I. En fait
A installe deux machines à sous incluant des jeux d’argent dans le restaurant de B, soit en dehors d’une maison de jeu disposant des autorisations nécessaires à leur exploitation. Contre rémunération, B rend les machines accessibles à un nombre illimité de joueurs potentiels du 20 au 24 mars 2017. Le 18 octobre 2018, la Commission fédérale des maisons de jeu (CFMJ) reconnaît A et B coupables d’avoir organisé des jeux d’argent hors des casinos autorisés et ainsi d’avoir violé la Loi fédérale sur les jeux de hasard et les maisons de jeu (LMJ). Les deux individus sont condamnés à des amendes le 5 mars 2019 par le Tribunal de district de Zurich.
La CFMJ recourt contre ce jugement jusqu’au Tribunal fédéral, au motif d’une méconnaissance du principe de la lex mitior par le tribunal cantonal, qui aurait appliqué à tort l’ancien droit – la LMJ – en lieu et place du nouveau droit – la loi fédérale sur les jeux d’argent (LJAr), en vigueur depuis le 1er janvier 2019. Plus précisément, l’art. 56 al. 1 let. a LMJ punissait d’une amende de CHF 500’000.- au plus quiconque « a organisé ou exploité par métier des jeux de hasard à l’extérieur d’une maison de jeu », alors que l’art. 130 al. 1 let. a LJAr sanctionne d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire « quiconque, intentionnellement, exploite, organise ou met à disposition des jeux de casino ou des jeux de grande envergure sans être titulaire des concessions ou des autorisations nécessaires ». La juridiction cantonale a estimé que la nouvelle loi était moins clémente que l’ancienne, dès lors qu’elle érigeait en délit un comportement que l’ancien droit considérait, lui, comme une contravention. Or, la CFMJ est d’avis que la décision judiciaire en cause viole une jurisprudence claire du Tribunal fédéral, dans laquelle celui-ci a considéré une amende ferme comme plus sévère qu’une peine pécuniaire avec sursis (ATF 134 IV 82, c. 7.2.4).
II. En droit
Appelé à déterminer laquelle de la LMJ (ancien droit) ou de la LJAr (nouveau droit) est la plus favorable aux prévenus, le Tribunal fédéral rappelle toute d’abord la teneur du principe de la lex mitior : si une infraction est commise avant l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi mais que son auteur est jugé après, l’ancien droit s’applique (interdiction de la rétroactivité), sauf si le nouveau droit est plus clément (exception de la lex mitior, art. 2 al. 2 CP). La question de savoir si la nouvelle loi est plus « douce » que l’ancienne ne peut être appréciée abstraitement mais doit être évaluée selon une méthode comparative concrète, soit à la lumière du cas d’espèce. Il s’agit pour le tribunal de comparer l’infraction telle que prévue par l’ancien et le nouveau droit et de déterminer le régime juridique qui est objectivement le plus favorable au prévenu (ATF 134 IV 82, c. 6.2.1 ; TF, 6B_1308/2020 du 5.5.2021, c. 4.2.2 ; et sur le principe d’objectivité, soit la non-pertinence du sentiment subjectif du délinquant dans l’appréciation de sa situation hypothétique : ATF 134 IV 82, c. 6.2.2).
Pour ce faire, le Tribunal fédéral effectue une analyse en quatre étapes, suivant une logique « en cascade » (ATF 134 IV 82, c. 6.2.1) :
- La comparaison des peines principales se fait en fonction de leur genre (amende, peine pécuniaire, peine privative de liberté) ;
- Si le genre des peines est le même, la comparaison se fait en fonction de leur modalité d’exécution (ferme, avec sursis, avec sursis partiel) ;
- Si le genre des peines et leur modalité d’exécution sont identiques, la quotité de la peine est déterminante ;
- Si la peine principale est la même, il convient de prendre en compte les peines complémentaires éventuelles.
La cascade ne s’enclenche que s’il n’est pas possible de parvenir à une solution à un niveau donné en raison d’une absence de modification des conséquences juridiques dans le cas spécifique (c. 4).
En l’espèce, le Tribunal fédéral refuse de donner raison à la recourante lorsqu’elle déduit de l’ATF 134 IV 82 qu’une amende doit, de manière générale, être considérée comme une sanction plus sévère qu’une peine pécuniaire. La CFMJ néglige ici le fait que la jurisprudence précitée a été développée dans le contexte de la révision du droit des sanctions de 2007 et qu’elle se référait plus précisément au cas où des amendes de l’ancien droit ont été terminologiquement transformées en des peines pécuniaires, ces peines étant ici qualitativement équivalentes et touchant toutes deux l’auteur dans son bien juridique protégé qu’est le patrimoine. Dans une telle configuration, lorsque la peine pécuniaire est assortie du sursis, elle n’affecte pas concrètement le patrimoine de l’auteur et elle doit conséquemment être considérée comme plus clémente, y compris lorsque le montant de la peine pécuniaire est plus élevé que celui de l’amende (c. 5.1.1).
