I. En fait
Après avoir constaté le décès de son amie intime C.B à son domicile, A a habillé d’une chaussette son pied gauche, puis a déposé un pantalon court et deux couvertures sur la dépouille. Il est resté dans l’appartement durant plusieurs heures et n’a pas ouvert la porte à l’aide-soignante qui s’est présentée au domicile de C.B. Il a tenté de contacter téléphoniquement les secours, mais n’y est pas parvenu en raison d’un dysfonctionnement. A n’a pas signalé le décès de son amie, dont le corps a finalement été découvert deux semaines plus tard dans un état d’altération avancé. Aucun élément permettant de soupçonner une cause traumatique n’a été mis en évidence dans le cadre des investigations médico-légales visant à déterminer l’origine du décès de C.B, qui souffrait d’une pathologie cardiaque.
A est atteint de schizophrénie paranoïde continue ainsi que de troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation de substances psychoactives multiples. Il n’était pas en mesure d’apprécier le caractère illicite de ses actes ou de se déterminer d’après cette appréciation au moment des faits.
Par jugement du 31 mars 2023, le Tribunal correctionnel de l’arrondissement de l’Est vaudois a notamment constaté la réalisation par A des conditions objectives de l’infraction d’atteinte à la paix des morts, l’a déclaré pénalement irresponsable des actes qui lui étaient imputés et a ordonné la mise en œuvre d’une mesure thérapeutique institutionnelle au sens de l’art. 59 CP.
Par jugement du 4 octobre 2023, la Cour d’appel pénale du Tribunal cantonal vaudois a rejeté l’appel de A notamment en tant qu’il contestait avoir réalisé les éléments constitutifs de l’art. 262 CP et le prononcé de la mesure.
A forme recours auprès du Tribunal fédéral et conclut à l’annulation de la décision entreprise et au renvoi de la cause au Tribunal cantonal pour nouveau jugement, subsidiairement à la réforme de cette décision en ce sens qu’il soit en particulier acquitté de l’infraction d’atteinte à la paix des morts et qu’aucune mesure ne soit prononcée à son encontre. Cette contribution se concentrera sur la réalisation de l’infraction d’atteinte à la paix des morts par omission.
II. En droit
Le recourant conteste la réalisation des éléments constitutifs objectifs de l’infraction d’atteinte à la paix des morts. Il a un intérêt juridique (art. 81 al. 1 let. b LTF) à élever ce grief puisque la réalisation de cette infraction conditionne notamment le prononcé d’une mesure à son encontre (c. 4).
L’art. 262 ch. 1 al. 3 CP interdit la profanation d’un cadavre humain. Il s’agit d’une infraction contre la paix publique, qui protège le sentiment de piété à l’égard des morts, considéré de manière générale et non restreint aux émotions des seuls proches du défunt. La notion de profanation englobe tout mauvais traitement infligé à une dépouille, qu’elle soit détroussée, mutilée ou l’objet de tout autre geste de mépris ou de dépréciation, ce qui inclut tout acte inutile, soit toute action commise sur un cadavre qui ne repose sur aucun motif spécifique légitime. Plus que l’atteinte portée à l’intégrité de l’enveloppe charnelle en tant que telle, c’est la compatibilité du comportement de l’auteur avec les normes sociales qui détermine la réalisation de cet élément objectif (TF 6B_994/2021 du 27.1.2023, c. 2.3) (c. 4.2).
L’infraction de résultat réprimée par l’art. 262 CP est susceptible d’être réalisée par omission (TF 6B_969/2009 du 25.1.2010, c. 1.3), c’est-à-dire par un comportement passif contraire à une obligation d’agir (art. 11 al. 1 CP). Reste passif en violation d’une obligation d’agir celui qui n’empêche pas la mise en danger ou la lésion d’un bien juridique protégé par la loi pénale bien qu’il y soit tenu en raison de sa situation juridique. L’art. 11 al. 2 CP énumère plusieurs sources pouvant fonder une position de garant, à savoir la loi, un contrat, une communauté de risques librement consentie ou la création d’un risque. N’importe quel devoir légal d’agir ne suffit pas : seule une obligation juridique qualifiée, c’est-à-dire spécifique et impérieuse, est susceptible de fonder une position de garant. L’auteur doit s’être trouvé dans une situation qui l’obligeait à protéger un bien déterminé contre des dangers indéterminés, ou à empêcher la réalisation de risques connus auxquels des biens indéterminés étaient exposés dans une mesure telle que son omission peut être assimilée au fait de provoquer le résultat par un comportement actif (art. 11 al. 2 et 3 CP; ATF 134 IV 255, c. 4.2.1). Pour des raisons liées aux principes de légalité et de sécurité du droit, il convient d’interpréter de manière restrictive la possibilité laissée par l’art. 11 CP de consacrer jurisprudentiellement d’autres sources d’obligations d’agir (c. 4.3).
