenu décède durant la procédure préliminaire : la procédure est classée (art. 319 al. 1 let. d CPP) ;
- si le prévenu décède durant la procédure de première instance : la procédure est classée (art. 329 al. 4 CPP) ;
- si le prévenu décède avant l’échéance du délai d’annonce d’appel (art. 399 al. 1 CPP) ou avant l’échéance du délai pour déposer la déclaration d’appel après avoir annoncé faire appel (art. 399 al. 3 CPP) : la procédure est classée (art. 329 al. 4 CPP par renvoi de l’art. 405 al. 1 CPP ; art. 403 al. 1 let. c CPP) ;
- si le prévenu décède après l’échéance des délais de la procédure d’appel (art. 399 al. 1 ou 3 CPP) sans avoir usé de ses droits : le jugement de première instance entre définitivement en force (sous réserve à notre avis d’un motif de restitution de délai au sens de l’art. 94 CPP qui serait notamment lié à l’état de santé du prévenu avant son décès l’ayant empêché de procéder. Une telle hypothèse devrait être limitée au cas d’un prévenu non assisté, dont les proches seraient alors fondés à agir en son nom, moyennant l’existence pour eux d’un intérêt juridiquement protégé selon l’art. 382 al. 3 CPP) ;
- si le prévenu décède durant le délai de recours au Tribunal fédéral, ou après avoir déposé un recours au Tribunal fédéral, le jugement d’appel est déjà entré en force (art. 437 al. 3 CPP), de sorte qu’aucun classement ne peut intervenir en application du CPP. Les proches du défunt peuvent toutefois se voir reconnaître une qualité pour recourir au Tribunal fédéral, respectivement continuer la procédure, dans les limites de leur intérêt juridiquement protégé, soit uniquement sur le plan civil, et non sur le plan pénal (not. TF 6B_975/2021 du 7.9.2022, c. 1.1) ;
Si le ministère public et/ou la partie plaignante saisissent l’autorité d’appel, sans que le prévenu condamné ne conteste le jugement de première instance, ce dernier n’entre pas non plus en force. Se pose dès lors la question des conséquences du décès du prévenu en pareille hypothèse. A notre avis, en application des principes tirés du présent arrêt, seul un classement devrait également être prononcé, la procédure étant dans ce cas aussi frappée d’un motif d’empêchement de procéder.
Hormis les principes exposés ci-dessus, la présente affaire a également permis au Tribunal cantonal zurichois de se prononcer sur l’ensemble des conséquences du classement intervenu ensuite du décès du prévenu. En particulier, les questions de la levée des mesures de contrainte, notamment les séquestres, et la mise à la charge des indemnités de procédure ont été tranchées dans le détail (Oger ZH SB210619-O/U/cwo du 28.11.2022), points n’ayant pas été spécifiquement rediscutés devant le Tribunal fédéral, au vu des conclusions prises par le Ministère public zurichois :
- l’ensemble des frais de procédure et les indemnités accordées aux parties plaignantes en application de l’art. 433 CPP doivent être laissés à la charge de l’Etat (cf. ég. TF 6B_614/2013 du 29.8.2013, c. 2.4).
À ce sujet, l’Obergericht zurichois distingue les faits reconnus de ceux contestés par le prévenu. Il parvient à la conclusion que s’il n’était pas décédé, A aurait dû supporter les frais liés aux comportements qu’il avait admis en application de l’art. 426 al. 2 CPP, vu leur caractère fautif sur le plan civil. Toutefois, la Cour cantonale a estimé que la succession de A ne pouvait pas hériter d’une telle dette envers l’Etat, faute de base légale expresse du CPP dans ce sens. La lettre de l’art. 426 CPP limite effectivement la mise à la charge des frais au prévenu seul. En revanche, pour l’ensemble des faits contestés, l’Obergericht zurichois a considéré, à juste titre, que la présomption d’innocence empêchait toute condamnation du prévenu à supporter les frais qui en découlent (cf. TF 6B_1306/2021 du 8.8.2022, c. 2.3 (c. VI/point 4.3).
- corollairement, les séquestres prononcés sur les valeurs patrimoniales du prévenu en vue de garantir le paiement des frais et indemnités doivent être levés (c. V/point 8.1 ss). Plus généralement, l’Obergericht zurichois relève, à raison, que le classement de la procédure supprime tout lien délictuel entre les biens confisqués et la procédure pénale ;
- les parties plaignantes sont renvoyées à agir devant les autorités civiles pour faire valoir leurs prétentions civiles à l’encontre du prévenu décédé, respectivement contre sa succession (art. 320 al. 3 cum art. 329 al. 4 CPP) (c. IV) ;
- sur la question des prétentions en indemnisation formulées par le prévenu de son vivant (art. 429 CPP), lequel concluait à son acquittement complet, l’Obergericht relève une nouvelle fois les faits que le prévenu a admis pour déterminer si l’application de l’art. 430 CPP peut entrer en ligne de compte. Comme pour la question des frais, le Tribunal cantonal considère que les agissements non contestés du prévenu constituent des atteintes à la personnalité de son épouse (art. 28 ss CC), de sorte que ce dernier a fautivement provoqué l’ouverture de la procédure à son encontre (art. 430 al. 1 let. a CPP). Les indemnités requises par A sont ainsi intégralement rejetées (c. VII/point 6.1 ss).
Sur ce dernier point, la cour cantonale semble traiter de manière différenciée la création d’une nouvelle dette à la charge des héritiers du prévenu à raison des frais, proscrite faute de base légale, de la naissance d’une créance en leur faveur, pourtant toutes deux issues de l’application du CPP. En outre, et contrairement à la distinction opérée entre les faits admis et ceux contestés par le prévenu s’agissant des frais, elle rejette en bloc la totalité de l’indemnité requise.
À notre avis, cette solution est doublement critiquable. D’une part, elle paraît contradictoire avec le raisonnement retenu s’agissant des frais. On peine effectivement à comprendre pour quelle raison une indemnité réduite n’a pas été allouée concernant la défense et la privation de liberté liées aux faits contestés par le prévenu, afin de respecter le principe de la présomption d’innocence. D’autre part, cette solution nous paraît contraire au principe bien établi selon lequel « si les frais ont été supportés par la caisse de l’État, le prévenu dispose d’un droit à une indemnité » (ATF 145 IV 94, c. 2.3.2 et références citées ; TF 6B_1065/2015 du 15.9.2016 c. 2.2).