Le cas d’espèce s’inscrit cependant dans une tout autre constellation, puisque la révision des dispositions pénales en matière de jeux d’argent va au-delà d’une simple adaptation terminologique et est véritablement substantielle : elle répond à la volonté du pouvoir législatif d’aggraver les peines pour des infractions données en les faisant passer du rang de contraventions à celui de délits, voire de crimes (à ce propos cf. FF 2015 7731) (5.1.2). Aussi l’affaire en cause et la jurisprudence invoquée par la recourante ne sont-elles nullement comparables et donnent-elles lieu à des résultats différents lorsque confrontées à l’analyse en cascade précédemment établie. Dans l’ATF 134 IV 82, le raisonnement est mené jusqu’à la deuxième étape, puisque l’amende et la peine pécuniaire sont, dans ce cas particulier d’une simple modification terminologique, qualitativement similaires. Au contraire, dans l’affaire ici jugée, l’examen n’excède pas le premier niveau, la transformation d’une contravention en un délit représentant en l’occurrence une aggravation substantielle du type d’infraction et concrétisant, du même coup, un changement de genre de peine, la peine pécuniaire devant être considérée comme plus sévère que l’amende, et ce pour plusieurs raisons.
Déjà, en raison de la systématique du droit, qui suppose un corollaire entre les différents types d’infractions et les genres de peines, étant admis que les peines pécuniaires ont été présentées dès leur introduction comme étant « mehr als eine blosse « Busse » » (ATF 134 IV 60, c. 5.2). Les amendes, inversement réservées à des infractions mineures, sont conçues comme les peines les plus clémentes, ce qui trouve notamment expression dans les restrictions prévues à l’art. 105 CP) (c. 5.2.1). En outre, les jugements pour crimes et délits sont obligatoirement inscrits au casier judiciaire (art. 366 al. 2 let. a CP), alors que ceux prononcés pour contraventions ne le sont qu’exceptionnellement (art. 366 al. 2 let. b CP cum art. 3 al. 1 let. c et d Ordonnance VOSTRA), de sorte qu’une condamnation pour un délit a des conséquences plus perceptibles sur la situation de la personne concernée (c. 5.2.3). Enfin, les modalités d’exécution respectives des amendes et des peines pécuniaires témoignent du caractère plus sévère des peines pécuniaires. Seules ces dernières sont notamment susceptibles d’être assorties d’un sursis durant un délai d’épreuve (art. 44 al. 2 CP) qui peut lui-même être accompagné d’une assistance de probation et de règles de conduite souvent plus liberticides pour la personne concernée que le paiement d’une amende. Certes, en cas d’échec de la mise à l’épreuve et, dans la suite, de la révocation du sursis, la personne condamnée doit payer la peine pécuniaire, une amende pouvant ainsi rétrospectivement apparaître plus favorable. Toujours est-il que la question de la lex mitior doit être tranchée dans le jugement de première instance, sans qu’il ne soit évidemment possible à ce moment-ci de préjuger d’une quelconque révocation du sursis (c. 5.2.2).
In casu, étant admis que l’analyse s’arrête au premier stade de la cascade et qu’il n’y a pas lieu de tenir compte des modalités d’exécution des peines concernées (c. 5.2.5), le respect de la lex mitior justifie l’application de l’art. 56 al. 1 LMJ prévoyant l’amende, plus clémente que la peine pécuniaire avec sursis. Le recours de la CFMJ est par conséquent rejeté (c. 6).
III. Commentaire
Le raisonnement du Tribunal fédéral et, plus spécifiquement, la distinction opérée entre le cas concret et l’ATF 134 IV 82 ne se prêtent à aucune objection. La précision sur l’absence de caractère absolu de la règle développée dans cette dernière jurisprudence – qui doit donc toujours être confrontée à la situation d’espèce – mérite d’autant plus d’être saluée qu’elle prévient l’avènement potentiel de toute incertitude au regard d’autres modifications, passées ou futures, de dispositions pénales de lois administratives. Il est ici incontestable que l’exception créée dans le contexte tout à fait particulier de l’ATF 134 IV 82 ne saurait être transposée telle quelle au cas concret, qui, en raison de l’aggravation des peines au cœur de la comparaison entre l’ancien et le nouveau droit, se distingue d’autres affaires récentes où le Tribunal fédéral s’est référé à l’arrêt précité. Il en va notamment ainsi dans l’arrêt TF, 6B_1309/2020 du 2.6.2021, où la juridiction cantonale a condamné le prévenu à une peine pécuniaire avec sursis à la place de la peine pécuniaire avec sursis et de l’amende additionnelle prononcées par l’instance inférieure : ici, l’application de l’exception établie dans l’ATF 134 IV 82 se justifie dans la mesure où il n’y a point d’aggravation du type d’infraction concernée, les deux verdicts de culpabilité cantonaux portant sur un délit (pour une autre illustration, cf. aussi TF, 6B_903/2020 du 10.3.2021).