En l’espèce, la Cour cantonale a retenu que le recourant était l’ami intime de la défunte, avec laquelle il formait également une communauté de risque liée à la consommation de substances psychoactives, qu’il séjournait régulièrement chez elle, se trouvait auprès de la jeune femme avant, vraisemblablement pendant et juste après le décès de celle-ci, qu’il disposait d’un libre accès à l’appartement, y avait fait des allers-retours durant les quinze jours ayant suivi le décès et en avait la maîtrise exclusive. Selon l’instance précédente, la communauté de vie et les liens affectifs unissant les jeunes gens permettaient dès lors de retenir une position de garant. Le recourant estime qu’il ne pourrait pas lui être adressé le même reproche que s’il avait commis l’infraction par un comportement actif. Seule pourrait lui être imputée l’omission de ne pas avoir averti les autorités compétentes au sens de l’art. 34a de l’Ordonnance sur l’état civil (OEC), mais non d’avoir laissé ou mis le corps dans un état indécent, car la dégradation de l’état de la dépouille a résulté exclusivement de processus naturels (c. 4.4).
Pour retenir une position de garant, il faut établir un lien particulier entre celui qui a omis d’agir et l’atteinte au bien juridiquement protégé par la norme pénale. En l’espèce, l’art. 262 CP protège le sentiment de piété des tiers dans une perspective de paix publique et ne consacre donc pas un bien juridique qui appartiendrait à la personne décédée. Les liens qui unissaient le recourant et la défunte ne font par conséquent pas naître d’obligation à sa charge vis-à-vis des proches de cette dernière ou d’autres tiers. Il est par ailleurs douteux que l’art. 34a de l’Ordonnance sur l’état civil (OEC) puisse fonder une obligation de préserver le sentiment de piété et la paix publique dans la mesure où cette disposition a pour but d’assurer le fonctionnement de l’état civil. Toutefois, le droit cantonal vaudois institue une obligation spécifique d’annoncer le décès. En effet, conformément à l’art. 7 al. 1 du Règlement vaudois sur les décès, les sépultures et les pompes funèbres du 12 septembre 2012 (RDSPF), dans les douze heures, ou au plus tard à l’ouverture des bureaux, la personne responsable ou son représentant annonce le décès au préposé du lieu du décès ou de la découverte du corps, et lui transmet l’exemplaire du certificat médical qui lui est destiné. Par la personne responsable, il faut entendre celle chargée par la législation fédérale et cantonale en matière d’état civil de l’annonce des décès auprès de l’état civil et de l’administration communale (art. 2 al. 1 let. a RDSPF). Conformément à l’art. 34a al. 1 let. b OEC, sont notamment tenus d’annoncer les décès le conjoint ou le partenaire survivant, les proches parents ou les personnes vivant sous le même toit ou toute autre personne qui a assisté au décès ou qui a découvert le corps. L’art. 7 al. 1 RDSPF a pour but d’informer l’autorité responsable du bon déroulement des cérémonies funèbres du décès et, partant, de garantir une prise en charge de la dépouille respectant les normes sociales. Il ne fait ainsi aucun doute que cette obligation d’annonce, à côté d’autres buts, participe du maintien de la paix publique et protège le sentiment de piété de tout un chacun envers un défunt. L’obligation d’annoncer le décès pèse notamment sur celui qui découvre un cadavre. Elle tend à assurer le respect de normes sociales essentielles et, par là même, en sus d’évidentes contingences sanitaires, la paix publique par la protection du sentiment de piété envers la dépouille d’un défunt, dont tout un chacun est susceptible d’être titulaire et garant (c. 4.5).
