Notification d’une ordonnance pénale par voie édictale contre un prévenu placé en détention provisoire

La notification d’une ordonnance pénale par publication dans la Feuille d’avis officielle (art. 88 CPP) alors que le prévenu se trouve en détention provisoire constitue une irrégularité, mais pas un motif de nullité de la décision. Le vice ne doit entraîner aucun préjudice pour le prévenu, qui peut dès lors former opposition à l’ordonnance pénale dès qu’il a pu en prendre connaissance. Dans ce cadre, il reste tenu de se conformer au principe de la bonne foi, sous peine de se voir opposer l’irrecevabilité de son moyen pour cause de tardiveté.

I. En fait

A, ressortissant français, est entendu par la police en qualité de prévenu à la suite d’un conflit survenu avec plusieurs personnes, qui lui reprochaient de les avoir menacées avec un couteau. À l’issue de son audition, il déclare ne pas avoir de domicile de notification en Suisse, mais donne son adresse en France. 

Par ordonnance pénale du 25 septembre 2020, le Ministère public genevois condamne A à une peine de 180 jours-amende à CHF 90.- le jour, sous déduction d’un jour de détention avant jugement.

Le pli contenant l’ordonnance pénale est envoyé par courrier recommandé à l’adresse indiquée par A lors de son audition, mais est retourné au Ministère public avec la mention « destinataire inconnu à l’adresse ». Après une recherche auprès du Centre de coopération policière et douanière (CCPD), les autorités françaises communiquent une autre adresse au Ministère public, qui y envoie l’ordonnance pénale, laquelle lui est une nouvelle fois retournée avec la même mention. 

Le 30 octobre 2020, le Ministère public vaudois sollicite, dans le cadre d’une enquête menée pour brigandage, l’aide de son homologue genevois afin d’interpeller A, qui semblait résider à une certaine adresse à Genève. A est alors arrêté, puis placé en détention provisoire dans le canton de Vaud. 

Le 2 décembre 2020, alors que A se trouvait encore en détention provisoire, le Ministère public genevois fait publier le dispositif de l’ordonnance pénale du 25 septembre 2020 dans la feuille d’avis officielle genevoise (FAO).

Le 20 juillet 2021, toujours par publication dans la FAO, A se voit impartir un délai de 30 jours pour régler la peine pécuniaire à laquelle il a été condamné, à défaut de quoi le dossier serait transmis au Service de l’application des peines et mesures (SAPEM) « en vue de sa détention ». Faute de paiement dans le délai imparti, la peine pécuniaire est convertie en 179 jours de peine privative de liberté. 

Le 30 juillet 2022, A est incarcéré à Genève en exécution de la peine précitée, ainsi que d’une autre peine privative de liberté infligée par le biais d’une autre ordonnance pénale.

Le surlendemain, soit le 1er août 2022, l’avocat de A écrit au SAPEM pour demander à quelle condamnation correspondait la conversion de la peine pécuniaire. Le jour même, le SAPEM requiert de l’avocat la production d’une procuration, qui ne lui est transmise que le 11 novembre 2022, soit plus de trois mois après. 

Par courriel du 14 novembre 2022, le SAPEM transmet au conseil de A l’ordre d’exécution mentionnant les peines exécutées par ce dernier. L’avocat répond que sa demande visait l’ordonnance pénale du 25 septembre 2020 et son caractère exécutoire, respectivement sa « notification régulière ». Le SAPEM l’informe que l’ordonnance pénale a été notifiée le 2 décembre 2020 dans la FAO et lui transmet le lien vers le site de celle-ci, avec le numéro de procédure.

Le 3 janvier 2023, A écrit au Ministère public à propos de l’ordonnance pénale du 25 septembre 2020, qu’il demande à pouvoir consulter, soutenant n’avoir « rien signé ». Dans sa réponse du 19 janvier suivant, le Ministère public demande à A s’il doit considérer son courrier comme une opposition formelle à l’ordonnance pénale, dont il joint une copie, précisant que cet envoi ne vaut pas nouvelle notification. 

Le 23 janvier 2023, A forme opposition à l’ordonnance pénale. 

Le Ministère public transmet la procédure au Tribunal de police afin qu’il statue sur la validité de l’ordonnance pénale et de l’opposition. Ce dernier constate l’irrecevabilité de l’opposition de A, décision confirmée par la Chambre pénale de recours de la Cour de justice.

