I. En fait
A souffre de graves troubles psychotiques incluant notamment des hallucinations qu’elle attribue au diable. Ses thérapeutes confirment que ses troubles se manifestent notamment par une incapacité à dire « non ». En 2012, traversant une phase difficile, A téléphone à C, « guérisseur » exerçant une activité de bio-énergéticien, qui rappelle A dans le courant de la journée, lui confirme que quelqu’un lui a fait du mal, que le diable est sur elle et affirme pouvoir l’aider. C insiste pour qu’ils se rencontrent à une gare. Il s’y rend en voiture, fait monter A dans son véhicule, lui lit une sourate, s’approche d’elle, lui touche ses parties intimes, puis tente de l’embrasser. A proteste et C la ramène chez elle.
Le lendemain, C téléphone à A et lui ordonne de coucher avec lui dans le cadre du « processus de guérison » en la mettant en garde des conséquences d’un refus. A se plie aux ordres, suit C dans sa chambre « sans trop savoir pourquoi », se dévêtit à la demande de C et ils entretiennent un rapport sexuel. Dans le cadre desdits rituels, A et C se revoient au domicile de C deux ou trois fois au cours de l’année 2012. À chaque reprise, C convainc A de l’aide qu’il peut lui apporter et du mauvais œil qui est sur elle, et ils entretiennent des rapports sexuels.
Par jugement du 17 mars 2023, le Tribunal correctionnel de l’arrondissement de la Broye et du Nord vaudois acquitte C des chefs d’accusation de viol (art. 190 aCP) et de contrainte sexuelle (art. 189 aCP). Le Tribunal libère également C du chef d’abus de la détresse (art. 193 CP) au motif que l’infraction est prescrite.
Par arrêt du 4 septembre 2023, la Cour d’appel pénale du canton de Vaud rejette l’appel formé par A et confirme le jugement de première instance.
A forme recours en matière pénale devant le Tribunal fédéral à l’encontre de cette décision en concluant à son annulation et au renvoi de la cause à l’instance précédente en vue de la condamnation de C pour viol (art. 190 aCP) notamment.
II. En droit
Le TF rappelle que le juge appliquera les art. 189 et 190 aCP plutôt que l’art. 193 CP lorsque l’auteur excède la seule exploitation du lien de dépendance en remplissant deux conditions cumulatives : d’une part, lorsque qu’il contribue de manière active à la création d’une situation subjectivement sans issue pour la victime et, d’autre part, lorsque la pression exercée atteint l’intensité qui caractérise la contrainte. Les infractions de violence des art. 189 et 190 aCP doivent être interprétées sous l’angle des moyens que la victime a de s’opposer aux actes (ATF 146 IV 153 c. 3.5.9 ; et jurisprudence citée) (c. 3.1.3).
La Cour cantonale a retenu que l’état psychique fragile de A, tel que décrit par ses thérapeutes, était préexistant aux faits de la cause et constituait une circonstance favorisant le développement d’un lien de dépendance entre elle et C. Elle a considéré que C avait profité d’une situation préexistante sans l’avoir créée de manière active et a ainsi retenu l’infraction d’abus de la détresse (art. 193 CP), qui était toutefois prescrite dans le cas d’espèce (art. 97 al. 1 let. c aCP) (c. 3.2).
Le TF procède à une appréciation globale des circonstances concrètes déterminantes (c. 3.3). Il retient qu’il n’existait aucun lien de dépendance de quelque nature que ce soit au sens de l’art. 193 CP au stade de la première rencontre entre A et C, soit la rencontre à la gare. Le lien entre A et C ne pouvait être assimilé à une relation entre un psychothérapeute et sa patiente (ATF 131 IV 114 c. 1 ; et jurisprudence citée). A avait en outre pu exercer un acte de résistance ne permettant ainsi pas d’établir un état de détresse préexistant (c. 3.3.1 2e par.). S’agissant de l’existence d’un lien de dépendance lorsque C ordonne à A de coucher avec lui sous la menace du mal, le TF estime que cette question peut demeurer indécise (c. 3.3.1 3e et 4e par.). Quant aux rencontres suivantes, le TF retient l’existence de rapports sexuels complets à trois reprises (c. 3.3.1 5e par.).
Selon notre Haute Cour, l’ensemble du procédé déployé par C constitue une participation active à la création d’un environnement propre à mener à la subordination de la recourante. En répétant que le mauvais œil était sur la victime et en lui indiquant que le mal lui serait envoyé si elle refusait de coucher avec lui alors que la recourante avait exprimé un refus dans le véhicule la veille, l’intimé a usé de pressions psychiques, respectivement de menaces, amenant A à céder. À l’instar de la juridiction d’appel, le TFqualifie de « stratagème » le procédé de C. Pour la recourante, compte tenu de ses croyances en la magie noire et de ses troubles psychiques, le risque d’être atteinte du mal par le biais du guérisseur était suffisant à lui faire redouter la survenance d’un préjudice sérieux. Sous l’angle des moyens de la victime à s’opposer aux actes, C a brisé la résistance de A. Le TF ajoute que si un consentement de la recourante aux actes sexuels devait être discerné, celui-ci avait été obtenu en tout état de cause par des moyens caractéristiques de la contrainte psychique, allant au-delà d’une quelconque situation de détresse ou d’un lien de dépendance (cf. en ce sens TF 6B_97/2013 du 15.04.2013 c. 3.4.1 et 3.5 ; et jurisprudence citée) (c. 3.3.1 4e par.).
L’instance précédente a ainsi violé le droit fédéral en écartant l’infraction de viol de l’art. 190 aCP. Partant, le recours est admis et la cause renvoyée pour que soit statué sur les conditions subjectives de l’infraction de viol (c. 3.3.1 et 4).
III. Commentaire
À l’aune des nouvelles dispositions du droit pénal en matière sexuelle, entrées en vigueur le 1er juillet 2024, en particulier de la nouvelle définition du viol (art. 190 CP), l’on peut se demander si la Cour cantonale aurait tranché de la même manière aujourd’hui dans la mesure où l’infraction d’abus de détresse (art. 193 CP) a profité du status quo et demeure, en substance, la même qu’avant le 1er juillet 2024, hormis la quotité de la peine et l’intitulé de l’infraction. Au vu du stratagème employé par C et de la qualification de celui-ci de contrainte psychique par notre Haute Cour, la version qualifiée de viol, à savoir l’art. 190 al. 2 CP aurait sans doute été retenue aujourd’hui sous l’angle des conditions objectives de l’infraction.