En l’espèce, il est établi que le recourant est la première personne à avoir constaté le trépas, ce qui suffit à fonder, en application du droit cantonal, l’obligation d’annonce du décès à l’autorité compétente pour assurer le bon déroulement de la prise en charge du corps et en éviter la décomposition dans des circonstances dénuées de toute dignité et susceptibles d’atteindre le sentiment de piété. Compte tenu du caractère inéluctable de la dégradation de l’enveloppe charnelle en l’absence de toute mesure adéquate et du droit des proches à la protection de leur sentiment de piété au travers de leur liberté personnelle (art. 10 Cst ; ATF 129 I 173, c. 2.1), l’omission du recourant, qui a empêché la prise de ces mesures durant quinze jours et a donc laissé la dépouille parvenir à un état de putrescence avancé, apparaît en tout point assimilable au fait de provoquer activement une atteinte au sentiment de piété par des gestes empreints de mépris ou de dépréciation (c. 4.6).
Le recours est rejeté dans la mesure de sa recevabilité (c. 8).
III. Commentaire
Le Tribunal fédéral a admis en 2010 que le fait de laisser le corps très abîmé d’une personne décédée à la suite d’un accident de montagne dans un tel état pendant deux jours dénotait un grave manque de respect lésant le sentiment de piété des proches du défunt et que cette omission constituait ainsi un acte de profanation au sens de l’art. 262 CP (TF 6B_969/2009 du 25.1.2010). La cause avait toutefois été renvoyée à l’instance précédente afin qu’elle détermine si les prévenus, employés d’une entreprise de pompes funèbres, avaient une position de garant au sens de l’art. 11 CP. À l’inverse, dans un arrêt du 12 mai 2016, le Tribunal cantonal vaudois a libéré le prévenu du chef de prévention de commission par omission de l’art. 262 CP alors que ce dernier avait attendu trois jours avant d’annoncer le décès de sa mère, période durant laquelle il avait consulté du matériel pornographique à proximité de la dépouille de cette dernière (Arrêt PE11.019399-MYO/ACP, N°128, c. 7) L’arrêt commenté ici donne ainsi l’occasion au Tribunal fédéral de consacrer pour la première fois une condamnation pour atteinte à la paix des morts commise par omission au sens des art. 11 et 262 CP.
Pour qu’une obligation légale d’agir soit « qualifiée » et qu’elle puisse ainsi fonder une position de garant, il est nécessaire qu’elle tende à la sauvegarde du bien juridique consacré par l’infraction pénale dont la commission par omission est reprochée à l’auteur (Adrian Dan, Le délit de commission par omission : éléments de droit suisse et comparé, Thèse, Genève/Zurich/Bâle 2015,N 212 à 216). En l’espèce, l’art. 7 RDSPF vise notamment à garantir que les dépouilles soient traitées dignement, ce qui coïncide avec le bien juridiquement protégé par l’art. 262 CP. C’est donc en raison d’une norme cantonale que le prévenu était garant de la sauvegarde du sentiment de piété à l’égard de la défunte. Le fait qu’une réglementation cantonale soit à même de fonder une obligation d’agir au sens de l’art. 11 al. 2 let. a CP est admis par la doctrine et conforme au droit (Dan, N 229 ; TF 6B_804/2019 du 9.10.2019, c. 1.2 ; TF 6B_15/2007 du 9.5.2007, c. 5.3.2.2). Cela signifie toutefois que la position de garant du prévenu et partant la réalisation des éléments constitutifs de l’art. 262 CP auraient vraisemblablement dû être niés si les mêmes faits avaient eu lieu dans un canton ne disposant pas d’une législation similaire à celle du canton de Vaud, ce qui pourrait remettre en cause l’application uniforme du droit fédéral.
Dans tous les cas, cet arrêt met en évidence l’obligation faite par la conjonction du droit vaudois et de l’art. 262 CP à toute personne présente sur le territoire cantonal de signaler à l’autorité compétente le décès qu’elle a constaté, indépendamment du lien l’unissant au défunt, sous peine de se voir reprocher la réalisation de l’infraction d’atteinte à la paix des morts en cas de dégradation de la dépouille consécutive à son omission.