A forme recours au Tribunal fédéral. Il sollicite l’assistance judiciaire. 

II. En droit

Le Tribunal fédéral énonce les principes applicables à la notification de l’ordonnance pénale, qui doit avoir lieu par écrit, contre accusé de réception, au domicile ou au lieu de résidence habituelle du destinataire (art. 353 al. 3, 85 et 87 CPP). L’art. 88 al. 1 let. a CPP permet une notification par publication dans la Feuille officielle lorsque le lieu de séjour du destinataire est inconnu et n’a pas pu être déterminé en dépit des recherches qui peuvent raisonnablement être exigées. Avant de pouvoir envisager une telle notification, le ministère public doit toutefois avoir entrepris des démarches approfondies pour localiser le prévenu (ATF 148 IV 362, c. 1.2) (c. 1.2). 

Le Tribunal fédéral rappelle ensuite que le CPP ne prévoit pas de sanction en cas de non-respect des règles sur la notification. La jurisprudence distingue à cet égard entre la notification irrégulière et l’absence totale de notification. Dans ce dernier cas, le jugement n’en est pas encore un, il n’est qu’un projet dénué d’effets juridiques. Quant à la notification irrégulière, elle ne doit entraîner aucun préjudice pour les parties, mais ne frappe pas nécessairement de nullité la décision en cause. La protection des parties est suffisamment assurée lorsque la notification irrégulière atteint son but malgré son vice. Il faut examiner, d’après les circonstances du cas concret, si la partie intéressée a réellement été induite en erreur par l’irrégularité et a, de ce fait, subi un préjudice. (ATF 122 I 97, c. 3aa). Le délai pour attaquer un acte notifié de façon irrégulière court dès le jour où le destinataire a pu en prendre connaissance, dans son dispositif et ses motifs. En vertu du principe de la bonne foi, l’intéressé est toutefois tenu de se renseigner sur l’existence et le contenu de la décision dès qu’il peut en soupçonner l’existence, sous peine de se voir opposer l’irrecevabilité d’un éventuel moyen pour cause de tardiveté (ATF 139 IV 228, c. 1.3) (c. 1.3). 

En l’espèce, le Tribunal fédéral retient, avec les autorités précédentes, que la notification de l’ordonnance pénale par voie édictale, alors que le Ministère public savait que A avait été placé en détention provisoire dans le canton de Vaud, était irrégulière. Ce nonobstant, cette irrégularité n’a pas rendu nul le prononcé en cause. Il s’agit dès lors de déterminer à quelle date le recourant a eu une connaissance suffisante de son existence et de son contenu pour lui permettre de faire valoir ses droits, concrètement de former opposition (c. 1.4).

Le Tribunal fédéral relève d’abord que le recourant est à l’origine des difficultés procédurales auxquelles il s’est trouvé confronté. Il se savait partie à une procédure judiciaire et était tenu de relever son courrier ou, en cas d’absence, de prendre des dispositions pour que celui-ci lui parvienne (cf. ATF 146 IV 30, c. 1.1.2). Il doit dès lors se voir reprocher d’avoir donné aux autorités une adresse à laquelle il s’est avéré être inconnu. Cet élément doit être pris en compte, même s’il n’exonérait pas le Ministère public de procéder à une notification régulière (c. 1.6). 

Ensuite, le Tribunal fédéral rappelle qu’en vertu du principe de la bonne foi, il appartenait à A de se renseigner sur l’existence et le contenu des décisions en vertu desquelles il s’était trouvé incarcéré à compter du 30 juillet 2022. Notre Haute Cour ne s’explique pas le laps de temps écoulé entre le courrier de son avocat du 1er août 2022 et le moment auquel ce dernier a produit la procuration requise par le SAPEM (le 11 novembre 2022). Quoi qu’il en soit, l’échange de courriels avec cette autorité en date du 14 novembre 2022 a permis au recourant, assisté de son conseil, de disposer d’un ordre d’exécution contenant les décisions exécutées et les infractions retenues, mais aussi d’accéder à la publication en ligne dans la FAO, et donc de prendre connaissance du dispositif de l’ordonnance pénale litigieuse. Le recourant était alors à même de « comprendre les circonstances de sa condamnation ». Rappelant que, conformément à l’art. 354 al. 2 CPP, l’opposition du prévenu n’a pas à être motivée, le Tribunal fédéral retient que, à compter du 14 novembre 2022, le recourant disposait de suffisamment d’éléments pour former utilement opposition à l’ordonnance pénale. En procédant en ce sens le 3 janvier 2023 seulement, il a agi tardivement (c. 1.6). 

Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours, ainsi que la demande d’assistance judiciaire, le recours étant dénué de chances de succès (c. 2).  

III. Commentaire 

La notification irrégulière de l’ordonnance pénale retenue par les autorités cantonales n’est pas remise en cause par le Tribunal fédéral, à juste titre : la détention du recourant fondait en effet un nouveau « lieu de résidence habituelle » au sens de l’art. 87 al. 1 CPP, de sorte que les décisions le concernant devaient lui être notifiées directement en prison, et non par voie édictale, cette dernière supposant que le lieu de séjour soit inconnu (art. 88 al. 1 let. a CPP). Le Ministère public savait que A se trouvait en détention provisoire dans le canton de Vaud, ayant été sollicité par son homologue vaudois afin de procéder à son interpellation à Genève pour les besoins d’une autre procédure. On peut se demander si la conclusion aurait été la même en l’absence d’une telle demande de la part des autorités vaudoises (qui auraient par hypothèse arrêté le recourant alors qu’il se trouvait dans le canton de Vaud). La formule veut que le Ministère public soit « un et indivisible », de sorte qu’il ne peut ignorer – pour des motifs d’organisation interne ou de circulation de l’information – l’existence de procédures parallèles contre un même prévenu ; toutefois, cette indivisibilité ne vaut en principe qu’au sein d’un même office (CJ GE, ACPR/77/2017, 20.2.2017, c. 4.3 ; Piquerez/Macaluso, Manuel de procédure pénale suisse, 2011,N 712). 

Le Tribunal fédéral refuse de voir dans cette notification viciée un motif de nullité de l’ordonnance pénale et applique sa jurisprudence selon laquelle le délai pour attaquer l’acte court dès que le destinataire a pu en prendre connaissance « dans son dispositif et ses motifs ». Cette condition pose problème en cas de notification par voie édictale, qui ne porte par définition que sur le dispositif de la décision (cf. art. 88 al. 3 CPP). Sans relever cette contradiction, le Tribunal fédéral considère que les informations fournies par le SAPEM – ordre d’exécution et lien vers la publication dans la FAO – étaient en l’occurrence suffisantes pour que le recourant, assisté d’un conseil, comprenne les circonstances de sa condamnation, faisant ainsi courir le délai d’opposition de dix jours. Ce raisonnement revient toutefois à instaurer un régime moins protecteur en cas de notification irrégulière d’une ordonnance pénale : à suivre notre Haute Cour, le destinataire serait alors tenu de se renseigner activement sur l’existence du prononcé, qui pourrait lui être communiqué par un simple e-mail, émanant d’une autorité qui n’a pas elle-même ordonné la décision, le tout sous une forme qui ne lui permet pas de prendre connaissance de ses motifs, mais seulement de son dispositif. 

À cela s’ajoute que la peine prononcée était de 180 jours-amende, soit le maximum légal pour une ordonnance pénale (art. 352 al. 1 let. b CPP), dépassant largement le cas de peu de gravité justifiant la mise en œuvre d’une défense d’office (art. 132 al. 3 CPP). Enfin, et surtout, le mode de notification choisi, par publication, a eu pour conséquence de convertir cette peine pécuniaire en une peine privative de liberté et de priver de facto le recourant de toute possibilité de prendre effectivement connaissance de sa condamnation – les détenus vaudois ont-ils seulement accès à la FAO genevoise ? – jusqu’à ce qu’il soit finalement arrêté pour l’exécuter.

Certes, cette solution se justifie par les particularités du cas d’espèce, et les interrogations du Tribunal fédéral sur la bonne foi du recourant, introuvable à l’adresse qu’il avait donnée à la police (sur l’obligation du prévenu de collaborer à cet égard, cf. ATF 149 IV 9, c. 5.2.4), ainsi que sur le délai étonnement long qui s’est écoulé avant que son conseil ne produise une procuration. On peut toutefois espérer que, dans d’autres circonstances, le résultat aurait été différent.

Proposition de citation : Alexandre Guisan, Notification d’une ordonnance pénale par voie édictale contre un prévenu placé en détention provisoire, in : https://www.crimen.ch/260/ du 5 avril 2024